La Cour de cassation vient de juger que la différence de traitement entre les salariés transférés en application d'un accord collectif et les salariés de l’employeur entrant est justifiée au regard du principe d’égalité de traitement.
Dans cette affaire, une entreprise attributaire du marché de nettoyage sur un site reprend à son service, conformément aux dispositions de l’accord du 29 mars 1990 annexé à la convention collective nationale des entreprises de propreté du 26 juillet 2011, plusieurs salariés affectés sur ce site à la suite de la perte du marché par leur ancien employeur. A cette occasion, certains d’entre eux, s’estimant victimes d’une inégalité de traitement, réclament le bénéfice d’une prime de 13e mois versée à d’autres salariés de l’entreprise entrante, dont les contrats de travail avaient été repris antérieurement en application des mêmes règles conventionnelles imposant à l’employeur de maintenir la rémunération des salariés transférés lors de la reprise d’un marché.
Saisi de ces contestations, le conseil de prud’hommes de Paris accède aux demandes des salariés et condamne le nouveau prestataire à leur verser la prime de 13e mois. Ce faisant, les juges du fond appliquent scrupuleusement la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en la matière. En effet, selon cette dernière, le maintien des contrats de travail de salariés transférés à un nouvel employeur, et des primes qui y sont attachées, ne résultant pas de l'application de la loi mais d'une convention collective et n'étant pas destiné à compenser un préjudice spécifique à cette catégorie de travailleurs, l'inégalité qui en résulte entre salariés accomplissant le même travail pour le même employeur sur le même chantier n'est pas justifiée par des raisons pertinentes et méconnaît ainsi le principe d'égalité de traitement (Cass. soc. 15-1-2014 n° 12-25.402 FS-PB ; Cass. soc. 16-9-2015 n° 13-265.788 FS-PB).
Pourtant, la Cour de cassation décide de casser, sans renvoi, les jugements rendus par les juges du fond et de remettre en cause sa jurisprudence précitée. Selon la chambre sociale, la différence de traitement entre les salariés transférés, en application d'une convention collective conclue par les organisations syndicales représentatives, et les salariés de l'employeur entrant, qui résulte de son obligation de maintenir aux salariés transférés les droits et rémunérations qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert, n'est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle. Principale conséquence, cette inégalité se trouve justifiée au regard du principe d'égalité de traitement. Autrement dit, le fait pour un accord collectif de réserver, comme en l’espèce, le bénéfice d’une prime de 13e mois aux seuls salariés de l’entreprise qui en jouissaient avant le transfert de leur contrat de travail, sans l’octroyer ni aux salariés appartenant à l’entreprise avant ce transfert, ni à ceux embauchés ou transférés postérieurement, ne viole pas le principe d’égalité de traitement.
La Haute Juridiction tire en fait les conséquences de l’évolution de la législation du travail en matière de négociation collective qui n’a eu de cesse de renforcer les pouvoirs des partenaires sociaux et de consolider la norme qu’ils édictent. Elle prend également en compte l’évolution de sa propre jurisprudence sur l’application du principe d’égalité de traitement à l’égard des conventions et accords collectifs de travail. Depuis 2015, elle accorde en effet à certaines différences de traitement conventionnelles une présomption de justification, ayant pour effet d’inverser la charge de la preuve : ce n’est plus à l’employeur de prouver que l’inégalité repose sur une raison objective et pertinente, mais à celui qui la conteste (salarié ou organisation syndicale) de démontrer qu’elle est étrangère à toute considération professionnelle (Cass. soc. 27-1-2015 n° 13-22.179 FS-PBRI, n° 13-25.437 FS-PB et n° 13-14-773 FS-PB). Dans l'arrêt rapporté, elle va même plus loin puisque qu’elle décide que le transfert du marché de service constitue nécessairement une considération de nature professionnelle, de sorte que la présomption de justification devient irréfragable. Résultat, il devrait être impossible pour les parties de renverser cette présomption devant les juges du fond.
Guilhem POSSAMAI
Pour en savoir plus sur le transfert d'entreprise conventionnel : voir Mémento Social n° 75030