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Les dirigeants de fait peuvent demander l'ouverture d'une procédure collective

La jurisprudence de la Cour de cassation admet implicitement qu'un dirigeant de fait puisse demander l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. La QPC visant l'article L 653-8, al. 3 du Code de commerce et postulant le contraire n'est donc pas sérieuse.

Cass. com. QPC 7-2-2024 n° 23-40.016 F-D


Par Benjamin JORET
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©Getty Images

A l'occasion d'une affaire où le liquidateur judiciaire d'une société avait agi contre l'ancien gérant de fait de celle-ci, en vue d'obtenir sa condamnation au comblement du passif et le prononcé d'une sanction personnelle à son encontre pour ne pas avoir demandé l'ouverture d'une procédure collective, un tribunal de commerce transmet à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante : les dispositions des articles L 653-8, al. 3 et L 653-1, I-2° du Code de commerce, en ce qu'elles permettent de sanctionner le gérant de fait d'une personne morale pour avoir omis sciemment de déposer la déclaration de cessation des paiements alors même qu'iI n'en a pas le pouvoir, sont-elles conformes à la Constitution et aux textes auxquels renvoie son préambule, notamment aux dispositions de l'article 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ?

Après avoir constaté que la question reposait en réalité sur une interprétation de l'article R 631-1 du Code de commerce (applicable au redressement et à la liquidation judiciaire), dont il est prétendu qu'il interdirait au dirigeant de fait de demander l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, la Haute Juridiction juge que la QPC, fondée sur un postulat erroné et portant sur un texte de nature réglementaire, ne revêt pas de caractère sérieux et ne doit donc pas être renvoyée au Conseil constitutionnel.

En effet, une telle interprétation n'est pas consacrée par la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Au contraire, celle-ci, en admettant qu'un dirigeant de fait puisse être sanctionné pour ne pas avoir demandé l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai légal applicable à compter de la cessation des paiements (Cass. com. 6-1-1998 n° 95-18.478 P : RJDA 5/98 n° 635) et en sanctionnant également les administrateurs de société pour s'être abstenus d'exiger du représentant légal de la personne morale d'effectuer la déclaration de cessation des paiements qui s'imposait (Cass. com. 25-3-1997 n° 95-10.995 P : RJDA 7/97 n° 966 ; Cass. com. 31-5-2011 n° 09-13.975 F-PB : RJDA 8-9/11 n° 725), admet implicitement mais nécessairement qu'un dirigeant de fait puisse demander l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

A noter :

L'intérêt de l'arrêt commenté ne se situe pas tant dans la question prioritaire de constitutionnalité elle-même que dans l'argumentaire déployé par la Cour de cassation.

Le dirigeant de droit ou de fait d'une société en liquidation judiciaire qui ne demande pas l'ouverture d'une procédure collective en déclarant la cessation des paiements, dans le délai de 45 jours à compter de cette cessation, s'expose à plusieurs sanctions. Si l'omission de déclaration a contribué à l'insuffisance d'actif de la société, le dirigeant peut être condamné à supporter tout ou partie de cette insuffisance, en application de l'article L 651-2 du Code de commerce (par exemple, Cass. com. 4-7-2018 n° 14-20.117 F-D : RJDA 11/18 n° 857). Tel n'est pas le cas si l'insuffisance d'actif est née avant l'expiration du délai de déclaration (Cass. com. 17-6-2020 n° 18-11.737 F-PB : RJDA 11/20 n° 588). L'omission de déclaration peut ne constituer qu'une simple négligence du dirigeant qui est alors exonéré de sa responsabilité (Cass. com. 3-2-2021 n° 19-20.004 F-P : RJDA 5/21 n° 333 ; art. L 651-2, al. 1). Le dirigeant peut également être frappé d'une interdiction de gérer si l'omission de déclaration a été volontaire et s'il n'a pas, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation (C. com. art. L 653-8, al. 3). Il encourt cette sanction même s'il n'a eu conscience de la cessation des paiements qu'après l'expiration du délai de déclaration (Cass. com. 12-1-2022 n° 20-21.427 F-B : RJDA 4/22 n° 213).

C'est la première fois, à notre connaissance, que la Haute Juridiction déduit expressément de ce que le dirigeant de fait qui ne déclare pas la cessation des paiements peut être sanctionné qu'il peut effectuer une telle déclaration et demander l'ouverture d'une procédure collective. L'article R 631-1 du Code de commerce, en vertu duquel « la demande d'ouverture [...] est déposée par le représentant légal de la personne morale », ne s'y oppose pas.

En ce qu'elle conduit en pratique à permettre à n'importe qui de déposer le bilan d'une société, la solution nous paraît cependant critiquable et à tout le moins ouvrir la voie à de nombreuses difficultés de mise en oeuvre. Notons d'ailleurs que le formulaire de déclaration de cessation des paiements (Cerfa n° 10530-01) disponible sur internet et auprès du greffe des tribunaux de commerce ne mentionne que le représentant légal de la société. 

Documents et liens associés :

Cass. com. QPC 7-2-2024 n° 23-40.016 F-D

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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