Dans le cadre d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant la période d’observation sont payées à leur échéance ou par privilège (C. com. art. L 622-27, I). Il en est de même en cas de liquidation judiciaire si la prestation a été fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité ou en exécution d'un contrat en cours régulièrement poursuivi après l’ouverture de la liquidation judiciaire (art. L 641-13, I).
En 2010, l’exploitant d’un golf vend un terrain à un entrepreneur qui souhaite y édifier un club privé. L’entrepreneur s’engage à souscrire auprès de l’exploitant des « cartes société » qui, moyennant une redevance annuelle, lui permettent de proposer aux futurs membres du club des avantages sur les infrastructures du golf. L’entrepreneur est mis sous sauvegarde en 2015, puis en liquidation judiciaire en 2017. L’exploitant du golf demande que lui soit payée une provision sur les redevances de 2016 et 2017. Le liquidateur judiciaire s’oppose à cette demande en faisant valoir que la créance de l’exploitant ne relevait pas des dispositions précitées dans la mesure où l’entrepreneur n’avait pas effectivement bénéficié des prestations prévues par le contrat.
La Cour de cassation rejette l'argument du liquidateur et fait droit à la demande de l’exploitant. Il résulte des dispositions précitées que sont payées à leur échéance les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture si elles sont nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant la période d'observation de la procédure de sauvegarde ou, après la conversion de celle-ci en liquidation judiciaire, en exécution d'un contrat en cours ; en l’espèce, l’entrepreneur s’était engagé à souscrire les cartes avant l’ouverture de la procédure et, en vertu d’une décision de justice ultérieure et devenue irrévocable, il devait payer les cotisations afférentes à ces cartes à compter de janvier 2012 ; ces cartes donnaient droit à des services et avantages divers au sein des installations de l’exploitant (accès privilégié à des restaurants, à une salle de réunion et à un golf ; possibilité d'organiser des événements privés ; réductions sur des boutiques et des hôtels) dont il n’était pas soutenu qu’ils avaient été refusés par l’exploitant à l’entrepreneur pour les années 2016 et 2017 ; la créance de l’exploitant avait donc une contrepartie, sans qu’il y ait lieu de constater que le débiteur avait effectivement bénéficié des prestations attachées aux cartes société après le jugement d'ouverture ; la demande de provision formée par l’exploitant, qui n’était pas soumise à l’interdiction des poursuites individuelles, était donc recevable.
A noter : 1. Nouvelle illustration d’une créance postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective et bénéficiant d’un paiement à l’échéance ou par privilège sur la plupart des autres créances en vertu des articles L 622-27, I et L 641-13, I du Code de commerce. Le créancier dispose d’un droit de poursuite individuelle pour procéder au recouvrement de cette créance (notamment, Cass. com. 28-6-2016 n° 14-21.668 FS-PB : RJDA 10/16 n° 709 ; Cass. com. 9-5-2018 n° 16-24.065 F-PB : BRDA 11/18 inf. 7).
Ce traitement préférentiel bénéficie notamment aux créances nées en contrepartie d’une « prestation fournie au débiteur ». Contrairement à ce que soutenait le liquidateur judiciaire en l’espèce, il n’est pas requis que le débiteur ait effectivement bénéficié de la prestation (ici, tel n’avait pas été cas, le club privé n’ayant jamais été construit) ; il suffit qu’il ait eu droit à la prestation en vertu du contrat et qu’il n’ait pas été empêché d’en demander l’exécution.
La décision a été rendue sous l’empire de l’article L 641-13 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 18 novembre 2016 mais les modifications apportées par cette loi (extension du traitement préférentiel aux créances nées de l’exécution d’un contrat en cours régulièrement poursuivi dans le cadre de la sauvegarde ou du redressement qui a précédé la liquidation judiciaire) sont sans influence sur la solution.
2. Le liquidateur judiciaire avait aussi fait valoir que, l’activité de l’entrepreneur n’ayant pas été maintenue après sa mise en liquidation judiciaire, la cotisation afférente à l’année d’ouverture de cette procédure (2017) ne pouvait pas bénéficier d’un paiement à l’échéance (art. L 641-13, I). Mais cet argument, mélangé de droit et de fait, ne pouvait pas être présenté pour la première fois devant de la Cour de cassation, qui l’a donc rejeté.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial 61728 et 62873