Avant la réforme de la prescription civile issue de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrivait par 30 ans en application de l'ancien article 2262 du Code civil. Désormais une telle action se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination (C. trav. art. L 1143-5). Le Code du travail permet, ainsi, de ne faire courir le délai de prescription qu'une fois les faits connus par la victime. Cette précaution s'explique par le caractère souvent dissimulé des agissements discriminatoires qui peuvent parfois se poursuivre plusieurs années avant d'être révélés et peuvent continuer à produire leurs effets au-delà. Un arrêt de la Cour de cassation du 31 mars 2021 vient illustrer le caractère très ancien et continu des faits portés devant les juridictions en matière de discrimination.
Une salariée s'estime victime d'une discrimination syndicale
En l'espèce, la salariée avait été embauchée en 1976 et avait été désignée représentante syndicale en 1977 (puis à compter de 1997 permanente syndicale). Devenue employée administrative en septembre 1982 elle avait occupé, en dernier lieu jusqu'à sa retraite en décembre 2011, le poste de rédacteur polyvalent gestion recouvrement et/ou contentieux. L'interessée avait saisi, le 10 avril 2012, la juridiction prud’homale en invoquant une discrimination syndicale dans le déroulement de sa carrière.
Elle soutenait, notamment, n’avoir effectué que des tâches administratives sans rapport avec ses compétences sur le poste auquel elle avait été affectée en septembre 1982 après l’intervention de l’inspection du travail, n’avoir jamais été augmentée même lors de ses changements de poste, avoir connu une stagnation de sa classification au poste de rédacteur en dépit de l’obtention d’une capacité en droit, n'avoir eu aucun entretien annuel d’appréciation à partir de 1997 et ne pas avoir bénéficié de l'application d’un avenant à un accord-cadre dont avaient pourtant bénéficié d’autres délégués permanents syndicaux qui avaient été promus cadres classe 5 et qui s'étaient vus accorder une formation d’une année.
La cour d'appel juge l'action en réparation prescrite
Face à l'ancienneté des faits, les juges du fond ont fait application des règles de prescription civile antérieures à la réforme. L'action en réparation du préjudice résultant de la discrimination était donc soumise à la prescription trentenaire.
Pour fixer le point de départ de la prescription et dire l'action irrecevable, les juges du fond avaient retenu que la salariée se plaignait d’une discrimination syndicale remontant à septembre 1977 et qu'elle avait nécessairement connaissance de faits susceptibles de revêtir cette qualification puisqu’en août 1981 elle avait fait état de cette discrimination et sollicité un changement de poste. L’inspecteur du travail avait relayé cette réclamation dans un courrier du 5 novembre 1981, de sorte que le délai de prescription avait expiré le 5 novembre 2011.
L'action est recevable si la discrimination s'est poursuivie pendant une période non prescrite
Saisie par la salariée, la Cour de cassation censure la décision d'appel et apporte des précisions intéressantes sur la manière d'appliquer les règles de prescription aux cas de discrimination. Bien que la Cour valide le recours aux règles anciennes de prescription en rappelant qu'au visa de l'article 26-II de la loi du 17 juin 2008, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi (le 19 juin 2008), sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (30 ans), elle n'éteint pas pour autant l'action et rejette le raisonnement des juges du fond.
Ainsi, si la Haute juridiction reconnaît que la période allant de 1977 (obtention du mandat syndical) jusqu'à 1981 (date à laquelle la salariée a fait état pour la première fois de sa discrimination) est bien couverte par la prescription trentenaire, il n'en demeure pas moins que les faits s'étaient poursuivis tout au long de la carrière en terme d’évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, si bien qu'ils n’avaient jamais cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription. Les faits n'étaient donc pas prescrits au jour de la saisine, le 12 avril 2012, de la juridiction prud'hommale. L'action était, par conséquent, recevable.