1. Une entité à laquelle des opérations de recherche ont été confiées peut-elle, pour le calcul de son propre crédit d'impôt recherche (CIR), retenir les sommes reçues des entreprises donneuses d'ordre lorsque ces dernières n'ont pas bénéficié du crédit d'impôt recherche ? A cette question, le tribunal administratif de Montreuil avait apporté des réponses contraires dans deux jugements concernant la même affaire mais portant sur des années différentes (TA Montreuil 29-11-2013 n° 1207416 : FR 33/14 inf. 1 et TA Montreuil 1-7-2014 n° 1307130 : FR 36/14 inf. 1).
Saisie en appel de ces deux jugements, la cour administrative d'appel de Versailles tranche la question par la négative dans un arrêt du 15 octobre 2015 qui confirme le jugement défavorable à l'entreprise et annule le jugement favorable. En deux mots, à opération sous-traitée, sous-traitant mal traité.
La loi ne permet pas à un sous-traitant agréé de bénéficier du CIR à raison des sommes facturées au donneur d'ordre
2. Sur le terrain de la loi, la cour de Versailles confirme l'analyse du tribunal (commune aux deux jugements) selon laquelle les dispositions de l'article 244 quater B du CGI ne permettent pas à un organisme de recherche privé agréé de retenir dans la base de calcul de son propre crédit d'impôt recherche les dépenses facturées à ses donneurs d'ordre. Même si le litige portait sur les crédits d'impôt recherche calculés au titre des années 2006 et 2007, il y a tout lieu de penser que la cour ferait la même lecture de l'article 244 quater B du CGI dans sa rédaction actuelle qui n'est pas fondamentalement différente.
La loi en vigueur à l'époque des faits prévoyait qu'ouvraient droit au crédit d'impôt recherche les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de recherche confiées à des organismes de recherche privés agréés et que ces dépenses entraient dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche dans la limite globale de 2M€ par an, limite portée à 10M€ dans certains cas (CGI art. 244 quater B, II- d bis et d ter). Par ailleurs, l'article 244 quater B, III prévoyait que les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt étaient déduites des bases de calcul de ce crédit et qu'il en était de même des sommes reçues par les organismes sous-traitants, pour le calcul de leur propre crédit d'impôt.
La doctrine administrative de 2000 ne pouvait pas être invoquée au cas d'espèce
3. Sur le terrain de la doctrine administrative, la cour de Versailles estime que le contribuable ne pouvait justifier le calcul de son crédit d'impôt recherche de l'année 2007 en invoquant les paragraphes 146 et 147 de l'instruction 4 A-1-00 du 8 février 2000. Ces paragraphes indiquaient que la disposition légale avait pour objet d'éviter qu'une même catégorie de dépenses de recherche ne soit prise en compte à deux reprises et précisaient que « si l'entreprise qui a acquitté les travaux de recherche ne bénéficie pas elle-même du crédit d'impôt recherche (en l'absence d'option par exemple), il convient à l'organisme de recherche de prendre les sommes correspondantes en compte pour le calcul de son propre crédit d'impôt ».
Selon la cour, à la date de sa publication, l'instruction ne pouvait pas concerner les dépenses de recherche externalisées faisant l'objet d'un plafonnement introduit quatre ans plus tard (plafond introduit par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004). On peut cependant relever qu'avant la mise à jour de sa doctrine en 2014 (n° 4), l'administration n'a jamais indiqué qu'elle entendait revenir sur la position ainsi exprimée en 2000. Elle a pourtant eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises, notamment en 2005 et 2006. Mais ni l'instruction 4 A-7-05 du 10 mars 2005, commentant notamment la prise en compte pour le double de leur montant des dépenses de recherche sous-traitées auprès de laboratoires publics, ni l'instruction 4 A-12-06 du 7 août 2006, commentant précisément l'instauration du plafond des dépenses de sous-traitance, n'ont remis en cause la position exprimée dans l'instruction du 8 février 2000.
Quelles perspectives ?
4. La cour estime que la loi ne permet pas au sous-traitant agréé de bénéficier du CIR à raison des dépenses facturées au donneur d'ordre.
Si l'on suit cette analyse, seule la doctrine pourrait permettre une telle prise en compte. Or, depuis le 4 avril 2014, cette possibilité est fortement limitée. L'administration a en effet indiqué que le prestataire agréé ne peut s'abstenir de déduire de la base de calcul de son propre crédit d'impôt recherche les sommes reçues d'un donneur d'ordre que dans le seul cas où celui-ci ne peut bénéficier lui-même du crédit d'impôt recherche parce qu'il ne satisfait pas à l'ensemble des conditions requises (BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 n° 220 et 225). Ce durcissement doctrinal que nous avons eu l'occasion de critiquer (FR 20/14 inf. 2 p. 4) n'a pas été sans conséquences puisqu'une centaine d'entreprises ont demandé l'abrogation de leur agrément CIR en 2014 et 2015 alors qu'elles n'étaient que deux à avoir fait cette démarche en 2013. Et sans doute de nombreuses autres entreprises, notamment celles qui n'ont pas pu procéder à la réorganisation de leurs activités de recherche, ont-elles vu leur crédit d'impôt recherche diminuer.
Pour en savoir plus sur le crédit d'impôt recherche : Mémento fiscal éd. Francis Lefebvre 2015 nos 10470 s.