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Une distribution frauduleuse de dividendes déclarée inopposable à un minoritaire

Un apport des actifs d’une SAS consenti sans avoir consulté un minoritaire n’a pas été tenu pour frauduleux à son égard. Mais une distribution de dividendes ultérieure lui a été déclarée inopposable car constitutive d’une fraude paulienne.

CA Paris 7-7-2020 n° 17/17830


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1. L’assemblée générale d’une société par actions simplifiée (SAS) faisant partie d’un grand groupe du secteur de la mode décide une réduction de capital suivie d’une augmentation de celui-ci (« coup d’accordéon »). Cette opération a pour effet d’annuler les actions d’un associé minoritaire et de l’évincer de la société. L’année suivante, l’assemblée générale modifie l’objet social pour recentrer l’activité de la société sur l’exploitation du patrimoine immobilier du groupe. A cet effet, la SAS, devenue unipersonnelle, absorbe par voie de fusion une société immobilière du groupe dont elle recueille les actifs.

Quelques années plus tard, à la demande de l’associé minoritaire évincé, un tribunal de commerce annule le coup d’accordéon et les actes subséquents par un jugement assorti de l’exécution provisoire rétablissant l’intéressé dans ses droits. Sans inviter l'associé rétabli à participer à la décision, la SAS apporte ensuite, sur décision de son « associé unique », la totalité de ses actifs immobiliers (un immeuble de 13,5 millions d’euros et des titres de sociétés immobilières d’une valeur de 125 millions d’euros) à une société en nom collectif (SNC) du groupe. En échange de l'apport, la SAS reçoit des parts de la SNC, dont l’associé décide par la suite qu’elles lui seront remises à titre d’acompte sur dividendes et de distribution de réserves en nature. Environ un an plus tard, la SAS est mise en liquidation judiciaire.

Estimant que l'apport des actifs et la distribution de dividendes lui ont porté préjudice, l'associé minoritaire en conteste la validité.

L’apport des actifs immobiliers n’était pas frauduleux…

2. L’associé minoritaire faisait valoir que l’apport des actifs était intervenu en fraude de ses droits. La SAS et son « associé unique » répondent avoir réalisé ces opérations pour remettre la SAS dans l'état où elle se trouvait avant cette opération et tirer ainsi les conséquences du jugement du tribunal ayant annulé le coup d’accordéon.

La cour d’appel de Paris admet cet argument et écarte la fraude invoquée.

3. Il n’était pas contesté, relève-t-elle, que les statuts de la SAS donnaient compétence à l’assemblée des associés pour décider de l’apport des actifs immobiliers et de la distribution des dividendes et des réserves, de sorte que les décisions critiquées, prises par « l’associé unique » seul, sans la participation de l’associé minoritaire pourtant restauré dans ses droits par le jugement du tribunal, étaient contraires aux statuts. Une telle irrégularité n’avait pas eu pour effet d’entraîner la nullité de ces décisions, mais elle était susceptible de caractériser la fraude invoquée.

4. La cour d'appel juge toutefois que l'intention frauduleuse n'était pas établie, notamment pour les raisons suivantes :

- le minoritaire ne démontrait pas que les actifs immobiliers dont la SAS avait été dépossédée comprenaient des biens qu'elle détenait avant l’assemblée générale ayant décidé le coup d’accordéon et avant la fusion avec la société immobilière du groupe ;

- les décisions litigieuses avaient été considérées comme nécessaires par « l'associé unique » pour tirer les conséquences de l’annulation de l’assemblée et revenir sur cette fusion, qui avait marqué le changement d’activité de la SAS.

Il en était ainsi, ajoute la cour, quand bien même ces décisions auraient procédé d’une intention de priver l’associé rétabli dans ses droits des fruits du changement d’activité auquel il n’avait pas participé.

Pour écarter l’intention frauduleuse, la cour a également relevé que les apports faits à la SNC ne provenaient pas seulement de la SAS mais aussi de son « associé unique », une société qui avait apporté un immeuble de 60,7 millions d’euros et des titres de sociétés immobilières d’une valeur de 22 millions d’euros.

Aucune intention frauduleuse n’étant caractérisée, l’irrégularité tenant à l’adoption des décisions par « l’associé unique » en violation des statuts de la SAS ne pouvait pas entraîner la nullité de celles-ci par application du principe selon laquelle la fraude corrompt tout.

5. Comme le rappelle la cour, la violation des statuts n’était pas par elle-même une cause de nullité des décisions, seule la fraude pouvant entraîner cette annulation. Un précédent arrêt d’appel ayant admis le contraire dans la même affaire avait été censuré par la Cour de cassation, qui avait réaffirmé à cette occasion sa jurisprudence : « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité » (Cass. com. 26-4-2017 n° 14-13.554 F-D).

… mais la distribution de dividendes et de réserves caractérisait une fraude paulienne

6. Quelques mois avant le jugement du tribunal de commerce ayant annulé le coup d’accordéon, une cour d’appel avait condamné la SAS à verser à l’associé minoritaire une somme correspondant au prix de cession d’actions qu'il détenait dans une autre société du groupe (2,5 millions d’euros environ). Estimant que la distribution de dividendes et de réserves litigieuse avait appauvri la SAS et portait atteinte à son gage de créancier, le minoritaire demandait que ces opérations lui soient déclarées inopposables (exercice de l’action paulienne : C. civ. art. 1341-2 ; ex-art. 1167).

7. La cour d'appel lui donne raison : la remise des parts à « l’associé unique » sous couvert de distribution de dividendes et de réserves avait drastiquement appauvri la société, qui ne détenait plus dès lors ni actif immobilier ni part de SNC. La SAS avait alors connaissance de l’arrêt d’appel l’ayant condamnée à verser le prix de cession des actions et avait ainsi connaissance du préjudice qu’elle causait au minoritaire.

8. Il était en outre établi, ajoute la cour, que le bénéficiaire de la remise des parts avait lui aussi connaissance du préjudice causé au minoritaire puisque, en tant qu'« associé unique » de la SAS, il avait connaissance de l’arrêt d’appel ayant condamné sa filiale. Les parts de la SNC lui avaient été remises moins de trois semaines après l’apport des actifs, alors que l’exercice comptable de la SAS n’était pas clos. La complicité de l’associé était ainsi caractérisée par sa connaissance de la créance du minoritaire sur la SAS, la rapidité avec laquelle la décision de remise des parts avait été prise après l'apport des actifs et la circonstance que cette remise résultait d’une distribution d'un acompte sur dividendes et de réserves opérée avant la clôture de l'exercice.

La cour d’appel a donc déclaré cette distribution inopposable au minoritaire et a condamné l'associé fautif à l'indemniser de la perte de chance de pouvoir recouvrer avec certitude sa créance (indemnité de 1,5 millions d'euros environ).

9. Par cette décision, la cour applique les conditions de l’action paulienne : l’acte critiqué doit avoir entraîné l’appauvrissement du débiteur ; celui-ci doit avoir eu connaissance, au moment de l’opération, du préjudice qu’il cause au créancier ; la créance ou, à tout le moins, le fait générateur de celle-ci doit être né avant la réalisation de l’apport.

En l’espèce, le minoritaire avait critiqué la distribution de dividendes et de réserves au titre de la fraude paulienne mais pas l’apport des actifs immobiliers. Rappelons qu’un tel apport par le débiteur est également considéré comme un acte d’appauvrissement dès lors que cette opération aboutit à remplacer, dans son patrimoine, des immeubles qui, pris individuellement, trouveraient facilement acquéreur, par des parts sociales difficilement négociables et dont le prix de vente n'atteindrait pas la valeur des immeubles apportés (par exemple, Cass. 3e civ. 9-2-2010 n° 09-10.639 : RJDA 7/10 n° 782).

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