Si la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence dite « du préjudice nécessaire » dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. soc. 13-4-2016 n° 14-28.293 FS-PBR), considérant ainsi que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, elle a par la suite admis des exceptions à cette règle, permettant au salarié d'obtenir une indemnisation sans rapporter la preuve de son préjudice.
Les derniers exemples en date de ces exceptions concernent le non-respect des durées maximales de travail. La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail cause nécessairement un préjudice au salarié (Cass. soc. 26-1-2022 n° 20-21.636 FS-B). Elle s’est prononcée dans le même sens s’agissant du non-respect de la durée maximale quotidienne de travail (Cass. soc. 11-5-2023 n° 21-22.281 FS-B).
La présente affaire en est une nouvelle illustration.
À la suite de son licenciement, le conducteur d’une société de transport routier de marchandises, travaillant de nuit, avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, parmi lesquelles le paiement d’une indemnité pour non-respect des durées maximales quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail.
Débouté par la cour d’appel, il s’était pourvu en cassation, faisant valoir que le seul constat du dépassement de la durée maximale du travail ouvre droit à réparation.
La décision de la cour d’appel est cassée. Si la solution semble logique, sa justification juridique est, de prime abord, moins évidente.
Solution logique, tout d’abord, la chambre sociale faisant application au travail de nuit de la solution rendue dans son arrêt du 26 janvier 2022 en matière de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail.
Justification juridique moins évidente, ensuite, au regard de l’articulation entre le droit de l’Union Européenne et des multiples textes de droit interne, principalement relatif au travail de nuit, au visa desquels la Cour de cassation rend sa décision.
En application de ces textes, la durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit, calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives, ne peut dépasser 40 heures mais cette limite peut être portée à 44 heures par accord collectif lorsque les caractéristiques propres à l'activité d'un secteur le justifient. En l’espèce, la société faisait application de l'accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la convention collective nationale des transports routiers qui porte cette durée maximale à 46 heures.
La Cour considère que ces textes participent de l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail, concrétisé par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et par la directive 2002/15/CE du 11 mars 2002 relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.
Le droit interne prévoyant une limitation de la durée hebdomadaire des travailleurs de nuit, non expressément prévue par ces directives, participe de cet objectif, en assurant un niveau de protection supplémentaire.
La chambre sociale reprend ici la justification précédemment retenue dans son arrêt rendu du 11 mai 2023 concernant le dépassement de la durée quotidienne de travail (Cass. soc. 11-5-2023 n° 21-22.281 FS-B).
Par ce raisonnement, la Cour de cassation de cassation pourrait, dans de futures affaires, considérer que toute violation du respect des temps de repos et des durées maximales de travail causerait nécessairement un préjudice au salarié.
Notons enfin que la chambre sociale rappelle une nouvelle fois que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur (Cass. soc. 4-2-2015 n° 13-20.891 FS-PB ; Cass. soc. 4-11-2021 n° 20-15.539 F-D ; Cass. soc. 10-5-2023 n° 21-23.041 F-D). En l’espèce, l’employeur n’apportait pas la preuve que le salarié n’avait pas dépassé la durée maximale hebdomadaire du travail de nuit.