L'employeur peut rompre le contrat de travail s'il justifie de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (C. trav. art. L 1226-2-1 pour l’inaptitude résultant d’un accident ou d’une maladie non professionnels ; C. trav. art. L 1226-12 et L 1226-20 pour l’inaptitude résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle).
L’employeur est alors dispensé de l’obligation de rechercher un emploi de reclassement au bénéfice du salarié déclaré inapte.
A noter :
Dans la mesure où l’employeur n’a pas à rechercher un poste de reclassement, il est également dispensé de consulter le CSE sur les possibilités de reclassement (Cass. soc. 8-6-2022 n° 20-22.500 FS-B ; Cass. soc. 16-11-2022 n° 21-17.255 F-B) et de notifier au salarié, par écrit et avant d’engager la procédure de licenciement, l'impossibilité dans laquelle il se trouve de le reclasser.
Deux affaires jugées le 8 février 2023 donnent l’occasion à la Cour de cassation de préciser les conditions d’application de cette dispense de reclassement, et d’inviter employeurs et salariés à être très attentifs à la façon dont l’avis d’inaptitude a été rédigé par le médecin du travail.
La dispense de reclassement s’applique si l’état de santé du salarié s’oppose à tout reclassement dans l’emploi …
Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation (n° 21-19.232 FS-B), un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail. Celui-ci indique expressément sur son avis que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Le salarié, licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, conteste la légitimité de la rupture.
Il reconnaît la dispense de recherche de reclassement dont il a fait l’objet. Mais il soutient que celle-ci est limitée au périmètre de son entreprise, et ne s’étend pas au groupe auquel appartient l’employeur.
L’argument est rejeté par la cour d’appel comme par la Cour de cassation, statuant au visa de l’article L 1226-12 du Code du travail.
En l’espèce, l’avis d’inaptitude mentionnait expressément l’impossibilité de reclassement dans l’emploi (et non dans l’entreprise). Les juges du fond en ont déduit, à juste titre, que l’employeur pouvait engager la procédure de licenciement sans recherche préalable d’un reclassement.
A notre avis :
En pratique, l’avis d’inaptitude est rédigé par le médecin du travail sur un formulaire dont le modèle, diffusé par l’arrêté MTRT1716161A du 16 octobre 2017 (JO 21), comporte un bloc « cas de dispense de l’obligation de reclassement ». Ce bloc contient deux cases à cocher, correspondant aux deux cas de dispense prévus par la loi : « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Si l’avis rendu par le médecin du travail semble équivoque (par exemple s’il n’a pas utilisé le formulaire et a rédigé son avis sur un papier libre comportant une dispense de reclassement qui ne serait pas rédigée exactement dans les mêmes termes que ceux du formulaire), l’employeur a tout intérêt à solliciter des précisions du service de santé. Au vu des conséquences potentielles d’un manquement à l’obligation de reclassement, mieux vaut en effet être prudent.
…mais pas s’il fait seulement obstacle au reclassement dans l’entreprise
Dans la seconde affaire (n° 21-11.356 FS-D), la salariée d’un comité social et économique d’établissement est déclarée inapte par un avis du médecin du travail indiquant « Inapte. L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise. Échange avec l'employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite) ». Elle est licenciée par le comité, sans recherche de reclassement. La salariée conteste son licenciement : selon elle, un poste de reclassement aurait dû être recherché non seulement au sein du comité social et économique, mais également au sein de l’entreprise ayant institué cette instance.
La cour d’appel, dont le raisonnement est approuvé par la Cour de cassation, juge que :
le médecin du travail n’a pas déclaré que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, mais seulement qu’il empêchait tout reclassement dans l’entreprise ;
un groupe de reclassement était constitué par le comité social et économique, employeur de la salariée, et l’entreprise au sein duquel il a été constitué.
En conséquence, l’avis du médecin du travail ne valait pas dispense de recherche de reclassement, et l’employeur était tenu de rechercher un emploi disponible au sein de l’entreprise. En ne le faisant pas, il a manqué à son obligation de reclassement et privé le licenciement de cause réelle et sérieuse.
A noter :
La Cour de cassation confirme ici sa jurisprudence classique selon laquelle l'obligation de reclassement s'impose même si le médecin du travail constate l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise (Cass. soc. 20-9-2006 n° 05-40.526 FS-PB ; Cass. soc. 9-7-2008 n° 07-41.318 FS-PB). Les dispositions des articles L 1226-2-1, L 1226-12 et L 1226-20 du Code du travail instaurant une dispense de reclassement sont en effet d’interprétation stricte.
Si le salarié est déclaré inapte à tout emploi dans l’entreprise, l'employeur ne doit en aucun cas en conclure de lui-même que le reclassement est impossible et engager la procédure de licenciement. En particulier, s’il appartient à un groupe, il doit y rechercher un emploi compatible avec les capacités du salarié (Cass. soc. 3-5-2018 n° 17-10.234 FS-D). Il a tout intérêt à solliciter le médecin du travail afin d’obtenir des précisions sur le reclassement du salarié : soit celui-ci modifiera son avis d’inaptitude afin d’exclure expressément toute possibilité de reclassement dans un emploi, soit il formulera des préconisations pour le reclassement. En tout état de cause, sa réponse concourra, le cas échéant, à la justification par l’employeur de l’impossibilité de reclasser l’intéressé (Cass. soc. 15-12-2015 n° 14-11.858 F-PB ; Cass. soc. 6-1-2021 n° 19-15.384 F-D).
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Documents et liens associés
Cass. soc. 8-2-2023 n° 21-19.232 FS-B, W. c/ Association Groupe sos seniors ; Cass. soc. 8-2-2023 n° 21-11.356 FS-D, CSE Springer c/ K.