Cette affaire donne l’occasion à la chambre sociale de la Cour de cassation d’interpréter les dispositions des articles L 511-84 et R 511-24 du Code monétaire et financier permettant à un établissement de crédit de réduire ou de réclamer la restitution de la rémunération variable d’un salarié qui n’aurait pas respecté notamment les exigences d’honorabilité requises. Les circonstances de l’espèce lui offrent également l’opportunité d’illustrer dans quelles conditions une situation peut être qualifiée de harcèlement sexuel constitutif d’une faute grave.
En l’espèce, un salarié, cadre de haut niveau d’une banque d’investissement, a été licencié pour faute grave. Son employeur lui reproche d’avoir adopté un comportement inapproprié à l’égard de plusieurs collaboratrices, qu’il a qualifié de « harcèlement sexuel ». Il refuse alors de lui verser une partie de sa rémunération variable différée invoquant les articles précités du Code monétaire et financier. Aux termes de l’article L 511-84, alinéa 1er, du Code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution en fonction notamment des agissements ou du comportement de la personne concernée. L’article R 511-24 du même Code précise, pour sa part, que les agissements susceptibles d'entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement, en considération notamment des pertes sérieuses qu'ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés. La décision de réduction ou de restitution tient compte de l'implication de la personne intéressée dans les agissements en cause. Une telle décision peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause.
Un objectif de prévention des prises de risques excessives
Pour la Cour de cassation, les dispositions des articles L 511-84, al. 1, et R 511-24 du Code monétaire et financier ont pour objet de prévenir les prises de risques excessives qui peuvent nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d’investissement de la part des salariés amenés à prendre des décisions d’investissement. Ces textes prévoient un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l’égard d’un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou a été responsable de tels agissements ou n’a pas respecté les normes applicables en matière d’honorabilité et de compétences.
En l’espèce, le salarié percevait une rémunération variable se décomposant en plusieurs parties dont le paiement était différé sur 3 ans par tiers, notamment si la condition de performance était respectée. Selon le règlement de la banque relatif aux rémunérations variables, le comportement professionnel à risque est défini comme « tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et/ou les normes professionnelles applicables à l’activité du bénéficiaire sur la période d’acquisition (non-respect des règles de gouvernance et/ou de déontologie et/ou des procédures) ».
Pour l’employeur, le comportement inapproprié du salarié ayant justifié son licenciement relevait du manque d’honorabilité et de déontologie visé par la loi et la réglementation interne justifiant le non-versement de la rémunération variable. La cour d’appel puis la Cour de cassation rejettent toutefois cette analyse.
L’exigence d’un lien direct et étroit avec l’activité professionnelle
La Cour de cassation précise que les normes d’honorabilité et de compétences, prévues par les textes et dont le non-respect peut permettre de ne pas verser tout ou partie de la rémunération variable, doivent s’entendre des règles professionnelles en lien direct et étroit avec l’activité professionnelle d’investissement à risques.
La Haute Juridiction valide ainsi l’analyse de la cour d’appel, qui avait considéré que le comportement déplaisant, déplacé, habituel et totalement inadapté du salarié, qu’elle avait qualifié d’« inapproprié », était sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d’investissement à risques, et qu’il ne caractérisait donc pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué.
Cette interprétation, qui repose sur un périmètre strict d’application des textes, s’explique par le but poursuivi par le législateur de limiter les prises de risques excessives au sein des établissements bancaires et permet de ne pas priver d’effet les dispositions de l’article L 1331-2 du Code du travail, qui prohibe les amendes ou autres sanctions pécuniaires
A noter :
La rédaction de l’alinéa 1 de l’article L 511-84 du Code monétaire et financier a été modifiée par la loi 2019-486 du 22 mai 2019 (« loi Pacte »). Il prévoit désormais que, « par dérogation à l'article L 1331-2 du Code du travail, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution lorsque la personne concernée a méconnu les règles édictées par l'établissement en matière de prise de risque, notamment en raison de sa responsabilité dans des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l'établissement ou en cas de manquement aux obligations d'honorabilité et de compétence ». Cette nouvelle rédaction ne nous semble pas remettre en cause pour l’avenir la solution adoptée ici par la Cour de cassation.
Le harcèlement sexuel est retenu et justifie la faute grave
Si la Cour de cassation conclut que le comportement « déplaisant, déplacé » du salarié détenant des responsabilités n’entre pas dans le champ d’application de l’article L 511-84 du Code monétaire et financier, une telle attitude peut-elle toutefois tomber sous le coup d’une qualification de harcèlement sexuel constitutive d’une faute grave ? C’est la seconde question soumise à la Cour de cassation.
Comme indiqué plus haut, l’employeur a en effet retenu l’existence d’un harcèlement sexuel à l’encontre du haut cadre et décidé de le licencier pour faute grave. Plus précisément, il lui reproche d’avoir adopté à l’égard de 8 subordonnées un comportement inconvenant. En particulier, selon l’employeur, ce dernier avait envoyé des messages à son assistante lui proposant de passer la nuit avec lui. Il avait invité une salariée intérimaire à voir une chambre d'hôtel et avait fait des commentaires sur la manière dont une autre salariée mangeait des bananes, qualifiée d’« inspirante ».
Tout en constatant l’existence et le caractère déplacé de ces messages litigieux, la cour d’appel n’avait pas retenu la qualification de harcèlement sexuel. Elle avait considéré que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave. Selon elle, le comportement du salarié était certes inapproprié, en particulier du fait du poste à responsabilité qu’il occupait, mais il n’avait pas créé de situation hostile ou intimidante, ni exercé de pression pour obtenir des faveurs sexuelles.
La Cour de cassation casse la décision de la cour d'appel.
Pour la Haute Juridiction, les messages à connotation sexuelle envoyés par le haut cadre à des subordonnées et le témoignage de plusieurs salariées relatant la gêne occasionnée par la situation imposée par ce supérieur hiérarchique avaient créé une situation intimidante ou offensante pour ces dernières. Le harcèlement sexuel, au sens de l’article L 1153-1 du Code du travail, était donc bien caractérisé, et la cour d’appel n’a pas tiré les conclusions légales de ses constats en ne retenant pas son existence.
A noter :
Pour mémoire, selon cet article, le harcèlement sexuel est notamment caractérisé par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui, soit portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Il suffit que les comportements revêtent une connotation sexuelle, ce qui n'exige donc pas qu'ils présentent un caractère explicitement et directement sexuel (Circ. crim. 2012-15 du 7-8-2012 n° 1.1.1).
Les agissements de harcèlement sexuel étant caractérisés, la Cour de cassation en conclut qu’ils constituent bien une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
A noter :
Ce faisant, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure. Elle juge en effet que le comportement de l'auteur d'un harcèlement sexuel est systématiquement qualifié de faute grave (Cass. soc. 24-9-2008 n° 06-46.517 FS-PBRI), et ce, quelle qu'ait pu être l'attitude antérieure de l'employeur (Cass. soc. 18-2-2014 n° 12-17.557 FS-PB) ou du salarié.
Documents et liens associés
Cass. soc. 13-3-2024 n° 22-20.970 FS-B, Sté Cacib c/ E.
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