Est-il possible de conclure une rupture conventionnelle homologuée avec un salarié déclaré inapte par le médecin du travail ? Oui, répond la Cour de cassation, même si l'inaptitude physique du salarié résulte d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Une position du juge qui peut surprendre.
La rupture conventionnelle est possible avec le salarié victime d'un accident du travail ...
La Cour de cassation confirme, dans l'arrêt du 9 mai 2019, que le salarié victime d'un accident du travail peut valablement négocier la rupture de son contrat de travail.
Rappelons que la Cour avait déjà reconnu cette possibilité, à propos d'un salarié ayant conclu une rupture conventionnelle pendant la période de suspension de son contrat de travail consécutive à l'accident (Cass. soc. 30-9-2014 n° 13-16.297 FS-PBR). Pour les juges, les dispositions du Code du travail limitant la rupture du contrat de travail, pendant cette période, à la faute ou l'impossibilité de maintenir le contrat ne concernent que la rupture unilatérale à l'initiative de l'employeur. La rupture conventionnelle, qui résulte d'un accord des parties, reste possible.
A noter : jugeant ainsi, la Cour de cassation s'était démarquée de sa propre jurisprudence en matière de départ négocié : antérieurement à 2008, date de création de la rupture conventionnelle homologuée, toute rupture amiable du contrat de travail au cours d'une période de suspension résultant d'un accident du travail était exclue (voir notamment Cass. soc. 29-6-1999 n° 97-40.426 P ; Cass. soc. 4-1-2000 n° 97-44.566 P). Elle s'était également démarquée de l'administration, selon laquelle la rupture conventionnelle est exclue dans les situations où le salarié bénéficie d'une protection particulière contre la rupture de son contrat de travail (Circ. DGT 2009-5 du 17-3-2009 n° 1.2).
S'agissant du salarié de retour dans l'entreprise à la suite d'un accident du travail, la Cour de cassation a également admis la possibilité de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré apte avec réserves à la reprise du travail, à défaut pour ce dernier d'avoir prouvé que l'employeur avait en réalité voulu éluder les dispositions du Code du travail relatives à la réintégration du salarié apte (Cass. soc. 28-5-2014 n° 12-28.082 FS-PB).
... même s'il est déclaré physiquement inapte à son emploi ...
Plus surprenant, l'arrêt du 9 mai 2019 admet la possibilité pour le salarié de conclure la rupture conventionnelle après avoir été déclaré physiquement inapte à son poste par le médecin du travail.
La Cour de cassation se démarque, là encore, des principes qu'elle appliquait avant 2008 à propos du départ négocié. Le recours à ce mode de rupture du contrat était expressément exclu pour un salarié inapte, car il aurait eu pour effet d'éluder le régime juridique spécifique lié à l'inaptitude physique (Cass. soc. 29-6-1999 n° 96-44.160 PB).
La déclaration d'inaptitude physique du salarié emporte en effet application d'un régime protecteur : obligation pour l'employeur, sauf exception très encadrée, de lui chercher un poste de reclassement, reprise du versement du salaire à défaut de reclassement ou de rupture du contrat de travail dans le délai d'un mois, possibilité d'engager la procédure de licenciement uniquement en cas de justification de l'impossibilité de reclassement. Le salarié n'est pas uniquement protégé contre la rupture unilatérale de son contrat de travail par l'employeur : c'est, plus globalement, son employabilité que le Code du travail vise à préserver.
Permettre aux parties de conclure une rupture conventionnelle, c'est admettre que ce régime juridique protecteur soit écarté. Certes, rien ne s'oppose à ce qu'un salarié démissionne après avoir été déclaré inapte par le médecin du travail. On ne voit donc pas ce qui pourrait l'empêcher, en théorie, de négocier la rupture de son contrat de travail. Mais sauf à négocier une indemnité de rupture supérieure à l'indemnité minimale, on ne voit pas non plus ce qui pourrait l'inciter à renoncer à la protection légale.
A noter : S'agissant des indemnités de rupture, dans la mesure où le corpus juridique lié à l'inaptitude physique est écarté, le salarié ne devrait pas pouvoir prétendre à l'indemnité spécifique de licenciement (égale au double de l'indemnité légale de licenciement) et à l'indemnité compensatrice (égale à l'indemnité compensatrice de préavis légale) prévues par l'article L 1226-14 du Code du travail, mais seulement à l'indemnité de rupture conventionnelle (au moins égale à l'indemnité légale de licenciement ou, dans entreprises relevant de branches d'activité représentées par le Medef, la CGPME ou l'UPA à l'indemnité conventionnelle de licenciement si elle est supérieure)
... sauf à prouver la fraude ou le vice du consentement
La Cour de cassation réserve le cas de la fraude ou du vice du consentement, qui sont de nature à justifier l'annulation de la rupture conventionnelle.
En l'espèce, les juges ont écarté le vice du consentement qui n'était pas allégué par le salarié et considéré que la preuve de la fraude de l'employeur n'était pas établie, dès lors que le salarié a disposé d'un délai de 15 jours de rétractation avant l'homologation de la convention de rupture et que celle-ci était régulière.
Cette solution semble remettre en cause un arrêt de la cour d'appel de Poitiers ayant annulé pour fraude une rupture conventionnelle signée par un salarié entre les deux visites de reprise aux motifs que c'était l'imminence de la déclaration d'inaptitude qui avait incité l'employeur à proposer une rupture conventionnelle au salarié pour échapper à son obligation de reclassement et que le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle était inférieur à celui de l'indemnité de licenciement majorée due en cas licenciement pour inaptitude physique (CA Poitiers 28-3-2012 n° 10-02441).
Pour autant, on peut penser que l'employeur voulant conclure une rupture conventionnelle avec un salarié inapte a tout intérêt à l'informer de son obligation de reclassement et à lui verser une indemnité au moins égale à celle qui lui serait due en cas de licenciement pour inaptitude physique ou, tout du moins, à l'informer de l'existence de cette indemnité majorée. En effet, quand bien même la fraude ne serait pas retenue dans ces circonstances par la Haute Juridiction, le silence de l'employeur pourrait être assimilé à une manœuvre dolosive de sa part ayant vicié le consentement du salarié.
De même, en matière de vice du consentement, le salarié inapte pourrait aussi invoquer la fragilité de son état de santé au moment de la conclusion de la convention en faisant état de séquelles ayant altéré ses capacités ou sa clairvoyance. Cet élément pourra être d'autant plus retenu par le juge si son accident du travail ou sa maladie professionnelle est lié à des troubles psychiques ou psychologiques consécutifs à ses conditions ou à sa charge de travail.
Laurence MECHIN et Stanislas de FOURNOUX
Pour en savoir plus sur la rupture conventionnelle homologuée : Voir Mémento Social n° 69100 s.