TA Toulouse 4-12-2024 n° 2300158, Sté El Vaz
Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (C. trav. art. L 8251-1, al. 1er), sous peine de devoir acquitter pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler une contribution spéciale à l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) (C. trav. art. L 8253-1, al. 1er, dans sa version en vigueur antérieurement à la loi 2024-42 du 26-1-2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration). Si cette contribution a été remplacée par une amende administrative (loi 2024-42 du 26-1-2024, précitée ; décret 2024-814 du 9-7-2024), cela n’a pas d’incidence sur la question de la caractérisation du contrat de travail tranchée par le tribunal administratif de Toulouse, dont ce dernier a d’ailleurs signalé l’intérêt jurisprudentiel.
La qualification de contrat de travail ne dépend pas de la volonté des parties...
En l’espèce, l’Ofii avait sanctionné une société exploitant un bar. L’étranger en situation irrégulière concerné était associé à parts égales avec son frère au sein de la société et également directeur général de la société. Lors d’un contrôle, la police aux frontières avait pu constater qu’il nettoyait des verres derrière le comptoir du bar et se trouvait ainsi en situation de participation à l’activité de l’établissement. De plus, lors d’une audition, il avait déclaré occuper un poste polyvalent au titre duquel il effectuait les courses, le nettoyage, la sécurité ou encore la gestion, à raison de 20 heures par semaine avec une rémunération en dividendes. Il avait également déclaré que ces sommes étaient versées en contrepartie de l'exercice de ses fonctions polyvalentes. À l’issue de la procédure applicable, l’Ofii avait mis à la charge de la société la somme de 18 650 euros au titre de la contribution spéciale pour avoir employé un travailleur étranger en situation irrégulière en méconnaissance des dispositions de l'article L 8251-1 du Code du travail. La société demandait au juge administratif l’annulation de cette décision.
En matière de contestation d’une sanction administrative, le juge administratif est saisi comme juge de plein contentieux (CE 11-2-2022 n° 448372 : Lebon 2022). Il lui appartient d’exercer son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction (CE 12-4-2022 n° 449684 : Lebon 2022). Sur ce point, le tribunal rappelle que la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie, ni même de sa formalisation dans un document, mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité (Cass. soc. 23-4-1997 n° 94-40.909 P : RJS 6/97 n° 645 ; Cass. soc. 19-12-2000 n° 98-40.572 FS-PBRI : RJS 3/01 n° 275) et que la qualité de salarié suppose ainsi nécessairement l'existence d'un lien, fût-il indirect, de subordination du salarié qui fournit son travail à la personne qui l'emploie en contrepartie d'une rémunération (CAA Toulouse 13-2-2024 n° 22TL21419).
... et la qualité de dirigeant n'est pas exclusive de celle de salarié
Pour rejeter la demande d’annulation de la société, le tribunal estime que l’existence d’une relation de travail entre la société et l’étranger en situation irrégulière est établie, malgré la qualité de celui-ci d’associé à parts égales avec son frère et de directeur général de la société, dès lors, d’une part, que lors d’un contrôle l’intéressé nettoyait des verres derrière le comptoir du bar, se trouvant ainsi en situation de participation à l’activité de l’établissement et, d’autre part, que lors d’une audition, il a déclaré occuper un poste polyvalent au titre duquel il effectuait les courses, le nettoyage, la sécurité ou encore la gestion, à raison de 20 heures par semaine avec une rémunération en dividendes et que ces sommes étaient versées en contrepartie de l'exercice de ses fonctions polyvalentes. Pour le tribunal, la fonction de dirigeant n’est pas incompatible avec celle de salarié, la qualification juridique que les parties ont souhaité donner aux sommes d’argent versées est indifférente et le statut d’associé d’une société ne permet pas de fournir en cette qualité une prestation de travail moyennant une rémunération en dividendes.
Dans le même sens, une relation de travail a été caractérisée concernant une étrangère présente en qualité de serveuse au sein d’un restaurant dans lequel elle était rémunérée par des pourboires (CAA Toulouse 6-12-2022 n° 20TL04662) ou encore un étranger remplaçant un coursier, dès lors qu’il recevait 70 % du montant des courses effectuées et qu’il était dépendant du coursier qui lui fournissait sa bicyclette et son accès à l'application de réception des commandes (CAA Toulouse 13-2-2024, précité). En revanche, l’absence de relation de travail rémunérée a pu être constatée s’agissant d’un étranger en situation irrégulière effectuant un stage de découverte (CAA Toulouse, 2e ch., 21-6-2022, n° 21TL22973).