Si les éléments constituant le socle contractuel ne sont pas obligatoirement inscrits dans le contrat de travail, à l’inverse, tout ce qui figure dans le contrat de travail n’est pas nécessairement contractuel. La Cour de cassation a ainsi considéré que la mention du lieu de travail dans le contrat peut avoir simple valeur d’information (Cass. soc. 3-6-2003 n° 01-40.376 FP-PBRI et n° 01-43.573 FP-PBRI : RJS 8-9/03 n° 980), et que la référence dans le contrat de travail aux dispositions d’un accord collectif n’implique pas que ces dispositions ont été contractualisées (Cass. soc. 26-9-2012 n° 11-10.220 F-D : RJS 12/12 n° 963).
Une nouvelle illustration de ce principe vient d’être donnée en matière d’intéressement. Dans un arrêt du 6 mars dernier, la chambre sociale juge que la référence, dans un contrat de travail, aux modalités de calcul de cette prime prévues par un accord collectif n’emporte pas leur contractualisation.
Un avenant au contrat de travail mentionnant le mode de calcul de l’intéressement alors en vigueur
Dans cette affaire, un salarié avait adhéré à un dispositif de cessation anticipée d’activité proposé par son employeur, en signant le 29 mars 2012 un avenant à son contrat de travail. Cet avenant précisait que la période de dispense d’activité serait prise en compte à hauteur de 77 % d’un temps plein pour le calcul de l’intéressement, clause conforme à l’accord d’intéressement conclu fin 2010 dans l’entreprise et alors applicable. Mais peu de temps après, cet accord était dénoncé et un nouvel accord était conclu, fixant la prime d’intéressement pour cette catégorie de personnel à un tiers de celle des salariés en activité. L’intéressé s’étant vu appliquer ce nouveau mode de calcul en 2012 et 2013 et s’estimant lésé, il avait porté l’affaire devant le conseil de prud’hommes pour réclamer l’application du ratio de 77 % indiqué dans l’avenant à son contrat de travail.
Le nouvel accord d’intéressement s’applique au contrat de travail
Débouté en première instance, le salarié avait fait appel mais sa demande avait également été rejetée par la cour d’appel, qui l’estimait rempli de ses droits. Selon elle, l’intéressement étant par nature collectif, et le nouvel accord s’étant substitué au précédent, il lui était pleinement applicable, sans que le salarié puisse se prévaloir des mentions de l’avenant à son contrat de travail prises pour application de l’accord en vigueur à la date de sa conclusion.
La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié en posant le principe qu’il résulte des articles L 3312-2 et L 3313-2 du Code du travail (relatifs à l’instauration d’un intéressement collectif par accord et au contenu de cet accord) que la référence dans le contrat de travail d’un salarié aux modalités de calcul de la prime d’intéressement prévues par l’accord collectif alors en vigueur n’emporte pas contractualisation, au profit du salarié, de ce mode de calcul. Ainsi, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a constaté qu’un nouvel accord sur l’intéressement s’était substitué à celui en vigueur au moment de la conclusion de l’avenant au contrat de travail du salarié, a dit que les nouvelles modalités de calcul de l’intéressement étaient applicables à ce salarié.
A notre avis : L’arrêt concerne le cas d’une entreprise où l’intéressement avait été mis en place par un accord collectif. Mais selon nous, la solution de l’absence de contractualisation du mode de calcul de l’intéressement vaut pour les autres types d’accord pouvant mettre en place l’intéressement prévus à l’article L 3312-5 du Code du travail : accord avec les représentants d’organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, accord au sein du CSE, projet d’accord de l’employeur ratifié par le personnel. En effet, la Cour de cassation applique le principe de non-incorporation au contrat de travail dans le cas d’autres avantages extracontractuels que ceux issus d’un accord collectif. Elle a notamment jugé que la référence dans le contrat à un engagement unilatéral de l’employeur n’a pas pour effet de contractualiser cet avantage (Cass. soc. 25-5-2001 n° 09-71.502 F-D).
Le principe de faveur ne trouve pas à s’appliquer
L’absence de contractualisation a pour conséquence, d’une part, de ne pas permettre au salarié de reprocher à l’employeur une modification de son contrat de travail sans son accord exprès, par l’application du nouveau mode de calcul de l’intéressement. D’autre part, elle rend inopérant le principe de faveur, qui permet d’écarter l’application d’un accord collectif en présence d’une clause plus favorable du contrat de travail (C. trav. art. L 2254-1). Dès lors, le nouvel accord qui s’est substitué de manière régulière à l’ancien s’applique au contrat de travail du salarié de manière immédiate, automatique et impérative sans qu’il puisse s’y opposer.
A noter : En l’espèce, le salarié pouvait d’autant moins se prévaloir du principe de faveur que l’application du nouveau mode de calcul de l’intéressement (1/3 de la prime des actifs sur une assiette élargie) lui était en réalité nettement plus favorable que les anciennes règles de calcul (77 % de la prime sur une assiette réduite). Sa demande consistait à appliquer le taux de 77 % prévu par l’ancien accord, mais en retenant l’assiette élargie prévue par le nouvel accord...
Une contractualisation de l’intéressement est-elle possible ?
Si la simple référence, dans le contrat de travail, au mode de calcul de l’intéressement prévu par l’accord collectif n’emporte pas contractualisation, la question se pose de savoir si une telle contractualisation est possible dans le cas où les parties en manifesteraient clairement l’intention. En matière de lieu de travail, tout en faisant émerger la notion de clause informative, la Cour de cassation a laissé aux parties la possibilité d’une contractualisation par une « clause claire et précise stipulant que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu » (Cass. soc. 3-6-2003 n° 01-40.376 FP-PBRI et n° 01-43.573 FP-PBRI : RJS 8-9/03 n° 980). Pourrait-il en être de même pour l’intéressement ? Il est permis d’en douter, à l’instar de la cour d’appel qui, en l’espèce, a jugé que l’intéressement est « par nature collectif ».
En effet, l’intéressement ne peut être mis en place que par voie d’accord (C. trav. art. L 3312-2), accord qui détermine une formule de calcul de l’enveloppe globale à distribuer et fixe des critères de répartition entre les salariés (C. trav. art. L 3313-2), parmi ceux autorisés par l’article L 3314-5 du Code du travail. Attribuer une surprime à certains salariés en vertu de leur contrat de travail conduirait nécessairement à ne pas respecter les modalités prévues par l’accord et à léser le reste du personnel. Il est à noter que dans l’arrêt commenté, la chambre sociale juge que la non-contractualisation du mode de calcul de la prime d’intéressement résulte de ces articles L 3312-2 et L 3313-2 du Code du travail, ce qui pourrait signifier l’interdiction de toute contractualisation, même voulue par les parties.
Rien n’empêche par ailleurs l’employeur et le salarié de convenir d’une prime d’intéressement individuel aux résultats ou aux performances de l’entreprise, éventuellement indexée sur celle de l’intéressement proprement dit, mais ne venant pas fausser la clé de répartition prévue par accord.
Fanny DOUMAYROU
Pour en savoir plus sur le dispositif de l'intéressement : voir Mémento Social nos 34100 s.