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Contrats de mission requalifiés en CDI : attention aux délais de prescription applicables

Dans un arrêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation applique à l’action en requalification d’un contrat de mission le principe selon lequel la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. Dès lors, les demandes indemnitaires qui l’accompagnent se prescrivent différemment.

Cass. soc. 24-4-2024 n° 23-11.824 FS-B, C. c/ Sté Adequat 029


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©Getty Images

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 avril 2024, lequel a vocation à être publié au bulletin de la Cour de cassation, la chambre sociale se penche sur l’articulation entre les différents délais de prescription applicables dans le cadre de l’action en requalification de contrats de mission successifs en contrat à durée indéterminée (CDI). Si cette dernière est soumise à la prescription biennale, les demandes indemnitaires qui y sont associées relèvent pour leur part d’un régime autonome, déterminé en fonction de leur objet respectif, certaines pouvant être prescrites quand d’autres ne le sont pas. Une solution logiquement transposable à l’action en requalification de contrats à durée déterminée (CDD) en CDI.

La requalification de contrats de mission en CDI

Un salarié engagé par 3 contrats de mission entre mars 2017 et avril 2017 a saisi la juridiction prud’homale le 7 février 2019 afin d’obtenir, d’une part, la requalification des contrats de mission en CDI en l’absence d’écrit les formalisant et, d’autre part, des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et le paiement d’une indemnité de préavis assortie des congés payés afférents.

Si la cour d’appel a accueilli favorablement sa demande de requalification, elle a en revanche jugé irrecevables ses demandes indemnitaires, considérant qu’elles étaient prescrites. Le salarié s’est alors pourvu en cassation.

Rappel des délais de prescription applicables

Dans sa rédaction issue de la loi 2013-504 du 14 juin 2013, l’article L 1471-1, alinéa 1 du Code du travail n’opérait aucune distinction entre les actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, lesquelles étaient soumises à la prescription biennale.

L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 a dissocié ces délais d’actions. Si l’action portant sur l’exécution du contrat de travail doit toujours être engagée dans les 2 ans suivant le jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (C. trav. art. L 1471-1, al. 1), les actions portant sur la rupture du contrat de travail se prescrivent désormais par 12 mois à compter de la notification de la rupture (C. trav. art. L 1471-1, al. 2).

Concernant l’application de ces dispositions dans le temps, l’article 40, II de l’ordonnance du 22 septembre 2017 précise, d’une part, que ces dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de l’ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure et, d’autre part, que, lorsqu’une instance a été introduite avant la publication de l’ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne, y compris en appel et cassation.

Une application distributive des délais de prescription

À l’appui de son pourvoi, le salarié soutenait que l’action en requalification de contrats de mission en CDI obéissant à la prescription biennale, les demandes au titre des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse ou nul, qui naissent au jour de la requalification, devaient être soumises à la même règle que l’action en requalification.

Si l’action en requalification de contrats de mission en CDI est soumise à la prescription biennale…

Conformément à l’article L 1471-1 du Code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d’exercer son droit. La Cour de cassation juge avec constance que l’action en requalification de contrats de mission, ou de CDD, en CDI relève de cette catégorie et que le délai de prescription biennale d’une action en requalification fondée sur le motif du recours au contrat énoncé a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats, le terme du dernier contrat (sur la requalification de CDD en CDI, voir Cass. soc. 29-1-2020 n° 18-15.359 FS-PBI : RJS 4/20 n° 170 ; sur la requalification de contrats de mission en CDI, voir Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-16.655 FS-B : RJS 10/21 n° 526 et Cass. soc. 11-5-2022 n° 20-12.271 FS-B : RJS 7/22 n° 397).

La cour d’appel a donc jugé l’action en requalification recevable, celle-ci ayant été introduite, conformément à la jurisprudence précitée, dans le délai de 2 ans suivant la fin du dernier contrat.

… il en va différemment des demandes indemnitaires qui l’accompagnent

Une fois la requalification acquise se posait la question du caractère autonome, par rapport à la prescription de l’action en requalification, de celle des demandes indemnitaires en résultant.

Trois options envisageables

Comme l’avait souligné l’avocat général dans son avis, les conséquences indemnitaires de la requalification des contrats litigieux étaient susceptibles de relever de 3 délais de prescription concurrents, au regard de la date de rupture de la relation de travail survenue le 14 avril 2017 :

  • celui de l’article L 1471-1 du Code du travail qui était, sous l’empire de la loi en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 au moment de cette rupture, de 2 ans pour toute action portant aussi bien sur l’exécution que sur la rupture du contrat de travail (voir ci-dessus) ;

  • le délai d’un an concernant les actions en matière de rupture du contrat de travail inscrit à l’article L 1471-1, alinéa 2 du même Code depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 et susceptible de s’appliquer par le jeu des dispositions transitoires (voir ci-dessus) ;

  • le délai de 3 ans applicable à la répétition des créances salariales (C. trav. art. L 3245-1).

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée

Dans l’arrêt du 24 avril 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée, faisant ainsi directement application d’un principe dégagé dans plusieurs arrêts du 30 juin 2021 (Cass. soc. 30-6-2021 n° 18-23.932 FS-B : RJS 10/21 n° 544 ; Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-14.543 FS-B : RJS 10/21 n° 522 ; Cass. soc. 30-6-2021 n° 20-12.960 FS-B : RJS 10/21 n° 524).

En outre, dans le cadre d’une étude consacrée à la prescription en matière de droit du travail, publiée au recueil annuel des études 2023, la Haute Juridiction avait précisé que ce critère principal se décline, en cas de demandes multiples, par une application distributive de chaque régime de prescription en fonction de la nature de la demande, ce qui peut conduire à retenir la prescription pour certaines et à l’écarter pour d’autres.

La demande relative aux dommages-intérêts pour licenciement abusif se prescrit par 12 mois

Faisant une application de la règle dégagée par les arrêts du 30 juin 2021 et du mécanisme de l’application distributive des règles de prescription, la chambre sociale de la Cour de cassation juge que, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement de dommages-intérêts en raison d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en CDI, est soumise à la prescription de l’article L 1471-1 du Code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail.

En l’espèce, compte tenu des dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017 (voir ci-dessus), le délai de prescription d’un an applicable à la demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif, qui avait commencé à courir le 14 avril 2017 (au départ pour deux années), s’est donc écoulé jusqu’au 23 septembre 2017, date de publication de l’ordonnance, puis s’est prolongé pour une année (nouveau délai d’un an issu de l’ordonnance) pour s’achever le 23 septembre 2018, cette durée totale (un an, 5 mois et 9 jours) n’excédant pas la durée initiale de 2 ans applicable antérieurement à la réforme. Dans ces conditions, le salarié ayant saisi la juridiction prud’homale le 7 février 2019, l’action était prescrite.

La demande en paiement d’une indemnité de préavis obéit à la prescription triennale

En revanche, faisant toujours application de la règle dégagée par les arrêts du 30 juin 2021, la chambre sociale relève un moyen de pur droit et casse l’arrêt qui avait déclaré prescrite la demande en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

La Haute Juridiction considère que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, qui a la nature d’une créance salariale, est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L 3245-1 du Code du travail.

A noter :

La chambre sociale de la Cour de cassation a déjà affirmé la nature de créance salariale de l’indemnité de préavis ou compensatrice de préavis (Cass. soc. 4-7-2012 n° 10-19.404 F-D ; Cass. soc. 15-1-2014 n° 12-28.238 FD : RJS 3/14 n° 219), même lorsque celle-ci est due à la suite d’une requalification de contrats en CDI (Cass. soc. 16-12.2015 n° 14-15.997 FS-PB).

En l’espèce, le délai de 3 ans ayant couru à compter du 14 avril 2017, date de la rupture de la relation de travail, pour s’achever le 14 avril 2020, la demande en paiement de l’indemnité et des congés payés afférents formulée antérieurement (le 7 février 2019) était recevable.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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