Tout projet de réorganisation et de réduction des effectifs est susceptible d'engendrer des risques psychosociaux. À l’occasion d’un tel projet, l’employeur doit respecter l’obligation générale de sécurité et de protection de la santé à laquelle il est tenu à l’égard des salariés.
En cas de grand licenciement collectif donnant lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), l’administration saisie d’une demande de validation de l’accord collectif portant PSE ou d’homologation du document unilatéral de l’employeur doit vérifier le respect par l’employeur de cette obligation. Un contrôle qui peut l’amener à refuser la validation ou l’homologation du PSE, comme l’illustre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Versailles le 29 novembre 2021.
L’administration doit vérifier le respect par l’employeur de son obligation de sécurité…
L’affaire soumise à la cour administrative d’appel de Versailles concernait un groupe de presse sportive ayant mis fin à la publication d’un titre de presse, ce qui avait eu pour conséquence la suppression de la totalité des emplois d’une société du groupe.
L’employeur avait soumis au Direccte (devenu Dreets) un document unilatéral portant PSE. Le comité social et économique (CSE) de l’unité économique et sociale (UES) avait saisi le juge administratif d’une demande d’annulation de la décision d’homologation de ce document. Le CSE faisait notamment valoir que l’homologation aurait dû être refusée, car le projet de l’employeur ne comportait aucune mesure de nature à protéger la santé des salariés, pour la période comprise entre l’annonce de la réorganisation et leur départ définitif de l’entreprise.
La cour administrative d’appel de Versailles donne raison aux représentants du personnel, en reprenant à son compte un principe énoncé en 2020 par le Tribunal des conflits (T. confl. 8-6-2020 n° C4189).
Lorsque le projet de réorganisation donne lieu à l’élaboration d’un PSE, l’administration doit vérifier le respect par l’employeur de cette obligation. Pour cela, elle contrôle :
d’une part, la régularité de la consultation du CSE, qui doit notamment être consulté sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (C. trav. art. L 1233-30, L 1233-57-2 et L 1233-57-3) ;
d’autre part, les mesures prises par l’employeur dans le cadre de son obligation de sécurité, telle que prévue par l’article L 4121-1 du Code du travail, au titre des modalités d’application de l’opération projetée.
A noter :
Le Tribunal des conflits a consacré ce principe dans le cadre d’un litige portant sur la répartition des compétences entre juge judiciaire et juge administratif. Un bloc de compétences a été créé au profit de l’administration, s’agissant du contrôle de l’élaboration du PSE et des mesures qu’il prévoit. Le juge judiciaire reste compétent pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de sécurité dans la mise en œuvre du PSE (voir également Cass. soc. 14-11-2019 n° 18-13.887 FS-PB).
Il résulte de cet arrêt que le Dreets peut faire usage, en cours de procédure d’élaboration du PSE, du pouvoir d’injonction à l’égard de l’employeur que lui confèrent les articles L 1233-57-5 et L 1233-57-6 du Code du travail, afin de garantir de manière effective la santé et la sécurité des salariés. En revanche, le juge judiciaire n'est pas compétent pour suspendre, au cours de la procédure d'élaboration du PSE, une mesure de réorganisation en raison des risques qu'elle peut entraîner pour la santé et la sécurité des salariés (en ce sens : Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-13.714 FS-PBI).
… laquelle implique, en cas de cessation d’activité, la prise en compte des risques psychosociaux
La cour administrative d’appel de Versailles ajoute à l’analyse retenue par le Tribunal des conflits en 2020 une précision inédite : en cas de cessation d’activité d’une entreprise conduisant à la suppression de l’intégralité des postes, l’employeur reste tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés, et ce jusqu’à la date de fin de l’opération envisagée.
Elle relève en effet que la mise en œuvre du plan de réorganisation, qui aboutissait à la suppression de tous les postes, n’impliquait aucune modification des conditions de travail qui aurait exigé des mesures particulières de la part de l’employeur. Mais ce dernier devait néanmoins prendre en compte les risques psychosociaux inhérents à l’annonce de cette réorganisation et à la suppression des postes qui en découlait.
Des mesures insuffisantes à ce titre justifient un refus d’homologation du PSE
L’employeur qui met en œuvre une réorganisation doit donc identifier les risques psychosociaux menaçant les salariés et, le cas échéant, mettre en œuvre des mesures de nature à préserver leur santé et leur sécurité.
En l’espèce, les juges ont procédé à une analyse en deux volets.
Premier volet, ils ont recherché si l’employeur avait procédé aux démarches nécessaires pour identifier ces risques. Ils relèvent que, notamment par l’intermédiaire d’un cabinet extérieur, certains facteurs de risque ont été identifiés, tels que l’insécurité sociale et économique des salariés ou les rapports sociaux dégradés au sein de l’entreprise. Par ailleurs, la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du CSE s’est réunie à 5 reprises.
Second volet, les juges constatent que l’employeur n’en a pas tiré les conséquences qui s’imposaient, aucune mesure de prévention des risques n’ayant été évoquée auprès des représentants du personnel ou n’étant prévue par le PSE. La seule mise en place d’une « cellule d’écoute » au sein d’une autre société de l’UES, ouverte aux salariés concernés par la réorganisation, et la formation aux risques psychosociaux dispensée au directeur du pôle magazine du groupe sont jugées insuffisantes, même dans le cadre d’une cessation d’activité.
En conséquence, la décision d’homologation du PSE est annulée.