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Des propos et agissements sexistes caractérisent un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel

Sans être directement visée, une salariée peut subir un harcèlement discriminatoire en raison de propos et agissements sexistes caractérisant un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel.


Par Sophie ANDRE
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©Getty Images

CA Paris 26-11-2024 n° 21/10408, X. c/ Sté Oodrive

Le lieu de travail est un espace de vie dans lequel peuvent s’exprimer différentes formes de harcèlement sexuel. Certains agissements peuvent ainsi être plus ou moins diffus, voire tolérés. Entre les propos grivois, les blagues sexistes, les comportements suggestifs et le harcèlement sexuel en tant que tel, la frontière est parfois ténue, mais la jurisprudence, au fil des contentieux dont elle est saisie, encadre de plus en plus strictement les comportements inappropriés.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 novembre 2024 constitue un nouveau rappel à l’ordre aux employeurs, qui ne doivent pas laisser perdurer des situations inadaptées au monde du travail.

Un harcèlement discriminatoire caractérisé entraînant la nullité du licenciement

Embauchée en tant qu'ingénieur études et développement, une salariée est licenciée pour insuffisance professionnelle. La salariée conteste son licenciement et soutient notamment avoir été victime de harcèlement discriminatoire.

L’intéressée reproche, en premier lieu, à ses collègues masculins d’avoir surnommé le binôme qu'elle forme avec une de ses collègues féminines, avec laquelle elle a gagné un concours interne, « équipe Tampax », son manager n'ayant pas réagi lorsqu'elle s'en est plainte.

Elle dénonce également l’existence d’un harcèlement d’ambiance en raison des agissements sexistes d’un groupe de collègues travaillant dans l’open space. Ces derniers échangeaient par mail des photographies de femmes en partie dénudées ou dans des positions suggestives accompagnées de commentaires inadéquats, ce dont s’étaient plaintes plusieurs salariées. Ces faits démontrent, selon la salariée, un « relâchement de nature à mettre mal à l’aise l’ensemble des femmes ».

Le cadre juridique

Pour se prononcer, les juges parisiens s’appuient, en premier lieu, sur l’article L 1142-2-1 du Code du travail protégeant le salarié contre tout agissement sexiste. Sont visés les agissements liés au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

A noter :

La Cour de cassation a récemment jugé, au visa de ce texte, que les propos sexistes répétés d'un salarié sont fautifs et justifient un licenciement (Cass. soc. 12-6-2024 n° 23-14.292 FS-B : RJS 8-9/24 n° 445).

En second lieu, les juges du fond visent l’article L 1132-1 du Code du travail, qui sanctionne les mesures discriminatoires et liste les motifs de discrimination prohibés. Ils renvoient également à l’article 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 selon lequel la discrimination inclut notamment tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité

De l’ensemble de ces textes, la cour d’appel conclut que le harcèlement discriminatoire résulte d’un agissement lié à un motif prohibé par la loi qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité ou de dégrader l’environnement de travail.

A noter :

On relèvera que la cour d’appel ne se place pas sur le terrain de l’article L 1153-1 du Code du travail, selon lequel aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Toutefois, les faits datent de 2018. Or, à l’époque, l’article L 1153-1 du Code du travail ne prévoyait pas encore que des agissements sexistes puissent être qualifiés de « harcèlement sexuel » (cette adjonction étant entrée en vigueur au 31 mars 2022), ce qui explique que la cour d’appel de Paris ait choisi un autre fondement pour appuyer sa décision.

Toutefois, les notions de harcèlement sexuel et de harcèlement discriminatoire à connotation sexuelle sont proches, même si les fondements juridiques sont distincts. La loi du 27 mai 2008 appréhende de fait le harcèlement sexuel comme une forme de discrimination fondée sur le sexe.

L’une des différences majeures entre les 2 textes est que l’article L 1153-1 du Code du travail relatif au harcèlement sexuel exige une répétition des comportements ou propos à connotation sexuelle, alors que la loi de 2008 permet de reconnaître un harcèlement même en présence d’un seul agissement problématique. En revanche, le régime probatoire des discriminations et du harcèlement est similaire. La victime doit en effet établir des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement ou d’une discrimination (C. trav. art. L 1134-1 et L 1154-1). Puis, il appartient à l’employeur d’apporter les arguments permettant de justifier que la décision a été prise en raison d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination ou tout harcèlement.

Cette proximité des définitions laisse planer une certaine confusion sur le champ respectif des différents dispositifs.

Les propos et agissements sexistes caractérisent bien un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel

Appliquant le régime de preuve en matière de harcèlement discriminatoire, les juges analysent, en premier lieu, les faits avancés par la salariée.

Pour la cour d’appel, en raison de la configuration de son poste en open space et de la nature du travail exclusivement sur ordinateur, la salariée ne pouvait pas s’abstraire de son environnement et ignorer les images à caractère sexuel et les propos sexistes échangés. Les juges relèvent en outre que l’employeur s’est abstenu de faire usage de sa charte informatique pour contrôler ces messages, et ce malgré les plaintes des salariées.

De ce fait, la salariée a bien établi, selon l’arrêt du 26 novembre 2024, l’existence de propos sexistes et d’agissements à caractère sexiste caractérisant un harcèlement d’ambiance à l’égard des femmes portant atteinte à sa dignité et créant un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant.

A noter :

Ainsi, sans être directement visée, la salariée peut être protégée dans ces situations de harcèlement à caractère sexuel plus diffus.

Ce n’est pas la première fois que les juges du fond reconnaissent la notion de harcèlement sexuel d’ambiance. La cour d’appel d’Orléans avait ainsi considéré qu’un harcèlement sexuel peut « consister en un harcèlement environnemental ou d'ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables » (CA Orléans 7-2-2017 n° 15/02566). Dans le même sens, la cour d’appel d’Agen a reconnu l’existence d’un harcèlement sexuel en raison de l'existence d'une culture d'entreprise à connotation sexuelle à laquelle les salariés se sentaient obligés d'adhérer pour être intégrés dans l'équipe (groupe WhatsApp de salariés sur lequel étaient notamment diffusées des vidéos pornographiques ; CA Agen 13-12-2022 n° 21/00653).

Avec la loi du 2 août 2021, applicable depuis le 31 mars 2022, et qui n’était donc pas en vigueur au moment du litige, les situations de harcèlement sexuel ou sexiste exercées de manière collective sont désormais ciblées.

Une enquête interne manquant de rigueur et ne pouvant pas justifier les agissements dénoncés

Une fois ces faits de harcèlement sexuel d’ambiance établis, l’employeur pouvait-il expliquer son manque de réactivité par des éléments étrangers à tout harcèlement ? C’est ce que cherche ensuite à vérifier la cour d’appel.

En effet, la salariée souligne que les agissements dénoncés ont été remontés, à plusieurs reprises, à l’employeur, à la médecine du travail ainsi qu’à la psychologue du travail, sans qu’ils aient fait l’objet d’investigations dans le cadre de l’enquête interne. De son côté, la société réplique qu’une enquête interne a été diligentée et a conclu à l’absence de comportement misogyne de la part du manager, permettant d’écarter toutes les accusations de discrimination et de harcèlement.

A noter :

La cour écarte l’argument de l’employeur : elle constate que l'enquête interne diligentée par l'employeur présentait des carences et manquait de rigueur dans la méthodologie.

Elle en conclut que le harcèlement discriminatoire est bien caractérisé et indemnise le préjudice en résultant à hauteur de 6 000 euros.

La nullité du licenciement est encourue

La salariée réclame, en outre, la nullité de son licenciement.

À cet égard, le Code du travail prévoit une protection des salariés témoignant ou dénonçant des agissements discriminatoires. Ainsi, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire ou de représailles pour avoir témoigné d’agissements discriminatoires (C. trav. art. L 1132-3) et tout acte ou toute sanction pris en méconnaissance de cette disposition encourt la nullité (C. trav. art. L 1132-4). Ce principe est toutefois écarté en cas de mauvaise foi du salarié, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits dénoncés et non de la seule circonstance que ces derniers ne sont pas établis (Cass. soc. 13-1-2021 n° 19-21.138 F-PB : RJS 4/21 n° 194).

A noter :

Une protection similaire est prévue dans le cadre du harcèlement sexuel (C. trav. art. L 1153-2 et L 1153-4).

Se fondant sur ces principes qu’elle rappelle, la cour d’appel constate que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir dénoncé à tort un fait discriminatoire et qualifiait les propos de la salariée de « diffamatoires ». Or, pour la cour, l’employeur n’a pas démontré la mauvaise foi de la salariée et, le harcèlement discriminatoire étant établi, les juges du fond déclarent la nullité du licenciement et lui accordent 29 000 € à titre de dommages-intérêts

L’employeur ne désignant pas un référent « harcèlement » manque à son obligation de sécurité

Un autre grief de la salariée porte sur le manquement de son employeur à son obligation de sécurité. Selon elle, l’entreprise n’a pris aucune initiative pour une prise de rendez-vous avec le médecin du travail et n’a, en outre, pas désigné un référent « harcèlement sexuel ».

Rappelons qu’en vertu de l’article L 4121-1 du Code du travail l’employeur est tenu, vis-à-vis des salariés, d'une obligation de sécurité et de protection de la santé (Cass. 2e civ. 8-10-2020 n° 18-25.021 FS-PBI : FRS 21/20 inf. 14). Pour cela, il doit notamment prendre toutes les mesures visant à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment au titre de la prévention du harcèlement moral et sexuel et des agissements sexistes.

Se fondant sur ce dispositif juridique, la cour d’appel donne raison à la salariée. Elle note d’abord l'absence de désignation d'un référent en matière de lutte contre le harcèlement au sein de l’entreprise, en violation des dispositions du Code du travail.

A noter :

Rappelons que, selon l’article L 1153-5-1 du Code du travail, l’employeur d’au moins 250 salariés doit désigner un référent chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Lorsque l’effectif de l’entreprise n’atteint pas ce seuil, c’est le CSE qui doit choisir parmi ses membres un référent, qui est désigné par une résolution jusqu'à la fin du mandat du comité (C. trav. art. L 2314-1).

Les juges du fond constatent également que l’employeur ne démontre pas non plus avoir tiré les conséquences de son enquête, ni avoir fait les démarches pour saisir le médecin du travail, auquel la salariée a finalement fait appel elle-même. La cour condamne donc la société à verser des dommages-intérêts pour ces manquements à hauteur de 5 000 €.

A noter :

C’est, à notre connaissance, la première fois qu’il est jugé que la non-désignation du référent « harcèlement » constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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