Un homme ayant la double nationalité franco-suisse épouse une femme de nationalités suisse, irlandaise et danoise. Deux enfants naissent de cette union. À la suite de la séparation des époux, un tribunal suisse, saisi en 2015, s’estime incompétent à l’égard des mesures concernant les enfants mais compétent pour statuer sur les obligations alimentaires entre époux. Début 2016, le mari saisit un tribunal français d’une requête en divorce. À compter d’octobre 2016, le père est incarcéré en France et la résidence principale des enfants est fixée exclusivement en Suisse. Le tribunal français saisi du divorce rend une ordonnance de non-conciliation et s’estime incompétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. La décision est réformée en appel, la cour d’appel considérant au contraire les juridictions françaises compétentes : les enfants étaient en résidence alternée entre la France et la Suisse et scolarisés en France, où ils avaient depuis plusieurs années le centre habituel de leurs intérêts et étaient intégrés dans un environnement social et familial. La cour juge qu’ils avaient leur résidence habituelle en France, ce qui rend les juridictions françaises compétentes selon le règlement Bruxelles II bis (Règl. 2201/2003 du 27-11-2003), celui-ci désignant pour statuer en matière de responsabilité parentale les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant à la date où la juridiction est saisie.
Cassation. Il résulte des constatations de la cour d’appel que la résidence des enfants a été licitement transférée en cours d’instance en Suisse. Le règlement Bruxelles II bis, dont les dispositions priment sur celles de la convention de La Haye du 19 octobre 1996 dans les seules relations entre États membres, était inapplicable. Il fallait donc appliquer la convention de La Haye, en vigueur en Suisse comme en France. Celle-ci désigne comme compétent pour statuer sur les modalités de l’autorité parentale le tribunal de la résidence habituelle des enfants et, en cas de changement licite de la résidence habituelle dans un autre État contractant, le tribunal de la nouvelle résidence habituelle, soit ici un tribunal suisse. Les juridictions françaises étaient donc incompétentes.
A noter : L’articulation entre la convention de La Haye du 19 octobre 1996 et le règlement Bruxelles II bis soulève des difficultés en matière de compétence et de reconnaissance des jugements qui ne sont pas inconnues de la doctrine (voir E. Pataut, De Bruxelles à La Haye, Droit international privé communautaire et droit international privé conventionnel, Mélanges en l'honneur de Paul Lagarde : Dalloz 2005 p. 661). S’agissant de la compétence, le règlement prévoit qu’il prime sur la Convention lorsque l’enfant a sa résidence habituelle dans un État membre (Règl. 2201/2003 du 27-11-2003 art. 61), ce que permet la Convention via une clause dite de déconnexion (Conv. La Haye 19-10-1996 art. 52). Cette primauté peut-elle être imposée à un État partie à la Convention mais tiers à l’Union européenne (la Suisse en l’occurrence) ? La Cour de cassation répond par la négative dans l’arrêt commenté et cette réponse paraît logique. On notera cependant qu’elle ajoute une condition (« dans les seules relations entre les États membres ») au texte du règlement qui n’y figure pas, et ceci sans doute de manière délibérée (elle figure dans d’autres articles du règlement relatifs aux relations entre ce texte et d’autres conventions internationales). De même, la clause de déconnexion de la convention de La Haye est ambiguë sur ce point et permet les deux interprétations : primauté du règlement, même avec un État tiers, dès lors que l’enfant a sa résidence habituelle dans un État membre de l’UE, ou inopposabilité du règlement dans les relations avec les États tiers, même si le rapporteur souligne clairement que la seconde solution lui paraît plus exacte et conforme à la lettre du texte (voir Paul Lagarde : Rapport explicatif sur la Convention-Protection des enfants de 1996, n° 174).
En dépit de la similitude des règles de compétence posées par le règlement et la Convention, la solution retenue a un impact pratique en l’espèce. La compétence est appréciée « au moment où la juridiction est saisie » dans le règlement (ce qui aurait donné compétence aux juridictions françaises) alors que la Convention semble curieusement admettre un changement en cours d’instance (voir Paul Lagarde : Rapport explicatif précité, n°42), donnant compétence aux juridictions suisses.
David LAMBERT, avocat à Paris, coauteur du Mémento Droit de la famille
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit de la famille n°s 73160 et 73203
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