En cas d’accident du travail résultant d’un manquement aux règles de sécurité prescrites par le Code du travail ou les règlements pris pour son application, la responsabilité pénale de la personne morale employeur (société civile ou commerciale, association…) peut être engagée dans les conditions prévues par l’article 121-2 du Code pénal. Conformément à ce texte, et comme pour toute autre infraction, la personne morale ne peut être poursuivie et condamnée du chef d’un homicide ou de blessures involontaires que si l’infraction a été commise, pour son compte, par l’un de ses organes ou représentants. Or, comme le démontre l’abondance du contentieux sur la question, et la censure régulière des décisions des juges du fond, la détermination de cet organe ou représentant soulève des difficultés. Difficultés qui ont un temps amené la chambre criminelle de la Cour de cassation à admettre que les juges du fond puissent retenir la responsabilité pénale de l’entreprise, sans identification préalable de la personne physique, auteur matériel de l’infraction, dès lors que cette dernière ne pouvait avoir été commise, pour son compte, que par ses organes ou représentants (notamment Cass. crim. 20-6-2006 n° 05-85.255 FPFI : RJS 10/06 n° 1141 ; Cass. crim. 26-6-2007 n° 06-84.821 F-D : RJS 1/08 n° 41). Mais elle est ensuite revenue sur cette solution et à une plus grande orthodoxie au regard des conditions posées par l’article 121-2 du Code pénal. Par ses deux arrêts des 17 et 31 octobre dernier, elle confirme et précise sa jurisprudence.
Un salarié n’engage la responsabilité de l’entreprise que s’il a une délégation de pouvoirs
Il est désormais acquis qu’il n’y a pas de présomption d’imputabilité d’une faute à la personne morale ni pour les infractions en matière d’hygiène et de sécurité, ni pour une autre infraction. Les juges du fond sont donc censurés chaque fois qu’à la suite d’un accident du travail résultant d’un manquement à des règles de sécurité, ils retiennent la responsabilité pénale d’une entreprise sans avoir identifié l'organe ou le représentant de celle-ci ayant commis l’infraction pour son compte ou en l’identifiant de manière imprécise (notamment Cass. crim. 11-4-2012 n° 10-86.974 FS-PB : RJS 7/12 n° 668 ; Cass. crim. 6-5-2014 n° 13-81.406 F-PBI : RJS 7/14 n° 606 ; voir également chronique A. Cœuret et F. Duquesne : RJS 10/14 p. 547). La personne physique auteur de l’infraction pour le compte de l’entreprise peut être son ou ses dirigeants de droit (le ou les cogérants d’une SARL par exemple) ou un dirigeant de fait (Cass. crim. 11-7-2017 n° 16-86.092 F-D : RJS 11/17 n° 775) ou, ce qui est assez fréquent dans ce domaine, le salarié titulaire d’une délégation des pouvoirs de l’employeur en matière d’hygiène et de sécurité (Cass. crim. 30-5-2000 n° 99-84.212 PF : RJS 9-10/00 n° 1038 ; Cass. crim. 25-3-2014 n° 13-80.376 F-PBI : RJS 6/14 n° 532), ou d’une subdélégation desdits pouvoirs (Cass. crim. 26-6-2001 n° 00-83.466 F-PF). Pour être valable, une telle délégation ou subdélégation suppose que le salarié concerné soit investi de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission.
Mais il n’est pas question, et c’est ce que rappelle l’arrêt de la chambre criminelle du 17 octobre 2017, de juger l’entreprise responsable sur la base d’une faute commise par un salarié devenu dirigeant de droit – mais qui ne l’était pas encore au moment de l’infraction – ou par un salarié ayant des responsabilités en matière de sécurité – tel qu’un chef d’équipe – s’il n’est pas établi que l’un ou l’autre disposait d’une délégation (ou subdélégation) des pouvoirs de l’employeur au moment de l’accident.
Dans cette affaire, où une entreprise était poursuivie à la suite de la chute de 8 mètres de haut de deux de ses salariés, après l’effondrement d’une toiture sur laquelle ils effectuaient des travaux sans filet de protection, la cour d’appel d’Agen ne pouvait donc pas juger l’entreprise pénalement responsable des chefs de blessures involontaires et de mise à disposition d’un équipement de travail ne permettant pas d’assurer la sécurité du personnel alors qu’elle n’avait pas retenu de faute à l’encontre de la personne physique, gérant de droit à l’époque de l’accident, mais uniquement une faute d’abstention à l’égard d’une part, d’un directeur salarié ayant été nommé cogérant environ 10 mois après cet accident et, d’autre part, d’un chef d’équipe, à qui il appartenait de s'assurer que les dispositifs de protection étaient bien en place lors des travaux. En tant que salarié, l’un ou l’autre ne pouvait en effet engager la responsabilité de l’entreprise qu’à la condition d’être titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité de nature à lui conférer la qualité de représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal, ce qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher, au besoin en ordonnant un supplément d’information.
A noter : la chambre criminelle précise, logiquement, que la circonstance que le directeur salarié avait, conformément à l’article 706-43 du Code de procédure pénale, valablement représenté la société au cours de la procédure pénale, en sa qualité de cogérant acquise postérieurement à l'accident, était inopérante.
Les conséquences, pour la personne morale, de la responsabilité de principe du chef d’entreprise
La seconde affaire, ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre criminelle du 31 octobre 2017, soulevait à l’inverse la question du bien-fondé de la décision d’une cour d’appel d’écarter la responsabilité pénale de l’entreprise. Les juges du fond avaient retenu qu’était établie l’existence d’une faute à l’origine de l’accident du travail dont avait été victime le salarié, agent de maintenance d’une société pétrolière, mortellement blessé par suite de l’explosion d’une pompe d’extraction qu’il tentait de remettre en marche. Ils avaient en effet relevé que le dysfonctionnement du système de freinage destiné à ralentir la rotation inverse de la pompe résultait d’un défaut de maintenance ancien et habituel. Mais ils avaient estimé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la personne morale car aucun salarié ne disposait d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité et que le dirigeant de droit de l’entreprise ne pouvait quant à lui se voir reprocher aucune faute personnelle en relation avec l’accident dans la mesure où il travaillait au siège social et n’intervenait pas sur le site pétrolifère. La faute à l’origine de l’accident n’était donc pas, selon eux, le fait d’un organe ou représentant de la société au sens de l’article 121-2 du Code pénal.
Mais c’était oublier qu’en vertu d’une jurisprudence ancienne et constante, il appartient au chef d'entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des règles en matière d’hygiène et de sécurité édictées par le Code du travail ou les règlements pris pour son application (notamment Cass. crim. 11-5-2010 n° 09-86.045 F-D : RJS 11/10 n° 855 ; Cass. crim. 6-9-2016 n° 15 84.186 F-D).
C’est pourquoi la chambre criminelle décide, à l’occasion de cette affaire, de clarifier la situation par deux attendus de principe : l’un pour rappeler qu’il appartient aux juges du fond, lorsqu’ils constatent la matérialité d’une infraction non intentionnelle susceptible d’être imputée à une personne morale, d’identifier, au besoin en ordonnant un supplément d'information, celui des organes ou représentants de cette personne dont la faute, au sens de l’article 121-3, al. 2 et 3 du Code pénal, est à l’origine du dommage ; l’autre pour préciser qu’il en va ainsi du représentant légal qui omet de veiller lui-même à la stricte et constante mise en œuvre des dispositions édictées par le Code du travail et les règlements pris pour son application en vue d'assurer la sécurité des travailleurs, à moins que ne soit apportée la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires au respect des dispositions en vigueur.
S’ensuit une censure de l’arrêt de la cour d’appel de Reims qui, ayant constaté l’existence d’une faute en lien de causalité directe avec l’accident du travail, ne pouvait donc pas prononcer la relaxe de l’entreprise, personne morale, du chef d’homicide involontaire, sans rechercher si le dirigeant de celle-ci, faute d’avoir délégué ses pouvoirs, avait veillé personnellement à l’exécution constante et effective des obligations particulières de sécurité dont la violation avait été à l’origine de cet accident.
A noter : le message est clair pour les juges du fond et pour les entreprises : si le manquement aux règles de sécurité à l’origine d’un accident du travail est établi, la difficulté d’identifier la personne sur qui reposait l’obligation de veiller au respect de ces règles ne doit pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité pénale de l’entreprise. Certes il n’y a pas de retour en arrière et pas de présomption d’imputabilité de la faute à l’entreprise comme cela avait été un temps admis par la chambre criminelle. Mais la responsabilité de principe du chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité doit généralement permettre de démontrer que le manquement constaté incombe bien à un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal : son représentant légal ou le titulaire d’une délégation valable de ses pouvoirs en la matière. Rappelons, à cet égard, qu’une faute peut d’ailleurs être reprochée à l’employeur lorsqu’il ne délègue pas ses pouvoirs alors que la taille ou l'organisation de son entreprise ne lui permettent pas de veiller lui-même à l’application constante et effective des règles de sécurité (Cass. crim. 4-1-1986 n° 84-94.274).