Une société de revente de véhicules d'occasion confie l'établissement de ses déclarations fiscales à un expert-comptable. Celui-ci lui indique tout d'abord qu'elle doit, au moment de la revente, appliquer la TVA sur la marge bénéficiaire réalisée et non sur la totalité du prix de vente. A la suite d'un contrôle fiscal ayant fait apparaître que la société n'était pas autorisée à pratiquer la TVA à la marge, celle-ci fait l'objet d'un redressement de TVA de plus de 500 000 €. Invoquant un manquement à l'obligation de conseil de l'expert-comptable, la société agit contre lui en responsabilité.
La cour d'appel de Paris accueille l'action : l'expert-comptable, tenu à une obligation de conseil à l'égard du client, avait fait une interprétation erronée des textes fiscaux et lui avait conseillé un régime de TVA inapplicable aux opérations qu'elle réalisait et dont il avait connaissance ; l'obligation de conseil n'est que de moyens mais l'expert n'avait mis en oeuvre les moyens suffisants pour vérifier les règles auxquelles la société était soumise qu'après deux ans d'application du régime de TVA erroné.
Les pénalités de 40 % pratiquées par l'administration fiscale pour manquement délibéré du contribuable à ses obligations n'exonéraient pas l'expert de sa responsabilité, son obligation de conseil ne s'effaçant pas devant des clients professionnels de l'activité exercée.
Pour l'évaluation du préjudice subi par la société à raison du manquement à l'obligation de conseil de l'expert, la cour n'a tenu compte, ni du montant de la TVA éludée (puisque celle-ci aurait dû être supportée en toute hypothèse par la société), ni des intérêts de retard, qui ne font que compenser l'avantage pour la société d'avoir bénéficié d'une trésorerie dont elle n'aurait pas disposé si elle avait acquitté l'intégralité de la TVA due.
En revanche, la perte de chance de recouvrer la TVA que la société aurait dû facturer à ses clients pour la période couverte par le redressement a été indemnisée. L'erreur de l'expert a en effet empêché la société de récupérer auprès de ses clients le montant exact de la TVA due compte tenu des délais écoulés. La cour a estimé cette perte de chance à 250 000 € après avoir relevé que le prix de revente des véhicules aurait été plus élevé si la société avait pratiqué le bon régime de TVA, si bien qu'il n'était pas établi que le volume des ventes ayant servi de base au redressement aurait correspondu à celui effectivement réalisé.
En pratique : les actions en responsabilité dirigées contre les experts-comptables ne sont pas rares en matière de TVA. Souvent, elles sont engagées, comme en l'espèce, par des clients faisant l'objet d'un redressement fiscal en raison d'une insuffisance de déclaration de TVA (par exemple, CA Versailles 4-11-2004 n° 03-2908 : RJDA 4/05 n° 405, 3e espèce).
La solution énoncée par la cour en matière d'évaluation du préjudice procède d'une jurisprudence établie. Le plus souvent, le préjudice réparable consiste en une perte de chance (notamment, en cas d'erreur sur le choix d'un régime fiscal, perte de chance de bénéficier d'un régime plus favorable). Rappelons aussi qu'un expert-comptable ayant indiqué à son client de pratiquer un taux de TVA erroné et supérieur au taux en vigueur a été condamné à lui verser une indemnité correspondant à l'écart entre la TVA versée et celle, réduite, que le client aurait dû appliquer à ses clients (CA Paris 31-3-2016 n° 15/02294 : RJDA 8-9/16 n° 627).