Une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) est, on le sait, un accord négocié qui permet à une personne morale soupçonnée d'atteinte à la probité de conclure un accord avec le procureur de la République pour mettre fin aux poursuites sans procès pénal. Elle peut mettre à la charge de cette personne morale plusieurs types d'obligations, dont le versement d'une amende et la mise en œuvre d'un programme de mise en conformité (CPP art. 41-1-2).
Lorsque l'activité dans le cadre de laquelle les faits litigieux ont été commis a été cédée à une autre société entre la commission de ces faits et la conclusion de la convention, les obligations entre les deux sociétés peuvent être partagées, comme le montre la CJIP signée le 2 décembre 2024 entre le parquet national financier et les sociétés Areva SA et Orano mining SAS, à l’occasion des faits suivants. La société Areva, dont l'activité couvrait jusqu'en 2017 le cycle complet du combustible nucléaire, y compris son extraction, décide de démarrer une exploration minière d'uranium en Mongolie. Afin d'obtenir des licences minières, elle confie à la société X une mission d'assistance financière, juridique et commerciale. La société X établit un contrat de consultant avec un homme d'affaires mongol afin de faciliter les discussions avec les autorités locales. Or, les fonds versés à ce dernier sont investis dans un projet immobilier détenu par un agent public local de haut niveau, qui était intervenu dans le processus d'implantation des activités d'Areva en Mongolie.
À la suite d'un signalement de Tracfin en 2015, le parquet national financier ouvre une enquête, soupçonnant la commission du délit de corruption d'agent public étranger (C. pén. art. 435-3). L'enquête est menée pendant plusieurs années, tandis que les activités du groupe Areva font l'objet d'une restructuration juridique. La restructuration aboutit à la cessation de toute implication du groupe Areva dans l'exploitation minière, cette activité ayant fait l'objet d'un apport partiel d'actif au bénéfice d'une autre société, devenue Orano mining SAS en 2018.
À l’issue de l'enquête, le parquet décide de déclencher des poursuites pénales envers la société X et de proposer une transaction aux sociétés Areva et Orano mining. La CJIP ainsi conclue contient deux mesures :
la société Areva s'engage à verser une amende de 4,8 millions d'euros, étant précisé que les avantages tirés des manquements n'ayant pas été perçus, seule une amende afflictive (c'est-à-dire punitive) est prononcée ;
la société Orano mining se soumet à un programme de mise en conformité d'une durée de trois ans, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, et s'engage à provisionner 1,5 million d'euros au titre des frais occasionnés par ce contrôle.
A noter :
C'est la première fois à notre connaissance qu'une CJIP énonce un tel partage des obligations entre deux sociétés.
Les lignes directrices du parquet national financier sur la CJIP ne prévoient pas une telle hypothèse pour une affaire d'atteinte à la probité.
Mais elles évoquent la possibilité de ne mettre à la charge d'une société que la seule part afflictive de l'amende lorsque les avantages tirés des manquements constatés n'ont pas été et ne seront jamais perçus dans l'entreprise, par exemple dans certains cas particuliers de tentative ou de complicité (Lignes directrices PNF du 16-1-2023, 3.1). Tel est le cas dans cette affaire : la part restitutive de l'amende, égale en principe au montant des avantages tirés des manquements, a été omise du calcul.