Le principe d'égalité de traitement oblige l'employeur à assurer une même rémunération aux salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale. Toute différence de traitement doit nécessairement reposer sur une raison objective et pertinente, étrangère à un motif discriminatoire. Le seul fait que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne suffit pas à apporter une telle justification. Mais d'autres éléments peuvent permettre, dans cette situation, de justifier une différence de traitement instaurée entre ces salariés, comme le montre la Cour de cassation dans deux récents arrêts.
Une rémunération plus favorable pour les salariés embauchés avant l'entrée en vigueur de la grille
Dans la première affaire, un accord collectif instaure une grille salariale pour les kinésithérapeutes, leur rémunération étant jusqu'alors exclusivement fixée par leur contrat de travail. Mais ce barème accorde, même à l'indice le plus élevé, une rémunération inférieure à celle prévue par les stipulations contractuelles. Il en résulte une différence de traitement entre les salariés engagés avant l'entrée en vigueur de ce barème, qui continuent de jouir d'un niveau de rémunération équivalent à celui prévu par leur contrat de travail, et ceux embauchés après, auxquels la grille conventionnelle moins généreuse est strictement appliquée.
Plusieurs salariés engagés postérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions conventionnelles saisissent donc la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de salaire en application du principe d'égalité de traitement, à laquelle il est fait droit par la cour d'appel de Papeete. Il est vrai que la Cour de cassation a déjà jugé à plusieurs reprises que la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier une différence de traitement entre eux (Cass. soc. 21-2-2007 n° 05-43.136 FS-PB ; Cass. soc. 4-2-2009 n° 07-11.884 FS-PB). Pourtant, la Haute Juridiction va casser la décision des juges du fond.
Pour elle, l'inégalité de traitement ainsi instaurée par voie conventionnelle repose sur une raison objective et pertinente tirée du principe légal, inscrit à l'article L 2254-1 du Code du travail, régissant le rapport entre le contrat de travail et un accord collectif. Sauf disposition légale contraire, un tel accord ne peut pas, en effet, imposer au salarié une modification de son contrat de travail, seules les dispositions plus favorables se substituant alors aux clauses du contrat. Or, en l'espèce, il est impossible pour l'entreprise d'appliquer le barème conventionnel à ses salariés engagés avant l'entrée en vigueur de cette grille dans la mesure où elle prévoit une rémunération moins favorable que celle résultant de leur contrat de travail. L'employeur est donc bien contraint de leur maintenir leur rémunération contractuelle. L'obligation d'appliquer cette règle légale constitue dès lors une raison objective et pertinente justifiant l'inégalité de traitement.
A noter : il pourrait en aller autrement dans le cadre d'un accord collectif répondant aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi, instauré par l'ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017. En effet, l'article L 2254-2 du Code du travail, issu de ce texte, prévoit désormais la substitution de plein droit des dispositions de cet accord aux clauses contractuelles contraires et incompatibles, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. Dans un cas comparable à celui de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 décembre 2017, un tel accord pourrait ainsi permettre à l'employeur de soumettre l'ensemble des kinésithérapeutes à la nouvelle grille indiciaire peu important la baisse de rémunération qu'elle induirait pour ceux engagés antérieurement à son entrée en vigueur.
Une évolution de carrière plus rapide pour les salariés engagés après l'entrée en vigueur du barème
Dans la seconde affaire était en cause la mise en place d'une nouvelle classification professionnelle par un avenant à la convention collective applicable dans l'entreprise. Cette fois-ci, ce sont les salariés engagés postérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau barème qui bénéficiaient d'un avantage, à savoir une évolution de carrière plus rapide. Ceci était-il contraire au principe d'égalité de traitement entre les salariés ?
C'est ce qu'estimait un salarié embauché bien avant l'entrée en vigueur du barème. En pratique, il contestait le coefficient 460 qui lui avait été attribué à la suite de la mise en place de la nouvelle grille de classification. En effet, ce coefficient correspondait à une ancienneté de 7 ans, alors qu'il était dans l'entreprise depuis 20 ans, et un autre salarié engagé postérieurement aux nouvelles dispositions conventionnelles bénéficiait du coefficient 511 après 20 ans (et même de 544 après 28 ans). Le demandeur n'avait atteint ce même coefficient de 511 qu'au moment de son départ de l'entreprise après y avoir travaillé pendant 40 ans. Les juges du fond ont suivi son raisonnement et ont conclu à l'existence d'une violation du principe d'égalité de traitement.
Mais tel n'est pas l'avis de la chambre sociale de la Cour de cassation qui casse l'arrêt de la cour d'appel de Pau. Selon la Haute Juridiction, le fait que des salariés engagés postérieurement à l'entrée en vigueur d'un nouveau barème conventionnel soient appelés, dans l'avenir, à avoir une évolution de carrière plus rapide ne contrevient pas au principe d'égalité de traitement, dès lors qu'ils ne bénéficient, à aucun moment, d'une classification ou d'une rémunération plus élevée que celle des salariés engagés avant l'entrée en vigueur du nouveau barème et qui sont placés dans une situation identique ou similaire.
Concrètement, cette situation est née de ce que les partenaires sociaux ont choisi d'appliquer immédiatement, mais de manière non rétroactive, la nouvelle grille de classification aux salariés embauchés avant son entrée en vigueur. Ces derniers se sont donc vu attribuer, dans le nouveau barème, la classification correspondant à leur salaire dans le cadre de l'ancienne classification. Or un tel dispositif n'est pas contraire au principe d'égalité de traitement.
Pour en savoir plus sur l'égalité professionnelle : voir Mémento Social nos 32000 s.