Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. 2e civ. 8-10-2020 n°s 18-25.021 FS-PBI et 18-26.677 FS-PBI).
À l’occasion d’une affaire dans laquelle une salariée a été victime d’une agression dans l’hôpital où elle travaille, la Cour de cassation rappelle ces conditions cumulatives, et notamment que les mesures prises par l’employeur doivent être efficaces et suffisantes pour préserver les salariés du danger.
A noter :
Hormis les cas où elle est légalement présumée (C. trav. art. L 4131-4 pour les accidents survenus alors que le risque avait été expressément signalé à l’employeur et L 4154-3 pour les accidents survenus à un travailleur temporaire, à un salarié sous CDD ou à un stagiaire n’ayant pas bénéficié de la formation renforcée requise), c’est sur la victime que pèse la charge de la preuve de la faute inexcusable. Cette dernière doit ainsi démontrer, d’une part, que l'employeur a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, d’autre part, que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du risque encouru (Cass. 2e civ. 8-7-2004 n° 1233 FS-PBRI ; Cass. 2e civ. 5-7-2005 n° 1029 F-D).
Une conscience du danger avérée
En l’espèce, une salariée travaillant en tant que médecin urgentiste dans un hôpital a été victime d’une agression physique par une patiente, qui venait de rentrer dans l’espace ambulatoire sans que le médecin prête attention à elle. Seule l’équipe de soins était intervenue pour les séparer. La salariée avait ensuite saisi les tribunaux pour voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.
L’auteure des faits a été condamnée par le tribunal correctionnel à une peine de 3 mois d’emprisonnement pour violences sur un professionnel de santé suivies d’une incapacité de travail supérieure à 8 jours.
La conscience du danger n’était pas discutable dans cette affaire. Ainsi, la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital était évoquée depuis des années, en raison notamment de l’engorgement des services générant l’insatisfaction des usagers, de l’altération des conditions de travail et de la dégradation de la qualité des soins. Ces actes avaient d’ailleurs donné lieu à au moins une réunion de service évoquant le risque d’agression de nuit des personnels soignants.
La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, en a déduit que l’employeur ne pouvait pas ignorer le risque encouru par son personnel soignant, médecins compris.
A noter :
La conscience du danger s’apprécie in abstracto, par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations. Autrement dit, le risque doit avoir été raisonnablement prévisible.
Des mesures de prévention insuffisantes et inefficaces
La conscience du danger par l’employeur étant établie restait la question des mesures prises par celui-ci pour en préserver les salariés. En l’espèce, deux avaient été adoptées : le recrutement d’un maître-chien et l’organisation régulière de formations sur la gestion de la violence et les situations traumatisantes. L’employeur avait bien mis en place d’autres mesures, qui étaient demandées par les salariés, comme le recrutement d’un agent de sécurité et la fermeture de la zone de soins par des portes coulissantes, mais seulement après l’accident du travail survenu à l’intéressée.
L’employeur faisait également valoir que la multiplication des dispositifs de sécurité ne pouvait en aucun cas garantir un risque zéro et qu'aucun dispositif de sécurité supplémentaire n’aurait pu empêcher l'agression, due au comportement imprévisible de la patiente. Il ajoutait qu’une fois pris en charge un patient peut être l'auteur d'une agression, et le fait que le service d’urgences soit ouvert 24 heures sur 24 était indifférent.
A noter :
Si le contexte des urgences est très particulier, le risque d’agression par un tiers existe dans de nombreux secteurs, notamment ceux où les salariés sont en contact avec de la clientèle. La faute inexcusable de l’employeur a ainsi été reconnue au cas de l’agression subie par un chauffeur de bus alors que l’employeur connaissait les risques sur la ligne à laquelle l’intéressé était affecté (Cass. 2e civ. 8-10-2020 n° 18-25.021, précité).
L’employeur devra donc être particulièrement vigilant, notamment dans des contextes de tension ou lorsque des agressions se sont déjà produites, à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la sécurité des salariés soit effectivement assurée.
Ces arguments n’ont pas convaincu les juges d’appel qui retiennent que :
– le contrat de sécurité cynophile était manifestement insuffisant à prévenir les risques d’agression au sein même de l’hôpital ;
– l’organisation de formations constituait une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et à la gravité du risque encouru.
Dès lors, ces mesures de protection étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d’agression auquel était soumis son personnel.
En conséquence, les juges d’appel ont retenu que la faute inexcusable était caractérisée. La Cour de cassation, s’en remettant à leur appréciation souveraine, les a approuvés.
A noter :
Si la caractérisation de la faute inexcusable de l'employeur procède du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond, il n'en appartient pas moins à celui-ci d'énoncer, dans les motifs de sa décision, l'ensemble des éléments qu'il retient à cette fin et d'en tirer les conséquences qui en découlent, sauf à s'exposer à la cassation de sa décision (Cass. 2e civ. 19-6-2014 n° 13-18.323 F-D).
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