Ce projet formalise l’une des nombreuses propositions formulées dans le plan d’action de la Commission européenne pour une fiscalité équitable et simplifiée (plan publié le 15 juillet 2020).
Si elle devait être adoptée, cette réforme pourrait contribuer de manière significative à l’application uniforme du système de TVA qui est aujourd’hui loin d’être effective en dépit de plus de quarante ans d’application (depuis l’entrée en vigueur de la Sixième Directive TVA) et d’une très abondante jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
1) Les limites actuelles à l’application uniforme du système de la TVA
D’une manière générale, la règle de l’unanimité qui s’impose en matière fiscale au pouvoir législatif ou réglementaire (directives et règlements d’exécution) au sein de l’Union européenne (UE) n’est propice ni à la précision de la législation ni à une intervention agile du législateur européen pour faire évoluer la réglementation, notamment, s‘agissant en particulier de la TVA, pour l’adapter aux évolutions de l’économie.
La directive TVA comporte de nombreuses dispositions qui octroient aux Etats membres certaines libertés dans l’application des règles de TVA appliquées aux opérations imposables sur leurs territoires (dispositions optionnelles, liberté de définir l’étendue de certaines opérations ou les modalités d’application d’une disposition de la directive, régimes dérogatoires).
Au-delà des marges de manœuvre accordées par ses dispositions, la directive TVA regorge de notions qu’elle ne définit pas ou insuffisamment pour en permettre la compréhension et l’application uniforme dans tous les Etats membres de l’UE. On devine même des travaux qui ont précédé l’adoption de certaines directives ayant amendé la directive TVA que l’imprécision a pu parfois permettre aux Etats membres de parvenir à un accord à l’unanimité en laissant subsister, derrière une règle commune, une relative souplesse dans son application dans les différents pays de l’UE. Dans d’autres situations, les termes employés par la directive peuvent avoir simplement subi les assauts du temps et de la modernisation de l’économie depuis l’adoption de la règle initiale.
La CJUE fait un travail considérable, au travers de sa jurisprudence, pour préciser un grand nombre de ces notions qu’elle juge généralement constitutives de notions autonomes du droit de l’UE pour l’application uniforme de la TVA. Le résultat demeure toutefois insatisfaisant pour plusieurs raisons parmi lesquelles la circonstance que l’interprétation de la CJUE intervient souvent après des années voire des décennies d’application, par chaque Etat membre, de la règle ou la notion concernée suivant sa propre interprétation. Rappelons en outre que la Cour de justice se prononce sur l’interprétation des dispositions de la directive TVA principalement à l’occasion des questions préjudicielles renvoyées par les juridictions nationales dans le cadre des litiges dont elles sont saisies (TFUE, art. 267). Or, seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont en principe tenues de requérir l’interprétation de la Cour de justice (qui relève d’une simple faculté pour les autres juridiction), et force est de constater que les juridictions nationales ont, ici ou là, tardé à s’emparer de cette procédure pourtant indispensable à l’application harmonisée du droit de l’Union et, en l’occurrence de la directive TVA.
Le Comité de la TVA (prévu par l’article 398 de la Directive TVA) s’avère dans l’incapacité d’imposer l’application uniforme des règles fixées par la directive. Longtemps réservés aux seules autorités fiscales de chaque Etat membre, les travaux du Comité sont désormais rendus publics grâce à l’initiative prise il y a une dizaine d’années par la Commission européenne (qui assure la présidence du Comité et établit l’ordre du jour).
Cependant, la portée non contraignante des « orientations » résultant du débat entre les représentants de chacun des Etats membres les laisse en réalité libres d’appliquer ou non une position commune sur chacun des thèmes évoqués. Pour la même raison, la CJUE se montre généralement réticente à recourir à ces travaux pour se prononcer sur la portée d’une disposition de la directive, en particulier lorsque l’orientation du Comité n’a pas réuni l’unanimité des voix de chacune des représentations nationales. En pratique, aucune position n’est d’ailleurs rendue publique lorsque la réponse à apporter à la question soulevée ne rassemble pas une grande majorité au moins des représentants des Etats membres.
La Commission européenne s’est également efforcée de proposer plusieurs moyens de favoriser l’application uniforme de la TVA.
Elle a en particulier proposé aux Etats membres un règlement d’exécution pour l’application de la Directive TVA dans le prolongement de l’adoption de la Directive 2008/8/CE du 12 février 2008 qui modifiait en profondeur les règles de territorialité des prestations de services.
Avant même l’adoption définitive de cette directive, il était apparu évident que l’imprécision d’un grand nombre des notions qui devaient à l’avenir présider à la détermination di lieu d’imposition des services allait, dès son entrée en application, provoquer non seulement une forte insécurité juridique pour les opérateurs mais aussi et surtout un risque de double imposition ou de non-imposition de certaines opérations. Les premières discussions au sein du Comité de la TVA confirmaient d’ailleurs cette crainte (voir par exemple les débats sur la notion de droit d’accès à des manifestations éducatives).
Désormais, le règlement d’exécution (UE) n°282/2011 du Conseil, enrichi à l’occasion de chacune des réformes des règles prévues par la Directive TVA, contribue incontestablement à l’uniformisation d’application du système commun. Son adoption par le Conseil de l’UE (suivant la règle de l’unanimité qui s’impose en matière fiscale) a sans doute été facilitée par le fait que de nombreuses définitions fixées par ce texte ont repris celles énoncées par la CJUE dans sa jurisprudence.
Depuis la même époque, la Commission européenne publie des « notes explicatives » par lesquelles la DG TAXUD expose sa propre perception de la portée des dispositions résultant des principales directives modifiant la directive TVA. Mais pour louable que soit cette démarche, les explications de la Commission n’ont aucune valeur juridique comme elle le rappelle elle-même dans ces documents en indiquant qu’elles « ne sont pas juridiquement contraignantes et n’empêchent pas les Etats membres et les administrations fiscales nationales d’adopter des orientations nationales sur cette question ».
2) La réforme proposée
La Commission se verrait attribuer un pouvoir de définition de certaines notions utilisées par la Directive TVA. Seraient toutefois exclues de son champ de compétence et demeureraient de la seule compétence du Conseil :
- Les notions utilisées dans les dispositions relatives à l’objet, au champ d’application et aux taux de la TVA ;
- Celles visées dans les dispositions qui prévoient des dérogations aux règles d’application de la TVA ;
- Et, enfin, les notions dont la définition relève de la compétence des Etats membres et celles auxquelles ils ont recours pour appliquer certaines règles qu’ils sont libres de transposer ou non dans leur réglementation (règle optionnelle).
Le pouvoir de définition de la Commission s’exercerait dans le cadre de la procédure de comitologie prévue par les dispositions de l’article 291 du TFUE et suivant les modalités prévues, en matière fiscale, à l’article 5 du règlement (UE) n°182/2011.
Elle ne pourrait ainsi adopter un règlement d’exécution portant définition des notions relevant de sa compétence qu’après avoir reçu un avis favorable rendu à la majorité qualifiée d’un comité présidé par la Commission et constitué de représentants des Etats membres. Concrètement, c’est l’actuel Comité de la TVA qui deviendrait ce comité de comitologie.
Une fois adoptées, les définitions apportées par le règlement d’exécution, dont on rappelle qu’il est d’application directe, s’imposeraient à tous les Etats membres sans que soit nécessaire leur transposition dans chacune des législations nationales.
La réforme proposée par la Commission s’appliquerait dès son entrée en vigueur ce qui signifie que le travail d’harmonisation des notions concernées de la directive TVA pourrait porter ses fruits dans un délai assez rapide et offrir ainsi plus de simplicité et de sécurité juridique aux opérateurs.
Par Elisabeth ASHWORTH, associée au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats