La Cour de cassation retient, dans son arrêt du 17 janvier 2024, une solution inédite qui mérite d’être signalée.
Un processus de licenciement économique ayant duré près d’un an
Une entreprise met en oeuvre, en juillet 2017, un projet de licenciement économique avec plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en raison d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et engage des négociations en vue de la conclusion d’un accord collectif majoritaire portant PSE. Les négociations ayant échoué, l’employeur demande au Dreets, en décembre 2017, d’homologuer un document unilatéral comportant un nouveau PSE. Cette homologation ayant été refusée en janvier 2018, l’employeur reprend la négociation d’un accord collectif majoritaire portant PSE, finalement conclu en mai 2018 et validé par le Dreets en juin 2018.
Entre-temps, l’entreprise a conclu, en avril 2018, un accord collectif de suspension des contrats de travail des salariés ayant trouvé un emploi extérieur afin de permettre des départs volontaires anticipés.
Mais une douzaine de salariés menacés de licenciement ont démissionné entre janvier et mars 2018 afin de prendre un autre emploi, alors que la négociation du PSE était en cours. Estimant n’avoir pas pu bénéficier des mesures du PSE ni du dispositif de départs volontaires en raison des fautes de l’employeur, ils saisissent le juge prud’homal d’une demande d’indemnisation et, subsidiairement, d’une demande de requalification de leur démission en prise d’acte de la rupture de leur contrat produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Des manquements de l’employeur dans le cadre de l’élaboration du PSE...
La cour d’appel a caractérisé deux manquements de l’employeur, au vu desquels elle a requalifié les démissions des salariés en prises d’acte de la rupture de leur contrat produisant les effets de licenciements sans cause réelle et sérieuse.
En premier lieu, l’employeur a commis un manquement volontaire dans l’élaboration de son PSE par voie de document unilatéral. En effet, le Dreets et les représentants du personnel l’ont alerté sur des incertitudes et des irrégularités dans la définition des catégories professionnelles au sein desquelles s’applique l’ordre des licenciements. Mais il n’en a pas tenu compte et a soumis son document unilatéral non rectifié au Dreets pour homologation : la procédure s’est soldée par un refus d’homologation de l’administration.
Les juges considèrent que, par son attitude, l’employeur a considérablement rallongé les délais d’adoption et de mise en oeuvre du PSE. Par conséquent, les salariés – informés de l’engagement d’une procédure de licenciement économique depuis 7 mois et en recherche d’un autre emploi – ont été contraints de démissionner en cours de procédure.
A noter :
Rappelons que, à tout moment en cours de procédure, le Dreets peut adresser à l’employeur des observations ou des propositions sur le déroulement de la procédure ou le PSE, dont il envoie une copie aux représentants du personnel et auxquelles l’employeur doit répondre (C. trav. art. L 1233-57-6).
L’employeur a tout intérêt à prendre en compte ces observations et propositions – ainsi que, comme le souligne l’arrêt, celles formulées par les représentants du personnel. À défaut, il risque, comme en l’espèce, un refus d’homologation.
Deuxième élément reproché à l’employeur : sa mauvaise foi.
En raison de la longueur de la procédure, dont il était parfaitement conscient, de nombreux salariés ont demandé la suspension de leur contrat de travail afin d’occuper un autre emploi. L’employeur aurait dû anticiper cette situation, mais il n’a que tardivement négocié un accord de suspension des contrats de travail permettant des départs volontaires anticipés.
Il a en outre laissé les salariés dans l’ignorance sur la négociation de cet accord. Ceux qui avaient déjà trouvé un autre emploi ont donc été contraints soit de démissionner, perdant ainsi le bénéfice des mesures du PSE, soit d’attendre l’adoption définitive du PSE et risquer ainsi de perdre ce nouvel emploi.
Pour les juges d’appel, l’employeur a donc délibérément exclu du bénéfice du plan de départs volontaires les salariés contraints de démissionner.
... suffisamment graves pour justifier la prise d’acte de la rupture à ses torts
La Cour de cassation rejette les pourvois de l’employeur.
Elle approuve les juges du fond d’avoir décidé que la démission des salariés était équivoque, car elle ne procédait pas d’une volonté libre, consciente, expresse et claire de rompre le contrat de travail pour convenances personnelles.
La démission devait donc être requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat de travail (voir déjà, en ce sens, Cass. soc. 9-5-2007 n° 05-40.518 FS-PBRI ; Cass. soc. 23-1-2019 n° 17-26.794 F-D).
Les manquements de l’employeur, appréciés souverainement par les juges du fond, ont pu par ailleurs être considérés comme suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. La rupture produit donc, ici, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’employeur est condamné à verser aux salariés une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A notre avis :
La solution invite l’employeur mettant en oeuvre un licenciement collectif pour motif économique à la prudence s’agissant des délais de procédure et à la loyauté vis-à-vis des salariés et des représentants du personnel.
Les salariés menacés de licenciement vont, naturellement, chercher un autre emploi. Si l’élaboration du PSE prend plus de temps que prévu, il faut les en informer pour leur permettre de s’organiser. Si, comme en l’espèce, les mouvements de salariés s’annoncent massifs, l’employeur a tout intérêt à mettre en place un dispositif leur permettant de prendre un autre emploi sans perdre le bénéfice des mesures du PSE, par exemple de dispense d’activité, ce qu’il avait d’ailleurs fait ici mais trop tardivement. Un dialogue transparent avec les représentants du personnel aurait certainement permis, dans une telle situation, d’éviter que la situation dégénère.
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