Un dispositif de report de divers délais arrivant à échéance entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus (période dite « juridiquement protégée » instaurée pour faire face à la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19) a été instauré, rappelons-le, par l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée à plusieurs reprises (notamment, « Covid-19, encore une nouvelle ordonnance sur la prorogation des délais » : BRDA 11/20 inf. 16).
Cette ordonnance prévoit notamment que tout acte, action en justice, recours, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par les textes à peine de sanction (nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, déchéance, etc.) et qui aurait dû être accompli pendant la période juridiquement protégée est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué, à compter du 23 juin 2020, dans le délai imparti pour agir (Ord. 2020-306 art. 2, al. 1).
Pourquoi une nouvelle modification ?
L'article 2 de l'ordonnance 2020-306, qui permet notamment de reporter au 23 juin 2020 le point de départ du délai dans lequel un créancier peut former opposition à une opération (par exemple : versement du prix de vente d’un fonds de commerce, transmission universelle de patrimoine d’une société à une autre, réduction de capital social non motivée par des pertes), a-t-il aussi pour effet de reporter après la période juridiquement protégée la réalisation de l’opération concernée ?
Le ministère de la justice a répondu par la négative (BRDA 9/20 inf. 23) mais sa position n’a pas été unanimement suivie. Elle était contestée, « notamment par certains acteurs qui remplissent des fonctions au profit des entreprises et qui refusent de délivrer les actes nécessaires à la poursuite des opérations » (Rapport au Président de la République sur la nouvelle ordonnance). C’est pourquoi le Gouvernement a pris une nouvelle ordonnance comportant une disposition interprétant l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 dans le même sens que la Chancellerie. Nous présentons ci-après les « changements » induits par cette disposition.
Contenu et portée de la modification
La nouvelle ordonnance complète l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 par un alinéa aux termes duquel « lorsque les dispositions [de cet] article s'appliquent à un délai d'opposition ou de contestation, elles n'ont pas pour effet de reporter la date avant laquelle l'acte subordonné à l'expiration de ce délai ne peut être légalement accompli ou produire ses effets ou avant laquelle le paiement ne peut être libératoire ».
Ainsi, une opération pour laquelle le délai d’opposition expire pendant la période juridiquement protégée peut être réalisée à l’expiration de ce délai. Et cette mesure ne prive pas les créanciers, qui continuent de bénéficier des dispositions de l’article 2 précité, de leur droit de former opposition après cette période (Rapport au Président de la République sur la nouvelle ordonnance).
La nouvelle ordonnance précise que cette modification de l'article 2 précité a un caractère interprétatif. Ainsi, comme pour l’ajout apporté à l’article 2 par l’ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020 sur les délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation (BRDA 9/20 inf. 21 nos 4 s.), le caractère interprétatif de la modification signifie, non pas qu’elle modifie le sens de l’article 2, mais qu’elle en explicite la portée en indiquant que, depuis l’origine, cet article ne s’applique pas à la réalisation des opérations pour lesquelles le droit d’opposition est exercé.
En conséquence, cette modification rétroagit au 25 mars 2020, date de prise d’effet de l’ordonnance 2020-306.
Opposition à une réduction de capital
En matière de réduction de capital social non motivée par des pertes, par exemple, les textes prévoient un délai d’opposition des créanciers de la société pendant lequel les opérations de réduction de capital ne peuvent pas être réalisées (20 jours à compter du dépôt au greffe du procès-verbal de la délibération de l'assemblée ayant autorisé la réduction : C. com. art. L 225-205 et R 225-152), celles-ci ne pouvant débuter qu’à l’expiration de ce délai.
L’article 2 précité n’est pas applicable au délai prévu pour commencer les opérations de réduction de capital et il ne conduit pas à différer la réalisation des opérations de réduction de capital au-delà de ce délai (Rapport précité au Président de la République).
Opposition à une transmission universelle de patrimoine
En matière de transmission universelle de patrimoine d’une société dissoute par son associé unique personne morale, la date de réalisation de la transmission universelle de patrimoine prévue par l’article 1844-5, al. 3 du Code civil (30 jours à compter de la publication de la dissolution) ne correspond pas à un « acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication » au sens de l’article 2 de l’ordonnance 2020-306, si bien que le dispositif prévu par ce texte ne s’applique pas à la réalisation de la transmission universelle de patrimoine (Rapport précité au Président de la République).
Par ailleurs, « l’issue du délai d’opposition », événement qui sert de référence pour déterminer la date de réalisation de la transmission du patrimoine, n’est pas modifiée si des créanciers forment opposition après l’expiration du délai de 30 jours. Cette disposition, qui permet seulement de déclarer valable une opposition faite hors délai, ne correspond pas à une prorogation de délai. L’application de l’article 2 de l’ordonnance précitée ne conduit donc pas à décaler la date de réalisation de la transmission universelle de patrimoine au-delà du délai prévu à l’article 1844-5 du Code civil (Rapport précité au Président de la République).
Les termes du rapport précité reprennent, de façon résumée, ceux du ministère de la justice (BRDA 9/20 inf. 23 nos 8 s.). La Chancellerie avait ajouté que, sous réserve de l’appréciation des tribunaux, le créancier de la société dissoute qui souhaiterait bénéficier de l’article 2 de l’ordonnance et qui formerait opposition à la dissolution alors que la transmission universelle de patrimoine aurait déjà produit effet pourra faire valoir ses droits auprès de l’associé unique : la société dissoute ayant perdu sa personnalité juridique et transmis l’intégralité de son passif et de son actif à celui-ci, le créancier pourra lui demander le remboursement anticipé de sa créance ou la constitution de garanties.
Autres cas
En matière de cession de fonds de commerce, l’application de l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 au délai dans lequel les créanciers du vendeur peuvent former opposition au versement du prix de vente entre ses mains (10 jours qui suivent la dernière des publications de la vente du fonds : C. com. art. L 141-14) ne conduit pas non plus à différer la date à partir de laquelle l’acquéreur peut valablement payer son vendeur (à l’expiration du délai de 10 jours : art. L 141-17) et être libéré à l’égard des tiers par ce paiement (Rapport précité).
La Chancellerie avait précisé à ce sujet que l’acquéreur du fonds peut verser le prix de vente entre les mains du vendeur dès lors que le délai de dix jours est écoulé. Ainsi, le créancier pourra valablement former opposition dans le délai de dix jours après la fin de la période juridiquement protégée mais il ne pourra pas récupérer le prix de vente entre les mains de l’acquéreur, ce dernier étant libéré à son égard (BRDA 9/20 inf. 23 n° 5).
En matière de saisie de compte bancaire, l’application de l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 au délai de contestation du débiteur saisi ne conduit pas à différer le délai à l’issue duquel, en application de l’article L 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution, l’huissier peut réclamer le versement des fonds (Rapport précité au Président de la République).
Pour en savoir plus sur les calendrier de transmissions universelles de patrimoine (TUP) à l’épreuve du Covid-19 : voir La Quotidienne du 4 mai 2020
Pour en savoir plus sur les conséquences du Coronavirus pour les entreprises et leurs salariés, les questions qu'elles posent et les réponses à y apporter : retrouvez notre Dossier spécial Coronavirus (Covid-19) alimenté en temps réel.
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