1. Le Conseil d’Etat était saisi par une entreprise et le ministre du travail d’une demande d’annulation d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles qui avait annulé une décision du Direccte validant un accord collectif majoritaire partiel et homologuant un document unilatéral fixant un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) (CAA Versailles 22-10-2014 no 14VE02351 : RJS 2/15 no 89). Le motif de cette annulation était l’irrégularité de la procédure d’information-consultation conduite par l’employeur, en raison des vices ayant entaché la consultation du CHSCT.
Le Conseil d’Etat rejette les pourvois de l’entreprise et du ministre, approuvant la solution retenue par la cour administrative d’appel de Versailles. Ce faisant, il précise le contenu du contrôle de l’administration sur la régularité de la consultation du CHSCT. Il juge, en outre, que cette instance peut recourir aux procédures de demande d’injonction et de contestation des conditions de l’expertise et fixe les obligations du Direccte dans le cadre de ces procédures.
Si la consultation du CHSCT s’impose, le Direccte doit en contrôler la régularité
2. Le Conseil d’Etat estime tout d’abord que, lorsque le Direccte est saisi d’une demande de validation d’un accord collectif ou d’homologation d’un document unilatéral fixant le contenu d’un PSE pour une opération qui, parce qu’elle modifie de manière importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l’entreprise, requiert la consultation du ou des CHSCT concernés, il ne peut légalement accorder la validation ou l’homologation demandée que si cette consultation a été régulière.
3. Autrement dit :
- en cas de licenciement avec PSE, la consultation du CHSCT n’est pas systématique, mais elle s’impose si le plan est lié à une décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, conformément à l’article L 4612-8 (devenu L 4612-8-1) du Code du travail ;
- dans le cas où cette consultation s’impose, l’administration est tenue de contrôler sa régularité et d’y subordonner sa validation et/ou son homologation.
A noter : Le Conseil d’Etat confirme une solution retenue dans un précédent arrêt (CE 21-10-2015 no 386123 : RJS 1/16 no 20).
4. En l’espèce, à titre d’exemple, le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel a pu juger, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l’établissement en cause dans l’affaire devait perdre près de 20 % de ses effectifs et voir le contenu et l’organisation de ses activités substantiellement modifiés, que la consultation de son CHSCT était obligatoire, sans dénaturer les faits ni commettre d’erreur de droit.
Dans ce cadre, il doit s’assurer que le CHSCT a pu se prononcer en connaissance de cause…
5. Après avoir rappelé le principe du contrôle du Direccte, saisi dans le cadre d’une demande de validation ou d’homologation, sur la procédure de consultation du CHSCT, le Conseil d’Etat précise – et ce point est nouveau – le contenu de ce contrôle : il lui appartient de s’assurer, en tenant compte des conditions dans lesquelles l’expert le cas échéant désigné a pu exercer sa mission, que le ou les CHSCT concernés ont pu, lorsque leur consultation est requise, se prononcer sur l’opération projetée en toute connaissance de cause.
A noter : La Haute Juridiction rappelle les règles générales devant régir la consultation du CHSCT, qui s’appliquent aussi lorsque celui-ci est consulté dans le cadre d’un PSE : il doit disposer des informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions et des moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections (C. trav. art. L 4614-9). Dès lors qu’il y a projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité et les conditions de travail, il peut recourir à un expert agréé ayant accès à l’entreprise et aux informations nécessaires à l’exercice de sa mission (C. trav. art. L 4614-12 et L 4614-13).
Cette solution peut être rapprochée de celle selon laquelle, lorsque, dans le cadre d’une procédure de licenciement avec PSE, le CE recourt à l’assistance d’un expert-comptable, l’administration doit s'assurer qu'il a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité d'entreprise de formuler ses avis en toute connaissance de cause (CE 21-10-2015 no 382633 : RJS 1/16 no 21).
6. En l’espèce, le Conseil d’Etat considère que la cour administrative d’appel a pu juger que le CHSCT n’avait pas disposé des informations utiles pour se prononcer en connaissance de cause après avoir relevé :
- que l’expert désigné par le CHSCT n’avait pas pu obtenir de l’employeur les documents relatifs à la future organisation de l’établissement ;
- que les autres informations écrites et orales fournies au CHSCT lors de ses réunions ne lui avaient pas davantage apporté les éléments dont disposait l’employeur sur les modifications envisagées de l’organisation du travail dans l’établissement ;
- et, enfin, que l’inspecteur du travail compétent avait, entre les deux réunions du CHSCT, alerté sa hiérarchie sur l’insuffisance des informations fournies.
Pour le Conseil d’Etat, il en est ainsi alors même que le CHSCT n’avait formulé aucune demande d’injonction ni aucune contestation relative à l’expertise.
...peu important que le comité n’ait formé aucune contestation
7. La cour administrative d’appel avait relevé que, si l'administration avait fait valoir qu'elle n'avait été destinataire d'aucune demande d'injonction du CHSCT et que les conditions de l’expertise à laquelle il avait décidé d’avoir recours n'avaient pas été contestées dans les formes prévues à l'article R 4616-10 du Code du travail, il ne ressortait d'aucun texte qu'en l'absence de recours à ces procédures les salariés ne pourraient se prévaloir de l'irrégularité de la consultation.
Le Conseil d’Etat approuve cette position et en profite, au passage, pour préciser comment, en cours de procédure, le CHSCT peut contribuer au respect des règles régissant sa consultation.
Le CHSCT peut demander une injonction ou contester les modalités de déroulement d’une expertise
8. Aux termes de l’article L 1233-57-5 du Code du travail, toute demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de fournir des éléments d’information ou de se conformer à une règle de procédure est adressée à l’autorité administrative, qui se prononce dans les 5 jours. La tournure est impersonnelle, l’article L 1233-57-5 ne précisant pas qui peut adresser une telle demande. L’article D 1233-12 dispose, quant à lui, qu’elle est adressée par le comité d’entreprise (CE), ou, à défaut, les délégués du personnel (DP) ou, en cas de négociation d’un accord collectif majoritaire, les syndicats représentatifs. On pourrait donc déduire de ces textes que le CHSCT ne peut pas faire de demande d’injonction.
Dans le même ordre d’idées, l’article L 4614-13 du Code du travail dispose, de manière impersonnelle, que toute contestation relative à l’expert désigné par le CHSCT avant transmission de la demande de validation ou d'homologation est adressée à l’autorité administrative, qui se prononce dans un délai de 5 jours, l’article R 4616-10 prévoyant pour sa part que ces contestations doivent être adressées au Direccte, selon le cas, par l’employeur ou par les membres de l’instance commune désignée par le CHSCT. Toutefois, l’article R 4614-18, relatif à la désignation d’un expert par le CHSCT renvoie, en cas de contestation sur une expertise réalisée dans le cadre d’un projet de restructuration et de compression des effectifs, à l’article R 4616-10. Autrement dit, à notre avis, les textes reconnaissent au CHSCT le droit de contester les conditions de l’expertise.
9. En tout état de cause, le Conseil d’Etat juge que, dans les deux cas, le CHSCT a un droit de recours.
Pour lui, en effet, alors même que l’article D 1233-12 du Code du travail n’en prévoit pas expressément la possibilité, il résulte de l’ensemble des dispositions visées ci-dessus que, lorsque sa consultation est requise, le CHSCT peut, au cours de la procédure consultative préalable à la transmission d’une demande de validation ou d’homologation relative à un PSE, saisir le Direccte de toute atteinte à l’exercice de sa mission ou de celle de l’expert qu’il a, le cas échéant, désigné, en formulant, selon le cas, une demande d’injonction ou une contestation relative à l’expertise.
Le Conseil d’Etat précise aussi que le Direccte doit alors se prononcer dans un délai de 5 jours, et, s’il prononce une injonction, en informer le CHSCT qui l’a saisi, ainsi que le CE et, en cas de négociation d’un accord collectif majoritaire, les syndicats représentatifs.
A notre avis : La solution consistant à reconnaître au CHSCT le droit de demander une injonction n’était pas évidente. Le Conseil d’Etat a en effet, en se fondant sur la lettre des textes, refusé au même CHSCT toute qualité pour contester devant le juge les décisions de validation ou d’homologation du Direccte (CE 21-10-2015 no 386123 : RJS 1/16 no 20). Le contentieux engagé dans la présente affaire avait d'ailleurs été intenté par des salariés. L’idée était notamment que, en cas de méconnaissance de la procédure d’information et de consultation du CHSCT, le juge pouvait être saisi par les autres personnes ayant qualité pour agir – notamment CE et salariés ou syndicats y ayant intérêt. De même, on aurait pu concevoir de déléguer au CE, en cas de méconnaissance par l’employeur de ses obligations vis-à-vis du CHSCT, le soin de demander à l’administration d’adresser une injonction à l’employeur.
Parmi les raisons qui ont poussé les juges à adopter la présente solution, figure sans doute le fait que la procédure de demande d’injonction est difficilement séparable de celle de la contestation des modalités de l’expertise, qui, elle, ne relève pas du CE.
10. Le Conseil d’Etat paraît procéder à une « répartition des compétences » entre les deux procédures de demande d’injonction et de contestation des conditions de l’expertise. En règle générale, le CHSCT devra, semble-t-il, recourir à la première, sauf si l’employeur porte atteinte à la mission de l’expert, par exemple en s’opposant à l’entrée de celui-ci dans l’établissement, ou en ne lui fournissant pas les informations nécessaires : dans ce cas, le comité devra contester les conditions de l’expertise.
A noter : Il semble ressortir de cette répartition des compétences que, en cas de refus par l’employeur des informations utiles à la fois au CHSCT et à l’expert (ce qui lui était reproché en l’espèce), le CHSCT ou peut (?) recourir aux deux procédures à la fois.
En cas de méconnaissance par l’employeur des règles régissant l’information-consultation du CE, celui-ci n’a pas à choisir entre deux procédures. Il ne dispose que de celle de la demande d’injonction, même si la méconnaissance porte sur les conditions de l’expertise décidée par le comité.
Mais, s’il se tait, le Direccte reste tenu de contrôler la régularité de la procédure
11. Enfin, après avoir reconnu au CHSCT le droit de demander à l’administration de prononcer une injonction ou de contester auprès d’elle les conditions de l’expertise, le Conseil d’Etat précise les conséquences du silence du CHSCT : si le Direccte peut légalement tenir compte, dans l’appréciation globale qui lui incombe au titre de la régularité de la procédure consultative, de la circonstance que le CHSCT n’a formulé aucune demande d’injonction ni aucune contestation relative à l’expertise, cette circonstance ne le dispense pas de s’assurer que ce CHSCT a effectivement disposé des informations utiles pour se prononcer en toute connaissance de cause.
En effet, les procédures de demande d’injonction et de contestation des conditions de l’expertise visent à permettre aux institutions représentatives du personnel de contribuer au respect de la procédure consultative, comme le souligne d’ailleurs le Conseil d’Etat, pas à les charger de son contrôle, et à décharger corrélativement l’administration de celui-ci.
Pascale PEREZ DE ARCE
Pour en savoir plus : voir Mémento social nos 48135 s.