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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Successions et donations

Disqualification en donation ordinaire d’une fausse « donation-partage » de quotes-parts indivises

Une donation-partage de quotes-parts indivises suivie d’une licitation faisant cesser l’indivision, à laquelle le donateur est simplement intervenu pour renoncer à l’action révocatoire et au droit de retour, est une donation ordinaire rapportable à la succession du donateur.

Cass. 1e civ. 12-7-2023 n° 21-20.361 FS-B


Par Emmanuel de LOTH
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©Gettyimages

Un homme décède, laissant une fille issue d’une première union, deux fils nés d’une deuxième union, et son conjoint survivant.

Par acte authentique reçu le 7 novembre 1995, il avait consenti une « donation-partage anticipée » à ses trois enfants. Il y attribuait à sa fille la pleine propriété de quatre biens mobiliers et à chacun de ses fils la nue-propriété de la moitié indivise d’un bien immobilier.

Puis, par acte authentique reçu le 17 janvier 2008, auquel le père était intervenu en sa qualité de donateur, l’un des fils avait cédé à son frère sa quote-part indivise en nue-propriété du bien immobilier.

La fille assigne ses cohéritiers en partage judiciaire en raison de difficultés survenues au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession. À cette occasion, la cour d’appel estime que la donation-partage est en réalité une donation simple, qui doit être rapportée à la succession. Elle retient à cet effet que l’acte du 7 novembre 1995, qui n’attribuait que des droits indivis à chacun des fils ne pouvait, à lui seul, opérer un partage. Certes, le père, en sa qualité de donateur, a donné son consentement à la vente ultérieure intervenue entre ses fils, en renonçant à l’action révocatoire et à l’exercice du droit de retour. Pour autant, il n’apparaît pas qu’il ait été à l’initiative de l’acte du 17 janvier 2008 ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation. La cour d’appel en déduit que l’acte n’a pas résulté de la volonté du donateur de procéder au partage matériel de la donation, mais de celle des copartagés.

Pourvoi des deux fils, qui est rejeté. La Haute Juridiction commence par rappeler les termes de deux dispositions du Code civil. Toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits sous forme de donation-partage (C. civ. art. 1075). Par ailleurs, la donation et le partage peuvent être faits par actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes (C. civ. art. 1076, al. 2). Il résulte de ces textes que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours. Ayant fait ressortir que la répartition des biens n'avait pas été effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'acte du 7 novembre 1995 était une donation rapportable à la succession du donateur.

A noter :

Par deux décisions importantes rendues en 2013, la Cour de cassation avait déjà très fermement rappelé la nature répartitrice de la donation-partage, qui la distingue des autres libéralités entre vifs (Cass. 1e civ. 6-3-2013 n° 11-21.892 FS-PBI : JCP N 2013 n° 1162 note J.-P. Garçon, Dr. famille 2013 comm. 91 par B. Beignier, Defrénois 15-4-2013 n° 112d6 p. 345 obs. B. Reynis et 15-5-2013 n° 112m1 p. 463 note F. Sauvage, RTD civ. 2013 p. 424 obs. M. Grimaldi ; Cass. 1e civ. 20-11-2013 n° 12-25.681 FS-PBI : JCP N 2013 n° 1296 § 3 obs F. Fruleux et F. Sauvage, Defrénois 30-12-2013 n° 114n8 p. 1259 note M. Grimaldi, JCP G 2014 n° 288 § 10 obs. R. Le Guidec, D. 2014 p. 1905 obs. M. Nicod, Defrénois 15-7-2014 n° 116v2 p. 767 obs. B. Vareille). Aux termes d’un attendu de principe figurant dans les deux arrêts, les Hauts Magistrats ont précisé « qu'il n'y a de donation-partage que dans la mesure où l'ascendant effectue une répartition matérielle de ses biens entre ses descendants ». Dans chacune de ces affaires, ils censuraient ainsi la cour d’appel pour avoir qualifié de donation-partage un acte qui n'attribuait que des droits indivis à certains des gratifiés. La sanction est redoutable : la libéralité litigieuse dégénère en un ensemble de donations ordinaires en indivision avec de nombreuses conséquences civiles. Parmi celles-ci, on retiendra notamment que (sur l’ensemble de ces conséquences, voir Mémento Successions Libéralités n° 10685) :

  • la donation est rapportable à la succession (C. civ. art. 843), alors qu’une donation-partage ne l’est par essence jamais ;

  • les biens donnés seront réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible pour leur valeur au jour du décès (C. civ. art. 922), contrairement à ceux donnés et répartis par une donation-partage unanime sans réserve d’usufruit sur une somme d’argent, qui sont en principe évalués au jour de l’acte (C. civ. art. 1078) ;

  • la masse de calcul de la vocation ab intestat en pleine propriété du conjoint survivant sur la succession comprendra les attributions requalifiées en donations ordinaires, et ainsi sans « dispense de rapport » au regard du premier alinéa de l’article 758-5 du Code civil, alors que la question est discutée par certains auteurs s’agissant des biens transmis par donation-partage.

L’un des moyens pour sauver de la disqualification une fausse « donation-partage » de quotes-parts indivises est de procéder dans un second temps, si le disposant est encore vie, au partage des biens indivis sous l’autorité de ce dernier et avec l’accord des bénéficiaires, à la faveur d’un second acte bien distinct (C. civ. art. 1076, al. 2). Toutefois, comme l’illustre la décision rapportée, « si la présence du disposant à l’acte de partage constitue certainement un indice de son intervention, elle ne saurait toutefois être suffisante. Peu importe en effet qu’il approuve un acte, s’il est resté étranger à son élaboration, de sorte que celui-ci n’exprime pas sa volonté » (Rép. civ. Dalloz, V° Libéralités-partages par F. Sauvage, n° 88). La licitation amiable de gré à gré intervenue entre les deux fils pouvait certes valoir partage mais pas partage par acte séparé au sens du second alinéa de l’article 1076 du Code civil, l’attribution du bien n'ayant pas été effectuée par le père lui-même ou sous sa direction. Il est simplement intervenu à l’acte pour renoncer à l’action révocatoire et à l’exercice du droit de retour.

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