Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende (75 000 € pour une personne morale). Il s’agit du délit de mise en danger de la vie d’autrui prévu par l’article 223-1 du Code pénal.
En 2012, une société de promotion et de construction immobilière lance un chantier à Bastia. Les travaux sur le site étant susceptibles d’exposer les salariés et les riverains à l’inhalation de poussières d’amiante, une ordonnance du juge des référés interdit le commencement du chantier jusqu’à l’autorisation de l’inspection du travail. Celle-ci intervient quelques mois plus tard. Entre temps, le promoteur passe un marché avec une entreprise pour le terrassement et la construction de trois immeubles. Par plusieurs procès-verbaux, l’inspection du travail relève des défaillances en matière de protection de la santé, tant des salariés travaillant sur le chantier que des riverains. Poursuivis devant le tribunal correctionnel, l’entreprise chargée du terrassement, personne morale, et le directeur d’exploitation, personne physique, sont relaxés. Ce n’est pas le cas devant la cour d’appel, qui condamne les prévenus pour délit de mise en danger de la vie d’autrui. La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond.
Le délit est constitué en présence d’un risque certain, même lointain
La cour d’appel relève notamment le caractère certain du risque. Elle se fonde pour cela sur les données de la science et sur les conclusions d’un rapport publié en 2005, donc antérieurement aux travaux litigieux débutés en 2012. D'après ce rapport, le degré de probabilité de développer un cancer du poumon ou de la plèvre dans les 30 à 40 ans suivant l’inhalation de fibres d’amiante est certain, sans qu’il n’y ait ni effet de seuil (en deçà duquel il n’existerait aucun risque) ni traitement curatif efficace.
A noter : les prévenus contestaient cette position, considérant que les juges avaient méconnu les dispositions de l’article 223-1 du Code pénal. Dans son pourvoi, l'entreprise chargée des travaux de terrassement faisait valoir notamment que l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui suppose l’exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures, ce qui est incompatible avec un délai de probabilité de réalisation du risque de 30 à 40 ans. En se fondant sur un tel délai, exclusif de l’immédiateté requise par le texte pénal, la cour d’appel aurait, selon l’entreprise, étendu le champ d’application du délit. L'argument et le pourvoi sont rejetés.
Ce faisant, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejoint la position de l'administration qui, dans une circulaire, précise que, si le risque visé par l'article précité doit s'avérer immédiat, les conséquences du risque peuvent être immédiates ou différées (Circ. DRT 7 du 2-6-1994).
Une violation délibérée de plusieurs obligations de sécurité
Les différents procès-verbaux et courriers de l’inspection du travail faisaient ressortir, en l'espèce, que l’entreprise en charge du terrassement n’avait pas mis en place d'équipements de protection collective efficaces, alors qu’ils étaient techniquement possibles. Cette entreprise s’est rendue coupable d’une violation de l’obligation générale de sécurité pesant sur elle (obligation de résultat mais aussi d’adaptation à l’évolution des connaissances scientifiques) et des obligations particulièresissues du décret 2006-761 du 30 juin 2006 relatif à la protection contre les risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante (applicable au litige et prévoyant notamment l’établissement d’un mode opératoire, jugé ici insuffisant). Ainsi, l’inspection du travail avait notamment constaté un recouvrement insuffisant des déblais contenant de l’amiante, l’existence d’une clôture de confinement inefficace (ne permettant pas de limiter la propagation de fibres d’amiante), l’absence de nettoyage des engins de terrassement, le défaut de remplacement immédiat des géotextiles arrachés par le vent, ou encore l’absence de rampes d’arrosage sur toutes les zones du chantier et de recueil des eaux contaminées de ruissellement. L’administration avait également constaté un mesurage de fibres d’amiante par litre d’air supérieur à la limite autorisée et la définition d’un mode opératoire relatif aux mesures de prévention et de protection insuffisant.
Le chantier de terrassement présentant la particularité de porter des roches et des terres naturellement amiantifères, connues et identifiées avant l’acceptation du marché, la défaillance dans la mise en œuvre de la protection du public et des salariés contre l’inhalation de poussières d’amiante produites par les travaux entrepris sur le site entraînait donc un risque de mort ou de blessures graves lié à l’inhalation de fibres d’amiante. En exposant directement et volontairement les salariés et les riverains du site à un tel risque immédiat, les prévenus se sont rendus coupables du délit de mise en danger d’autrui au sens de l’article 223-1 du Code pénal.
L'entreprise de terrassement a, en conséquence, été condamnée à 50 000 € d'amende, et son directeur d'exploitation à 5 000 €.
A noter : La chambre criminelle avait déjà condamné, pour délit de mise en danger de la vie d’autrui, une société responsable d’un site de stockage de déchets et son directeur d’exploitation, à la suite d’un incendie sur ce site, en raison, notamment, du fait que les salariés intervenant sur l'incendie ne portaient que des masques de faible autonomie respiratoire, ce qui constituait une défaillance dans l’obligation de fournir un équipement individuel de protection aux salariés confrontés à l'amiante (Cass. crim. 5-4-2011 n° 09-83.277 F-D).
Frédéric SATGE
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Social n° 42490