Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable (CPC art. 1448 et 1506, 3°). Il s’en déduit que le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel (principe « compétence-compétence »).
Un contrat de transport (une charte-partie) conclu entre deux sociétés étrangères (A et B) comporte la clause suivante : « Tout litige concernant la présente charte-partie sera tranché par arbitrage à Paris, en la forme ordinaire, et en cas de désaccord, par le "Tribunal de commerce de la Seine", Paris ».
Le principe compétence-compétence interdisait-il à l’une des sociétés de saisir le juge étatique en cas de désaccord des parties ?
Non, répond la cour d’appel de Paris, en se fondant sur l’argumentation suivante.
La clause litigieuse, rédigée en deux parties, présente un caractère mixte : elle prévoit le recours à l'arbitrage pour le règlement des litiges nés de la charte tout en réservant aux parties la faculté de soumettre leur différend au juge étatique en cas de désaccord, en désignant alors le tribunal de commerce de Paris. Elle n'exclut pas par principe la compétence du juge étatique ni n'impose la saisine en toute hypothèse de la juridiction arbitrale pour constater le désaccord des parties sur le recours à l'arbitrage.
Le tribunal de commerce de Paris n’avait pas commis un excès de pouvoir en statuant sur sa compétence et n’avait donc pas violé les dispositions de l'article 1448 du Code de procédure civile et le principe compétence-compétence, lesquels n'avaient pas vocation à s'appliquer dès lors que l’une des sociétés se prévalait d'un désaccord entre les parties sur le recours à l'arbitrage, sur l'existence et la caractérisation duquel il convient de se prononcer. Il ne s'agit pas en effet de trancher un conflit de compétence entre la juridiction arbitrale et la juridiction étatique sur le fondement de l'article 1448, mais de vérifier si le litige relève de la compétence du tribunal de commerce en vertu de la deuxième partie de la clause sur le fondement de laquelle il a été saisi.
En l'espèce, les parties n'avaient pas trouvé d'accord sur la saisine de la juridiction arbitrale, ce que la société A avait manifesté en saisissant le tribunal de commerce de Paris, plusieurs mois après le silence gardé par l’autre société (B) à sa mise en demeure, par laquelle elle avait averti la société B qu'en cas de non-paiement de la somme demandée elle n'aurait pas d'autre choix que d'introduire une procédure, lui demandant de bien vouloir exprimer son accord pour soumettre le litige à un arbitrage et lui indiquant que, à défaut, elle porterait son action devant la juridiction commerciale en application de la clause. Après le silence gardé par la société B à la mise en demeure, la société A, en saisissant la juridiction commerciale sur le fondement de la deuxième partie de la clause, avait clairement fait la preuve de l'existence d'un désaccord sur la juridiction arbitrale et la saisine préalable d’un arbitre n'était pas requise.
Documents et liens associés :
CA Paris 21-5-2024 n° 23/16776