La société Iberdrola est un investisseur privé qui a acquis plusieurs terrains dans un village de vacances pour y édifier des immeubles (appartements destinés à des séjours saisonniers).
La commune sur le territoire de laquelle le village de vacances est situé (Tsavero, Bulgarie) a, quant à elle, obtenu un permis de construire afin de remettre en état une station de pompage des eaux usées desservant ce village de vacances.
Iberdrola a conclu un contrat avec la commune au titre duquel la société remet en état la station de pompage. A l’issue des travaux, les immeubles pour lesquels Iberdrola a obtenu des permis de construire, pourront être raccordés à la station de pompage ce qui n’était pas le cas jusqu’alors, la canalisation existante étant insuffisante.
L’administration fiscale bulgare a contesté la déduction par Iberdrola de la TVA sur les travaux de remise en état.
Le Tribunal administratif de Sofia a en revanche considéré que si la commune avait effectivement bénéficié d’une prestation de services à titre gratuit, cette gratuité ne justifiait pas l’absence de déductibilité de la TVA au motif que « ces travaux seraient utilisés dans le cadre de l’activité économique d’Iberdrola, à savoir le raccordement à la station de pompage des immeubles pour lesquels un permis de construire avait été délivré ».
Selon le tribunal, « pour que soit reconnu le droit de déduire une TVA acquittée en amont pour la prestation de services, les dépenses engagées à cette fin doivent faire partie des frais généraux de l’assujetti et être un élément constitutif du prix de ces services. Il n’importerait pas que le travaux effectués concernent un bien appartenant à la commune. »
La juridiction de renvoi, saisie de ce jugement, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE une question préjudicielle portant sur le point de savoir si « un assujetti a le droit de déduire la TVA acquittée en amont pour une prestation de services consistant à construire ou à améliorer un bien immobilier dont un tiers est propriétaire, lorsque ce dernier bénéficie à titre gratuit du résultat de ces services et que ceux-ci sont utilisés tant par cet assujetti que par ce tiers dans le cadre de leurs activités économiques ».
La CJUE considère que pour répondre à cette question, « il convient donc de déterminer s’il existe un lien direct et immédiat entre, d’une part, ce service de remise en état, et, d’autre part, une opération taxée effectuée en aval par Iberdrola ou l’activité économique de ce dernier ».
La Cour constate que « sans la remise en état de cette station de pompage, le raccordement à celle-ci des immeubles qu’Iberdrola projetait de construire aurait été impossible, de telle sorte que cette remise en état était indispensable pour réaliser ce projet et que, par conséquent, à défaut d’une telle remise en état, Iberdrola n’aurait pas pu exercer son activité économique ».
La Cour pose le principe selon lequel « Le fait que la commune de Tsavero profite aussi du service en question ne saurait justifier que le droit à déduction correspondant à celui-ci soit refusé à Iberdrola si l’existence d’un tel lien direct et immédiat – avec l’activité économique de la société - est établi ».
La Cour dit alors pour droit qu’ « un assujetti a le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont pour une prestation de services consistant à construire ou à améliorer un bien immobilier dont un tiers est propriétaire, lorsque ce dernier bénéficie à titre gratuit du résultat de ces services et que ceux-ci sont utilisés tant par cet assujetti que par ce tiers dans le cadre de leurs activités économiques, dans la mesure où lesdits services n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour permettre audit assujetti d’effectuer des opérations taxées en aval et où leur coût est inclus dans le prix de ces prestations. »
La déduction totale de la TVA est ainsi subordonnée à ce que :
- Le service se limite à ce qui est nécessaire pour assurer le raccordement des immeubles construits par Iberdrola à la station de pompage. La Cour précise que si les travaux excèdent les besoins générés par les immeubles construits par Iberdrola, seule une quote-part de la TVA sera déductible, à hauteur de la partie des frais encourus pour la remise en état qui est objectivement nécessaire pour permettre à Iberdrola d’effectuer ses opérations taxées ;
- Le coût de la prestation de remise en état est inclus dans le prix des prestations de services taxées en aval.
Par analogie, cet arrêt rendu sur renvoi préjudiciel semble confirmer la possibilité pour les aménageurs de zone de déduire la TVA acquittée au titre de la réalisation d’équipements publics remis gratuitement par l’aménageur à son concédant.
En effet, la jurisprudence Terrabatir (CE 7 mai 1986 n° 49991) a posé le principe selon lequel, dès lors que l’aménagement d’une zone est une opération globale, le coût des équipements remis gratuitement à une commune par un aménageur de zone, en application d’une convention antérieure, constitue pour ce dernier un élément du prix des terrains des zones d’aménagement concerté dont la vente est imposable à la TVA. L’aménageur est donc autorisé, sur le fondement de l’article 271 du CGI, à déduire la taxe qui lui a été facturée à l’occasion de la réalisation des équipements remis gratuitement à la collectivité.
La doctrine administrative (BOI-TVA-IMM-10-30-20160302 n° 460 et suivant) a repris ce principe en précisant que « la remise gratuite doit procéder de la convention d’aménagement passée entre la collectivité locale et l’organisme chargé de l’aménagement de la zone. Auquel cas, il n’y a pas lieu d’effectuer de distinction selon :
- Qu’il s’agit d’équipements d’infrastructure ou de superstructure ;
- Que les équipements sont situés à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone et sont implantés sur des terrains appartenant à la collectivité, à l’aménageur ou à une collectivité tierce. »
Eclairé à la lumière de l’arrêt de la CJUE, ce principe français nous semble conserver tout son sens. Le fait que la CJUE subordonne la déduction de la TVA exposée au titre de la prestation de service rendue gratuitement à ce que le coût de cette prestation soit inclus dans le prix des prestations de services taxées en aval n’est pas une nouveauté par rapport à la jurisprudence Terrabatir dès lors que cette dernière conditionnait déjà cette déduction à ce que le coût des équipements publics constitue un élément du prix de cession des terrains de la zone, dont la vente est soumise à la TVA. Cette réserve conserve donc tout son sens à la suite de l’arrêt de la CJUE. S’agissant de la condition posée par la CJUE tenant à ce que les services rendus gratuitement « n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour permettre audit assujetti d’effectuer des opérations taxées en aval », cette condition ne devrait pas non plus limiter l’application de la jurisprudence Terrabatir. En effet, l’article L 311-4 du Code de l’urbanisme énonce :
« Il ne peut être mis à la charge de l'aménageur de la zone que le coût des équipements publics à réaliser pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans la zone.
Lorsque la capacité des équipements programmés excède les besoins de l'opération, seule la fraction du coût proportionnelle à ces besoins peut être mise à la charge de l'aménageur. […] »
Il résulte de cet article que les équipements remis gratuitement par le concessionnaire au concédant doivent répondre aux seuls besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans la zone.
Par application de l’arrêt Iberdrola, la totalité de la TVA acquittée en amont par le concessionnaire de l’opération pour remettre gratuitement l’équipement public pourrait donc être déduite.
A l’inverse, lorsque la capacité des équipements excède ces besoins, le concessionnaire ne peut supporter que la fraction du coût proportionnelle à ces besoins, le destinataire de l’ouvrage devant financer le solde par le versement d’une participation soumise à la TVA en tant que « subvention contrepartie » laquelle est assimilée à un prix de vente (BOI-TVA-BASE-10-10-10-20121115 n° 360).
Aucune remise gratuite ne peut donc intervenir lorsque la capacité des équipements excède les besoins de l’opération.
Dans ce cas, et dès lors que la collectivité intéressée verse à l’aménageur une participation affectée au financement de l’équipement, la remise de cet équipement sera soumise à la TVA sur la base de la participation affectée et la TVA acquittée en amont sera donc déductible.
En conclusion, l’arrêt Iberdrola confirme la jurisprudence Terrabatir et ne devrait pas remettre en cause le régime fiscal actuellement appliqué aux remises gratuites d’équipements publics par un aménageur à une personne publique.
Par Christophe BILLET, avocat associé et Marie-Anne CHARBONNIER, Collaboratrice au sein du cabinet DS Avocats