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Covid-19 : condamnation de l’assureur à indemniser les pertes d’exploitation du restaurateur

L’assureur doit indemniser le restaurateur de ses pertes d’exploitation suite à une fermeture administrative pour cause de covid-19. La clause d’exclusion de garantie, qui ne remplit pas la condition de limitation (C. assur., art. L. 113-1) et qui prive l’obligation essentielle de garantie de sa substance, est réputée non écrite.

Aix-en-Provence, 25 févr. 2021, n° 20/10357


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Le domaine des assurances n’est pas épargné par la crise sanitaire mondiale. Cette pandémie a eu un impact économique considérable sur certaines activités qui relèvent du secteur tertiaire telle que la restauration. Afin de ralentir la propagation du coronavirus, les restaurants et débits de boissons ne pouvaient plus accueillir de public jusqu’au 15 avril 2020 (art. 1er de l’arrêté du ministère de la Santé du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, et art. 8 du décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020). L’interdiction a été prorogée jusqu’au 2 juin.

L’arrêté ministériel autorisait toutefois, durant le premier confinement, ces établissements à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison afin de limiter la baisse des recettes. Autrement dit, une activité partielle semblait être possible pour les établissements pour lesquels une activité de vente à emporter était à l’origine autorisée par la clause de destination du bail commercial (C. civ., art. 1719) et déclarée au K-bis. Les établissements qui n’ont pu exercer la vente à emporter ont connu un arrêt total de leur activité engendrant de grandes difficultés financières.

Aujourd’hui encore la viabilité de certaines entreprises est menacée par l’interdiction d’accueil du public qui se poursuit (V. Décr. n° 2020-1310 du 29 oct. 2020, qui en son art. 40 interdit l’accueil du public aux restaurants et débits de boissons – ERP N –, établissements flottants pour leurs activités de restauration et débit de boissons – ERP EF –, restaurants d’altitude – ERP OA –, et aux hôtels pour les espaces dédiés aux activités de restauration et débit de boisson) ; même si par dérogation ces établissements sont autorisés à accueillir du public pour leurs activités de livraison et de vente à emporter.

Cependant, si la restauration rapide (vente à emporter, livraison) a accru ses parts de marché avec la crise sanitaire par une augmentation de sa fréquentation (selon le bilan 2020 dressé par The NPD Group, spécialiste des études de marché, la restauration rapide concentre aujourd’hui 43 % des visites, contre 36 % il y a un an), tel n’est pas le cas de la restauration à table et débits de boissons (« la restauration à table a perdu la moitié de sa fréquentation et de son chiffre d’affaires en 2020 », The NPD, op. cit.), du fait que la plupart des restaurateurs n’étaient pas préparés, ni équipés pour exercer la vente à emporter et la livraison (absence du dispositif du « click and connect », d’emballages spécifiques adaptés au transport et à l’hygiène alimentaire, etc.). En conséquence, ils ne sont pas parvenus à limiter leurs pertes d’exploitation.

Néanmoins, chaque restaurateur est conscient de connaître un jour une potentielle baisse de son niveau d’activité pouvant résulter d’une fermeture partielle ou totale de son établissement. C’est pour ces raisons que, même si le risque « perte d’exploitation » n’est pas soumis à l’obligation d’assurance, certains restaurateurs souscrivent une « assurance pertes d’exploitation » qui, la plupart du temps, fait partie d’un contrat d’assurance multirisques, comme c’est le cas dans l’arrêt d’appel à commenter : la police garantit les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative. En raison de l’épidémie de covid-19 qui a causé la fermeture de grands nombres d’établissements de restauration, les professionnels, assurés pour le sinistre, se sont tournés vers leur assureur pour être indemnisés de leurs pertes d’exploitation. Or, certaines compagnies d’assurance se sont retrouvées sous le feu des projecteurs en refusant d’indemniser leurs assurés au motif que le risque pandémique était inassurable (T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. R. Bigot) ou qu’il existait une exclusion de garantie.

Plusieurs tribunaux de commerce ont été saisis et ont condamné à de nombreuses reprises, tant en référé qu’au fond, les compagnies d’assurances à indemniser les commerçants de leurs pertes d’exploitation à la suite de l’épidémie de covid-19 (T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, préc. ; T. com. Annecy, 22 déc. 2020 n° 2020R00066 ; T. com. Marseille, 23 juill. 2020, n° 2020R00131). Néanmoins, d’autres tribunaux de commerce (T. com. Toulouse, 18 août 2020, n° 2020J00294 ; T. com. Lyon, 4 nov. 2020, n° 2020J00525), ainsi que la cour d’appel d’Aix-en-Provence se sont prononcés en faveur de l’assureur (Aix-en-Provence, 3 déc. 2020, n° 20/07308).

Par l’arrêt rapporté, cette même cour d’appel a cependant condamné la compagnie d’assurance AXA à indemniser un de ses assurés.

Cet arrêt d’appel, qui a été le premier rendu au fond sur la question de l’indemnisation des pertes d’exploitation, était très attendu par les professionnels de la restauration.

Si la position des juges tend majoritairement en faveur des assurés, la divergence des décisions s’explique par les difficultés qui concernent l’étendue de la garantie pertes d’exploitation et la validité des clauses d’exclusion présentes dans différents contrats d’assurance (L. Vogel et J. Vogel, Les contentieux commerciaux liés à la crise sanitaire et leurs enseignements, JCP févr. 2021. 239). « Chaque décision est liée aux circonstances de l’espèce et à la rédaction du contrat qui lui est soumis » (D. Houtcieff, La garantie des pertes d’exploitation résiste-t-elle à la covid-19 ?, Gaz. Pal. 5 janv. 2021, p. 29).

En l’espèce, l’application de la clause d’exclusion est au cœur du débat.

Un restaurateur marseillais a souscrit un contrat d’assurance multirisque professionnelle auprès de la compagnie d’assurance AXA France qui garantit les pertes d’exploitation dues à une fermeture administrative consécutive notamment à une épidémie. Cependant, le contrat comporte une clause d’exclusion de garantie pertes d’exploitation qui stipule que ces pertes sont exclues « lorsque au moins un autre établissement, quelle que soit la nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

Le 14 mars 2020, le ministère des Solidarités et de la santé a prononcé, par un arrêté, l’interdiction des restaurants et débits de boisson à recevoir du public. Cette interdiction a été prorogée par décret du 14 avril 2020 jusqu’au 2 juin 2020. Puis du 28 septembre jusqu’au 4 octobre 2020.

À la suite de cette interdiction pour épidémie de coronavirus, le restaurateur a effectué auprès de la compagnie d’assurance AXA une déclaration de sinistre pour perte financière, laquelle a opposé un refus de garantie en vertu de la clause d’exclusion.

Le restaurateur marseillais a assigné devant le tribunal de commerce de Marseille son assureur selon la procédure à jour fixe afin d’obtenir l’indemnisation de ses pertes d’exploitation liées à l’épidémie de covid-19.

Le 15 octobre 2020, le tribunal de commerce a, au visa des articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1190 du code civil, déclaré la clause d’exclusion de garantie réputée non écrite et a condamné la compagnie d’assurance AXA à indemniser le restaurateur pour ses pertes d’exploitation liées à l’épidémie de Covid-19. Le montant des pertes d’exploitation devra être évalué par une expertise que l’assureur devra mettre en œuvre dans les deux mois de la signification du jugement sous astreinte de 500 € par jour de retard.

L’assureur a interjeté appel. Il invoque l’application de la clause d’exclusion de garantie et demande à la cour d’appel d’infirmer le jugement rendu.

Mais la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans l’arrêt du 25 février 2021 rapporté, a confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce. Selon les juges d’appel, la garantie « perte d’exploitation suite à la fermeture administrative » trouve à s’appliquer. En effet, les juges du fond relèvent que le contrat d’assurance multirisque professionnelle souscrit garantit les pertes d’exploitation liées à une fermeture administrative consécutive à une épidémie et ils constatent que c’est à la suite de plusieurs décisions administratives interdisant les établissements de restauration à recevoir du public en raison de l’épidémie de covid-19 que l’assuré a subi des pertes d’exploitation.

Ainsi pour les juges, l’interdiction d’accueillir du public est une fermeture administrative de l’établissement de restauration (R. Bigot, op. cit.). L’assureur doit par conséquent prendre en charge les pertes d’exploitation, a fortiori dès lors que la cour d’appel d’Aix-en-Provence estime que la clause d’exclusion présente dans la police ne peut recevoir application en raison de son imprécision et de son absence de limitation.

En effet, pour écarter l’application de la clause d’exclusion, les juges  se fondent sur les dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances aux termes duquel « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». À cet égard, il est de principe que le caractère limité d’une clause d’exclusion de garantie au sens de l’article L. 113-1 n’est pas satisfaite si la clause litigieuse est interprétable (Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 99-10.849, D. 2001. 2778 , note B. Beignier  ; ibid. 2002. 2115, obs. J. Bonnard  ; RDI 2001. 488, obs. G. Durry ).

Dans l’arrêt sous étude, si la clause d’exclusion vise « la fermeture administrative pour une cause identique », – dans les faits, l’épidémie de coronavirus – les juges d’appel relèvent l’absence de définition dans la police du terme « épidémie ». Reprenant pour partie la définition du dictionnaire Larousse selon laquelle l’épidémie doit s’entendre comme « le résultat du développement et de la propagation rapide d’une maladie contagieuse dans une population » (rappr. : T. com. Lyon, 4 nov. 2020, préc., Gaz. Pal. 5 janv. 2021, p. 29, obs. D. Houtcieff), les juges précisent la notion de « population » qui peut être celle « d’un lieu limité, mais aussi d’un village, d’une ville d’une région, d’un ou de plusieurs pays ». Ils relèvent également à juste titre que le terme de « maladie contagieuse » présent tant dans la définition de l’épidémie que dans le contrat d’assurance n’est pas non plus définie dans la police. Dès lors, doit-on considérer que la notion de « maladie contagieuse » est similaire à celle d’ «épidémie » notamment lorsqu’il a été énoncé « qu’une épidémie ne se situe pas forcément à un niveau territorialement étendu » et peut « naître au sein d’un endroit source précis et toucher un nombre de personnes plus restreint, formant ainsi un foyer limité dans l’espace » ? (T. com. Lyon, 4 nov. 2020, préc.). Il faut alors constater que le terme « épidémie » est soumis à interprétation, excluant de la sorte le caractère limité de l’exclusion de garantie.

Le caractère limité de la clause est également exclu lorsqu’elle vise un « autre établissement » devant faire l’objet d’une fermeture administrative pour cause identique. En effet, il ressort distinctement de la clause que la nature de l’établissement ainsi que son activité importent peu. Il en est de même du « territoire départemental » mentionné, lequel dépasse le simple cadre d’un village ou d’une ville, ce qui laisse entendre que d’autres établissements sur le même territoire seront vraisemblablement touchés. La clause d’exclusion de garantie ne se réfère aucunement « à des critères précis, ni à des hypothèses limitativement énumérées » (L. Vogel et J. Vogel, op. cit.). En raison de son imprécision, la clause litigieuse est source d’interprétation et doit être réputée non-écrite.

Les juges d’appel écartent également l’application de la clause d’exclusion sur le fondement des articles 1170 et 1190 du code civil. Le fait qu’aucune distinction quant à la population visée n’ait été opérée dans la police, ni que le contrat ne mette en exergue les différences entre une « épidémie » et une « maladie contagieuse » signifient que l’assureur s’est engagé à garantir les pertes d’exploitation résultant d’une décision de fermeture à la suite d’une épidémie au sens général du terme. En effet, lorsqu’il a rédigé le contrat, il est évident que l’assureur avait conscience que l’épidémie ne puisse se cantonner à un seul établissement sur le même territoire et que dans une forte probabilité elle puisse être nationale. Il s’ensuit que selon les juges, l’assureur ne pouvait, sans que l’application de la clause d’exclusion prive de sa substance l’obligation essentielle de garantie, d’un côté indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies à la suite d’une fermeture administrative liée à une épidémie, « et de l’autre côté, exclure les cas où l’épidémie toucherait un autre établissement dans le même département, quelle que soit son activité » (V. Morales, La garantie pertes d’exploitation des restaurateurs en temps de covid-19 : tour de table des premières décisions !, Lexbase Hebdo éd. privée, 15 oct. 2020, N4918BYS). La clause d’exclusion qui vide de son contenu la garantie accordée doit être réputée non écrite. Conscient de cette problématique, l’assureur avait proposé le 28 octobre 2020 à son assuré un avenant définissant avec précision les termes « épidémie et pandémie » afin d’exclure de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie.

La cour d’appel a ainsi condamné l’assureur à allouer à son assuré une indemnité provisoire pour la période du premier confinement ainsi que pour les périodes de fermeture administrative postérieures. Le montant des pertes d’exploitation devra être évaluer par une expertise devant être mise en œuvre par l’assureur.

Les litiges similaires pendants devant plusieurs juridictions de premier degré et d’appel expliquent l’attente de cette décision par les restaurateurs. Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’une telle solution ne saurait constituer un principe dans la mesure où toutes les polices ne sont pas identiques.

Sarah ANDJECHAIRI-TRIBILLAC

Cette information a été publiée sur le site Dalloz actualité

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