Les propriétaires d’un appartement font réaliser des travaux de rénovation sous la maîtrise d’œuvre d’un architecte. Le budget est dépassé et des dommages affectent les travaux exécutés.
Dans leur recours contre l’architecte et son assureur, les propriétaires invoquent le dépassement du budget qui les a conduits à supporter le coût de travaux supplémentaires. Ils sont déboutés sur l’essentiel par la cour d’appel. La Cour de cassation rejette leur pourvoi au motif que, sous réserve des déconvenues éprouvées, ils auraient dû supporter néanmoins le coût des prestations omises par l’architecte si le projet avait été correctement réalisé.
Sur les malfaçons, les propriétaires font grief à la cour d’appel d’avoir limité l’obligation de réparation de l’architecte, compte tenu de la faute commise par l’entrepreneur, et de ne lui avoir fait supporter que 30 % du dommage contre 70 % à l’entreprise. La cour d’appel a en effet relevé que le contrat de maîtrise d’œuvre contenait une clause prévoyant que l’architecte ne pourrait être tenu ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération. Elle en a fait application tout en réservant le cas de la faute lourde.
Sur ce point, l’arrêt d’appel est cassé. La Cour de cassation relève qu’une telle clause ne limite pas la responsabilité contractuelle de l’architecte tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne peut pas avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître de l’ouvrage contre l’architecte dont la faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage. La Haute Juridiction en déduit que la cour d’appel ne pouvait pas limiter l’obligation de réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction du dommage au motif que la clause d’exclusion de solidarité n’est privée d’effet qu’en cas de faute lourde et que l’architecte n’était tenu qu’à hauteur de sa part contributive dans la survenance du dommage, alors que sa faute était à l’origine de l’entier dommage.
A noter :
Voilà un important arrêt (BR), à la fois rassurant et sujet à interrogation.
Sur la question du préjudice consécutif à des prestations non prévues à l’origine et rendues nécessaires, l’arrêt de la Cour de cassation retient avec raison que le coût des travaux aurait de toute façon été supporté par le maître de l’ouvrage si le projet de l’architecte avait été correctement réalisé. Il ajoute que, de ce chef, le maître de l’ouvrage a été indemnisé des déconvenues éprouvées pour un montant fixé souverainement par la cour d’appel.
Sur l’obligation de l’architecte au titre des malfaçons, l’arrêt censure la cour d’appel qui a fait application de la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat de maîtrise d’œuvre.
Depuis quelque temps, une jurisprudence a étendu l’application de la clause d’exclusion de solidarité à l’obligation in solidum. Elle affirme que la clause d’exclusion de solidarité figurant dans un contrat d’architecte s’impose au juge et lui interdit de prononcer une condamnation in solidum (Cass. 3e civ. 14-2-2019 n° 17-26.403 FS-PBI : BPIM 2/19 inf. 118, RDI 2019 p. 214 note B. Boubli ; Cass. 3e civ. 17-10-2019 n° 18-17.058 F-D : BPIM 6/19 inf. 406 ; Cass. 3e civ. 19-2-2020 n° 18-25.585 FS-PBI : BPIM 3/20 inf. 192). Dans l’arrêt commenté, la clause visait tant la solidarité que l’obligation in solidum.
On a regretté une telle jurisprudence qui méconnaît à la fois le fondement de l’obligation in solidum et le pouvoir du juge. Au fond, le principe de l’engagement « in solidum » repose sur l’idée que chacun des coauteurs est censé avoir causé tout le dommage par son fait ; son obligation à la dette porte sur tout le préjudice, tandis que la contribution entre les coauteurs tient compte de leur part. En ce qui concerne la condamnation in solidum, elle est l’apanage du juge : c’est lui qui la prononce et l’on conçoit mal qu’une clause du contrat puisse cantonner son pouvoir (voir B. Boubli, RDI 2016 p. 290). Est-ce que l’arrêt tient compte de ces réserves et condamne cette jurisprudence ? On peut l’espérer. Mais la motivation de l’arrêt commenté, qui retient que la faute de l’architecte a causé l’entier dommage, laisse perplexe. L’obligation au tout, lorsqu’il y a des coauteurs, part du principe que chacun est censé avoir causé l’entier dommage. Est-ce que la motivation ne fait que reprendre cette règle surabondante ici ou a-t-elle un autre sens ? La prudence est de mise.