Deux récentes décisions de justice fournissent l’occasion de rappeler que seul le règlement intérieur, sous réserve qu’il respecte certaines conditions, peut permettre à l’employeur de procéder à un contrôle d’alcoolémie (éthylotest) ou à un dépistage de stupéfiants (salivaire ou urinaire). Elles apportent des précisions intéressantes, et de bon sens, sur les conséquences du refus de l’employeur de pratiquer une contre-expertise demandée – tardivement – par le salarié, d’une part, et du refus, par le salarié cette fois, de se soumettre à un test de dépistage de drogue ou d’alcool, à propos de métiers impliquant de fortes exigences de sécurité : chauffeur de bus et conducteur de chariot élévateur.
La base juridique du dépistage de drogue ou d’alcool dans l’entreprise : le règlement intérieur
Rappelons que l’employeur peut, pour des raisons de santé ou de sécurité, prévoir dans le règlement intérieur ou par note de service une limitation de la consommation d’alcool, voire une interdiction, lorsque ces mesures sont proportionnées au but recherché (C. trav. art. R 4228-20).
Une interdiction générale doit être exceptionnelle et ne peut être fondée que sur l'existence d'une situation particulière de danger ou de risque (CE 12-11-2012 n° 349365) que l'employeur doit justifier, par exemple en se fondant sur le document unique d'évaluation des risques identifiant les postes concernés (CE 8-7-2019 n° 420434).
La clause du règlement intérieur prévoyant la possibilité de soumettre un salarié à un éthylotest est licite si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et si, en raison de ses fonctions, l'état d'ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 FS-PB ; Cass. soc. 24-2-2004 n° 01-47.000 F-D).
Les mêmes principes s'appliquent pour la clause autorisant, pour détecter la consommation de produits stupéfiants, le recours à un test salivaire (Cons. Prud’h. Grenoble 20-9-2013 n° 13/01736) ou à un test urinaire (CA Amiens 27-1-2021 n° 19/04143). Le règlement intérieur peut autoriser l'employeur ou un supérieur hiérarchique à pratiquer un tel test et à sanctionner le salarié en cas de résultat positif dès lors qu'il réserve ce contrôle aux postes pour lesquels l'emprise de drogue constitue un danger, qu'il interdit au responsable du test d'en divulguer le résultat et prévoit le droit pour le salarié d'obtenir une contre-expertise médicale à la charge de l'employeur (CE 5-12-2016 n° 394178).
A noter :
Ajoutons que pour être opposable aux salariés, le règlement intérieur doit faire l’objet d’une consultation du CSE, être communiqué à l’inspection du travail en deux exemplaires avec le procès-verbal de la réunion au cours de laquelle le CSE a été consulté (C. trav. art. L 1321-4 et R 1321-4), être déposé au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement (C. trav. art. R 1321-2), et être porté, par tout moyen, à la connaissance des personnes ayant accès au lieu de travail (C. trav. art. R 1321-1). Comme le souligne la cour d’appel d’Orléans, il ne peut pas être déduit de l’absence de mention de sa date d’entrée en vigueur qu’il n’est pas applicable : dès lors que les formalités de dépôt et de publicité ont été respectées, il est entré en vigueur un mois après leur accomplissement.
Quand l’employeur refuse une contre-expertise
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un conducteur de bus de la RATP a été révoqué à la suite d’un contrôle d’alcoolémie effectué lors de sa prise de poste ayant révélé qu’il présentait un taux d’alcool de 0,28 gramme par litre de sang.
Ce test a été réalisé en application du règlement intérieur de la RATP qui prévoit que les salariés conduisant un véhicule, une machine dangereuse, manipulant des produits ou des outils dangereux, ou exerçant en tout état de cause un métier ou une fonction de sécurité, dont la liste est fixée en annexe du règlement intérieur, pourront faire l'objet d'un contrôle d'alcoolémie pour vérifier la présomption d'imprégnation alcoolique ou d'un test de dépistage de stupéfiants, que les modalités de ces contrôles devront respecter le principe de confidentialité et que le salarié pourra demander une contre-expertise.
Si la contre-expertise est demandée tardivement par le salarié…
La décision d’appel fait ressortir que l’employeur a refusé au salarié, lors du premier entretien disciplinaire qui s’est tenu 12 jours après le test, la contre-expertise qu’il est en droit de demander en application du règlement intérieur.
La cour d’appel de Paris a relevé que le refus est intervenu au moment de l’entretien préalable, et, bien que le dossier ne contienne pas d’indication sur le moment de la demande du salarié, elle retient que ce dernier « ne prétendait pas avoir sollicité un tel examen dans les suites immédiates du contrôle pour en remettre en cause les résultats ». Elle en a déduit, avec l’approbation de la Cour de cassation, qu’il ne pouvait donc être tiré aucune conséquence du refus de l’employeur de faire procéder à l’examen biologique. En effet, l’objet de la contre-expertise prévue par le règlement intérieur est de permettre au salarié de contester les résultats du contrôle d'alcoolémie, ce qui impose que le prélèvement sanguin soit réalisé dans le plus court délai possible.
A notre avis :
Si un salarié souhaite bénéficier d’une contre-expertise, on ne saurait que trop lui recommander de la demander immédiatement après le premier test de dépistage, de préférence par écrit daté afin de pouvoir, en cas de litige, établir que sa demande a bien été faite rapidement et pouvoir reprocher utilement à l’employeur un éventuel refus.
… le refus de l’employeur ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse
Enfin, la cour d’appel a retenu que s’il n’avait pas été soumis à un contrôle d’alcoolémie, le salarié s’apprêtait à conduire son bus sous l’emprise d’un état alcoolique susceptible de qualification pénale. Exerçant son pouvoir d’appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement, elle a jugé que ce grief était constitutif d’une telle cause réelle et sérieuse.
A noter :
Pour les conducteurs de véhicules de transports en commun, le taux maximal d’alcoolémie autorisé est fixé à 0,2 gramme d’alcool par litre de sang (C. route art. R 234-1).
Quand le salarié refuse de se soumettre à un dépistage
Devant la cour d’appel d’Orléans était portée une affaire dans laquelle un salarié conduisant un chariot élévateur a été impliqué dans un accident du travail : il a roulé, en reculant, sur le pied d’un autre salarié. À la suite de cet accident, des témoins font état de son attitude très distante, indifférente, et de son peu de réaction.
En raison de ces éléments, l’employeur a souhaité procéder à un contrôle d’alcoolémie et à un test de dépistage de stupéfiants, comme l’y autorise le règlement intérieur. Celui-ci prévoit en effet la possibilité d'imposer un contrôle d'alcoolémie aux salariés dont l'état serait de nature à exposer les personnes et les biens à un danger, et permet également un dépistage de drogue, lorsque l'état du salarié peut sembler lié à une consommation de stupéfiants (troubles de l'élocution, équilibre, comportement, non-respect des règles de sécurité).
Convoqué dans le bureau du directeur de site, le salarié s’est enfui en courant après avoir vu le test salivaire et l’alcootest, pour se rendre dans le bureau de l'assistante sociale, qui lui a expliqué, en présence d'un représentant du personnel, les raisons du test salivaire ou de l'alcootest et les conséquences d'un éventuel refus. Le salarié a cependant quitté le site sans se soumettre à ces tests. L’assistante sociale a par ailleurs fait état de l'état d'excitation de l'intéressé et de l'existence d'un doute quant à sa capacité de conduire un véhicule.
Au motif de ce refus de se soumettre à des tests de dépistage de drogue et d’alcool, l’intéressé a été licencié pour faute grave.
La cour d’appel relève qu’il résulte de la chronologie des faits que le salarié avait pleinement conscience que son employeur entendait procéder à un test salivaire et à un alcootest, et ne pouvait ni prétendre ne pas l’avoir compris ni se prévaloir ultérieurement du non-respect de son droit à se faire assister par un témoin, un tel droit ne pouvant être mis en œuvre qu'au moment de la réalisation du test.
Elle juge ensuite que le refus du salarié de se soumettre à un test de dépistage, alors que les conditions prévues par le règlement intérieur étaient réunies et qu'il avait causé un accident au préjudice d'un autre salarié, rendait impossible son maintien dans l'entreprise et constituait une faute grave.