Cass. soc. 6-11-2024 n° 23-15.368 FS-B, Sté Ateliers Aubert-Labansat c/ P.
Une définition « capitalistique » du groupe de reclassement du salarié inapte
Lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident, professionnel ou non, est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application de ces dispositions, le groupe est celui formé par une entreprise appelée « entreprise dominante » et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L 233-1, aux I et II de l'article L 233-3 et à l'article L 233-16 du Code de commerce (C. trav. art. L 1226-2 en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle ; C. trav. art. L 1226-10 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle).
A noter :
La notion de groupe pour le reclassement d'un salarié victime d'une inaptitude d'origine professionnelle (C. trav. art. L 1226-10) ou non professionnelle (C. trav. art. L 1226-2) a été modifiée par l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, rectifiée par l'ordonnance 2017-1718 du 20 décembre 2017. Une définition « capitalistique » du groupe, faisant référence au droit commercial, s'applique ainsi désormais (voir FRS 19/17 inf. 54 et FRS 3/18 inf. 6) aux salariés déclarés inaptes depuis l’entrée en vigueur de ces textes (Cass. soc. 5-7-2023 n° 22-10.158 FS-B : FRS 16/23 inf. 7 p. 17). Auparavant, la notion de groupe de reclassement était définie par la jurisprudence. La Cour de cassation jugeait en effet, de manière constante, que le reclassement du salarié inapte devait être recherché parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettaient d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important l'existence de liens juridiques ou capitalistiques entre les sociétés (Cass. soc. 24-10-1995 n° 94-40.188 P : RJS 12/95 n° 1240).
Par un arrêt du 6 novembre 2024, la Cour de cassation applique la nouvelle définition du groupe de reclassement. Plus précisément, elle se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur le régime de la preuve en matière de périmètre des recherches de reclassement préalable au licenciement pour inaptitude.
Lorsque le salarié soutient que l’employeur appartient à un groupe de reclassement…
En l’espèce, un salarié victime d’un accident du travail est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail en 2018 avant d’être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Estimant notamment que son employeur a manqué à l’obligation de reclassement, le salarié saisit la juridiction prud’homale afin que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Il soutient en effet que l’employeur appartient à un groupe, au sens de l’article L 1226-10 du Code du travail, et que son reclassement aurait dû y être recherché.
La cour d’appel a fait droit à sa demande. Selon elle, il ressortait d’un document émanant de l’expert-comptable de la société employeur que cette dernière était détenue à 100 % par une autre société, elle-même détenue par une holding à 18,51 %, et qu’elle détenait 36,6 % d’une société avec laquelle elle était installée sur le même site.
En outre, pour elle, aucun organigramme des différentes sociétés liées à la holding n’était produit, ce qui empêchait de vérifier si, au sein de cet ensemble de sociétés, n’existait pas une entreprise dominante. Les informations relatives à la détention du capital des différentes sociétés étaient parcellaires et l’employeur avait choisi de ne pas fournir ces informations essentielles, alors qu’il était le seul à pouvoir le faire.
Enfin, les deux sociétés qui étaient domiciliées sur le même site effectuaient des chantiers en commun et l’employeur n’établissait ni ne soutenait que la permutation du personnel entre ces deux sociétés était impossible.
L’employeur se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, il fait notamment valoir que la cour d’appel a, à tort, fait peser exclusivement sur lui la charge de la preuve de l’existence du groupe, de son périmètre et des relations capitalistiques liant les sociétés qui l’auraient composé.
… la charge de la preuve pèse plus lourdement sur l’employeur
La Cour de cassation approuve la décision des juges du fond d’avoir jugé le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse. Pour elle, si la preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement incombe à l’employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
A noter :
La Cour de cassation reprend ici, dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude, le principe qu’elle a déjà énoncé à propos du groupe de reclassement en cas de licenciement pour motif économique (Cass. soc. 31-1-2021 n° 19-17.300 FS-P : RJS 6/21 n° 308 ; Cass. soc. 23-10-2024 n° 23-18.271 F-D). Jusqu’alors, en matière d’inaptitude, elle avait seulement, avant les ordonnances de 2017 et donc alors que l’étendue du périmètre de reclassement dépendait du seul critère de permutabilité des salariés, estimé que, s’agissant de la détermination de la consistance ou du périmètre d’un groupe, le juge forme sa conviction au vu de l’ensemble des éléments fournis par les deux parties (Cass. soc. 15-3-2017 n° 15-24.392 FS-D : RJS 5/17 n° 321 ; Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-13.122 FS-PB : FRS 20/20 inf. 12 p. 21). Comme le souligne le conseiller rapporteur, dans son rapport diffusé sur le site de la Cour de cassation, il ne s’agit pas d’un partage de la charge de la preuve, comme il peut en exister dans d’autres contentieux de la matière sociale, mais simplement d’éviter de faire peser sur l’employeur une preuve négative, dans les cas où, sans élément tangible permettant une discussion utile, un salarié invoque l’appartenance de l’employeur à un groupe.
Aussi, dès lors que la cour d’appel avait fait ressortir que l’employeur n’apportait pas d’éléments suffisants pour déterminer le périmètre du groupe au niveau duquel devait être apprécié le reclassement, elle ne pouvait qu’en déduire, en l’état des éléments qui lui étaient soumis tant par l’employeur que par le salarié, et sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, que l’employeur ne justifiait pas avoir satisfait à son obligation de reclassement dans un périmètre pertinent.
A noter :
Comme le souligne l’avocate générale dans son avis joint à l’arrêt et diffusé sur le site de la Cour de cassation, lorsque est contesté le périmètre dans lequel l’employeur a procédé aux recherches de reclassement du salarié inapte, ce dernier ne peut pas se contenter de soutenir que ce périmètre était plus vaste, notamment parce que la société qui l’emploie appartient à un groupe, sans fournir à tout le moins un commencement de preuve de ses allégations. Il doit apporter un minimum de précisions, notamment en citant certaines des autres sociétés qui, selon lui, composent ce groupe, voire en versant aux débats des éléments de preuve de leurs liens entre elles. S’il ne le fait pas, sa contestation sur le périmètre retenu par l’employeur ne peut pas aboutir. Mais, s’il apporte des éléments sur ce prétendu groupe, l’employeur doit produire les documents qu’il estime pertinents pour écarter tous liens capitalistiques avec d’autres sociétés. Il assume une charge probatoire plus lourde que celle pesant sur le salarié car lui seul dispose d’un accès facilité aux documents permettant d’écarter toute appartenance à un groupe ou d’en fixer les limites. En ne le faisant pas, l’employeur court le risque que les juges du fond, au regard de tous les éléments produits de part et d’autre, retiennent un périmètre de reclassement plus vaste que celui qu’il avait lui-même déterminé. Il faut donc déduire de l’arrêt du 6 novembre 2024 que c’est d'abord à l'employeur de communiquer des éléments permettant de dire que le périmètre de reclassement qu'il a retenu dans le groupe dont il relève est exact, au regard des critères énoncés à l’article L 1226-10 du Code du travail, parce que c'est sur lui que pèse l'obligation de reclassement. Ce n'est que dans la mesure où une discussion s'instaure sur le périmètre retenu que le juge doit alors déterminer quel était le périmètre pertinent, en considération des éléments qui lui sont soumis. En l’espèce, la cour d’appel a estimé que l’employeur ne fournissait pas d’éléments suffisants pour déterminer le périmètre du groupe de reclassement et que donc il ne justifiait pas avoir satisfait à son obligation de reclassement.
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