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Le financement par un tiers de la procédure arbitrale

Encore méconnu en France, le financement des procédures par un tiers est un mécanisme attractif qui, bien maîtrisé par les parties qui y ont recours, présente de nombreux atouts. Me Dupeyron a présenté cette nouvelle formule dans le BRDA 10/15.


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BRDA


Quelle est l’utilité d’avoir recours au mécanisme du financement de la procédure arbitrale par un tiers?

C. Dupeyron : Faire financer une procédure par une personne tierce permet à une partie de porter ses demandes en justice sans avoir à supporter les frais afférents, qu’il s’agisse des frais d’avocats ou d’experts et dans le cas de l’arbitrage, des frais de la procédure (honoraires des arbitres et éventuels frais de l’institution). L’avantage réside également dans le fait que la partie financée conservera la direction du procès et n’aura pas à rembourser les frais exposés par le tiers en cas d’échec de ses réclamations.

Pour le bénéficiaire du financement, l’intérêt est ainsi multiple : ce mécanisme permet tout d’abord à la partie financée impécunieuse d’avoir accès aux fonds nécessaires pour financer des réclamations qu’elle ne pourrait pas porter en justice par ses propres moyens. Il y a donc un aspect vertueux indéniable pour la partie financée dont le budget est limité et qui aura ainsi un accès sans contingence aux tribunaux, judiciaires comme arbitraux, et en disposant de tous les moyens nécessaires au succès de ses demandes. Elle permet également à cette même partie d’éviter de faire apparaître les frais afférents à la procédure dans son budget ou dans ses comptes sociaux : cela peut avoir un intérêt très significatif lorsque le budget d’une direction juridique est limité et que le gain, même s’il est probable, n’est attendu qu’à une échéance de plusieurs années et que, partant, l’opportunité d’entamer une procédure onéreuse (notamment s’il s’agit d’une procédure arbitrale portant sur des montants élevés, entraînant donc des frais significatifs) se heurte à des contraintes budgétaires dirimantes.

En d’autres termes, l’intervention éventuelle d’un tiers financeur peut modifier les termes d’une discussion au sein d’une entreprise sur l’opportunité d’une action, en « ôtant » de ce débat la question du coût de la procédure.

Pour le tiers financeur, l’intérêt est tout autre. Il s’agit pour lui d’un investissement financier dans l’espoir de pouvoir tirer profit d’un jugement ou d’une sentence favorables, après avoir procédé, comme pour tout investissement, à une analyse de risque extrêmement détaillée. Dans ce cadre, les investisseurs prennent typiquement en charge les frais de la procédure (honoraires des arbitres et de l’institution dans le cadre d’un arbitrage), les frais d’avocat, les honoraires des experts ainsi qu’éventuellement les frais liés à l’exécution de la décision. Ils visent en contrepartie un effet de levier significatif, c’est-à-dire une part non négligeable du montant qui serait accordé à la partie financée par le tribunal, calculé soit en fonction d’un facteur multiplicateur du montant investi, soit en appliquant un pourcentage de répartition de la condamnation entre le tiers financeur et la partie financée. Le processus de décision chez ces investisseurs suit un schéma classique, au cours duquel le dossier est présenté à un comité d’investissement, qui examinera trois éléments essentiels : la solidité des fondements des réclamations exposées en droit comme en fait, le sérieux de l’évaluation du montant des demandes formulées par la partie financée et la possibilité du recouvrement éventuel. En pratique, les tiers financeurs confient que seuls 10 % des dossiers qui leur sont présentés, que ce soit par des avocats ou par les parties directement, seront retenus et financés.

Comment est perçu le financement d'une procédure par les juridictions françaises ?

CD : Le financement par un tiers d’une procédure judiciaire ou arbitrale est une pratique établie dans de nombreux pays, qui ne soulève donc plus de difficulté réelle quant à sa légalité. Toutefois, ce mécanisme, issu des systèmes juridiques allemands et australiens, est tout à fait étranger au droit français et en est encore à ses balbutiements dans notre système judiciaire.

C’est la cour d’appel de Versailles, qui la première – et, à ma connaissance, la seule à ce jour – s’est prononcée en 2006 sur la nature des contrats de financement de procès par des tiers en les qualifiant de contrats « sui generis », puis précisant qu’ils étaient « inconnu[s] des Etats membres de l’Union européenne à l’exception des pays de culture juridique germanique » (CA Versailles 1-6-2006 n° 05/01038).

Depuis cette décision, les tribunaux français n’ont pas donné davantage de précisions sur le traitement des contrats de financement, même si la doctrine reconnaît unanimement qu’il n’existe aucun obstacle de principe à l’admission de ces contrats en droit français. Il résulte de cette maigre jurisprudence que les fonds d’investissement étrangers qui pratiquent le financement sur des procédures pourtant sises en France préfèrent soumettre leurs conventions de financement à un droit applicable et à des juridictions qui ont une jurisprudence stabilisée concernant ces contrats, tels les droits et juridictions allemands ou anglais.

Quel est le schéma contractuel classique de l'intervention du tiers financeur ?

CD : L’intervention concrète d’un tiers à une procédure suit un chemin contractuel désormais classique, qui débute lors de l’analyse du dossier par le tiers financeur jusqu’à l’exécution du jugement ou de la sentence arbitrale.

La première étape concerne donc la confidentialité et l’exhaustivité des informations qui sont transmises au tiers par la partie financée. Tout investisseur demande en effet à ce que lui soit communiquée l’intégralité des informations qui lui permettront de prendre une décision de financement éclairée. Pendant de cette exigence de transparence, le tiers se réserve souvent la possibilité de résilier le contrat de financement s’il s’aperçoit que la partie financée a omis, voire caché, des éléments qui auraient pu avoir une influence sur sa décision. A noter que pour la partie financée, cette divulgation d’informations implique une potentielle perte du bénéfice du secret professionnel car le tiers n’est pas avocat et n’est donc pas soumis aux mêmes obligations de confidentialité.

Il faudra donc, dans ce premier temps, prévoir la signature d’un accord de confidentialité entre le tiers et la partie financée couvrant tous les documents transmis par la partie candidate au financement en lien avec la procédure envisagée.

Dans un second temps, les parties à la convention devront définir les modalités de leur collaboration, et en particulier les termes du financement. Elles devront au moins préciser les coûts pris en charge par le tiers et les modalités de partage des gains en cas de décision favorable. Concernant ces coûts, ils incluent généralement les honoraires d’avocats, ceux des arbitres, les frais de l’institution arbitrale, et éventuellement les frais d’experts. Comme je vous l’indiquais tout à l’heure, le principe généralement appliqué est que le tiers prend intégralement en charge le risque de ces frais, à savoir qu’en cas d’échec des demandes il ne pourra rien réclamer à la partie financée. Plus rarement, la partie financée peut obtenir que le tiers prenne en charge des coûts historiques, à savoir des coûts réglés préalablement à son intervention, ou encore les sommes qu’elle pourrait être condamnée à payer à la partie adverse en cas de décision négative. Il s’agit toutefois d’exceptions à la structure classique du financement. Enfin, quel que soit le taux de répartition des gains obtenus en cas de décision favorable du tribunal arbitral, le tiers exigera souvent le remboursement prioritaire des sommes avancées avant d’appliquer la répartition convenue.

Dans un troisième temps, celui du partage des gains, le tiers financeur et la partie financée devront s’accorder sur l’exécution du jugement ou de la sentence et notamment sur la charge des frais d’exécution. Le prévoir en amont apporte évidemment une sécurité appréciable.

L'intervention d'un tiers a-t-elle une influence sur la procédure d'arbitrage ?

CD : Le soutien financier accordé par le tiers ne fait pas de lui une partie à l’instance. Au demeurant, le droit français, contrairement au droit anglo-saxon, ne permet pas la transmission de l’action au tiers financeur : celui-ci demeure donc extérieur à la procédure arbitrale, même dans les cas où l’action n’aurait pas été déclenchée sans son intervention.

Toutefois, en pratique, le contrat de financement qui fixe les modalités de la relation entre la partie financée et le tiers peut accorder certaines prérogatives à ce dernier. Concrètement, le contrat de financement définira le rôle du tiers, qui peut être entièrement passif, ou encore infiniment plus actif dans la gestion de la procédure. Le tiers peut ainsi avoir un droit de regard sur plusieurs aspects touchant à la procédure, notamment le choix des avocats, des experts, du ou des arbitres, et plus largement le périmètre des décisions stratégiques, qu’il s’agisse de l’opportunité de transiger, de mettre en avant tel ou tel chef de préjudice, etc.

Concernant chacun de ces aspects, la convention de financement devra préciser si l’accord exprès du tiers est requis ou si ce dernier doit simplement être consulté. En pratique, sur certains éléments essentiels, le tiers fixera un seuil sur de telles décisions (à titre d’exemple, le montant minimum d’une transaction), voire pourra conditionner le maintien de sa participation à son accord.

La présence du tiers financeur doit-elle être révélée à la partie adverse comme aux tribunaux arbitraux ?

CD : Les débats sont nombreux sur cette question car l’intervention du tiers est susceptible de porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité des arbitres. Par exemple, l’intervention du tiers pourrait provoquer un conflit d’intérêts si des liens existaient entre celui-ci et un ou plusieurs membres du tribunal arbitral, sans que la partie adverse n’en soit informée. Pour autant, aucun devoir de révélation de la part de la partie financée ou du tiers n’a encore été consacré par la jurisprudence.

En pratique, la difficulté posée par une éventuelle obligation de révélation est que le tiers et/ou la partie financée peuvent ne pas souhaiter la révélation systématique du financement dans la mesure où cela pourrait révéler la faiblesse financière de la partie qui a recours au tiers, parce qu’elle pourrait créer des difficultés sur la confidentialité des informations transmises au tiers, qui pourrait alors être l’objet de mesures de recherche de preuves de la part de la partie adverse et sans doute aussi parce que le tiers craint d’être associé à une condamnation pour les frais adverses en cas de réclamations jugées frivoles.

La révélation automatique est ainsi combattue par ces intérêts divergents et les praticiens s’orientent vers une approche au cas par cas, en l’absence aujourd’hui de jurisprudence et d’identification de la partie à laquelle cette obligation de transparence s’imposerait.

Du point de vue de la partie financée, quels sont les dangers d'avoir recours à un financement de la procédure ?

CD : Le premier danger que les parties financées perçoivent est celui d’être « spoliées » par le tiers de la réparation à laquelle leurs réclamations leur donnent droit : la crainte est, pour les financés, que l’essentiel de l’indemnisation de leur préjudice leur échappe. Cette difficulté doit être appréhendée en amont, dans la négociation du contrat de financement et la partie financée ne doit pas s’engager dans une répartition qui ne lui conviendrait pas.

Le second danger est celui de « l’abandon » du tiers en cours de procédure : la partie financée qui, par essence, n’a pas les moyens de ses réclamations, peut légitimement craindre le tiers qui, à la lecture par exemple des écritures adverses, modifierait son analyse de risque, ne souhaiterait plus continuer à financer et quitte la procédure sans plus d’égard. Le cas peut aussi être envisagé du tiers qui décide d’investir ses fonds « ailleurs ». La partie financée serait alors contrainte soit de se désister, si elle n’a pas la surface financière pour poursuivre, soit de mettre en danger ses réclamations. Ce risque doit, à mon avis, être encadré très en amont par une vérification de la surface financière du tiers ou par la mise sous séquestre des fonds prévus pour la procédure puis dans le contrat de financement pour que le tiers, qui s’associe au risque de la procédure, ne puisse pas la quitter sans une raison particulièrement sérieuse. La seule raison admissible devrait être, à cet égard, une révélation inexacte ou partielle des données du litige et dans la transmission du dossier par la partie financée : pour le reste, le tiers devrait être associé au risque avec son partenaire financé, notamment celui d’affronter une défense solide et bien argumentée de l’adversaire dès lors que celle-ci ne contient pas d’élément que le tiers n’aurait pas pu anticiper dans son analyse de risque en raison d’un défaut d’information, ou d’une information partielle de la part de la partie financée.

A noter sur cette problématique qu’au Royaume-Uni, un code de conduite a été rédigé par les tiers financeurs de procès (Code of Conduct for Litigation Funders), qui reconnaît plusieurs cas de rupture anticipée et unilatérale « raisonnable » et interdit par ailleurs les résiliations discrétionnaires du contrat de financement par le tiers. Il n’en demeure pas moins que ces « recommandations » émises par les acteurs eux-mêmes dans un souci de normalisation et d’autorégulation de leurs pratiques n’ont, par définition, aucun caractère comminatoire.

Le troisième danger, enfin, et sans doute le plus diffus, est celui d’une prise en main de la procédure par le tiers, au détriment des intérêts non financiers de la partie financée. De fait, il existe de nombreuses procédures où l’issue souhaitée par les parties ne se traduit pas nécessairement par une indemnisation financière mais par la mise en œuvre d’une transaction ou de nouvelles relations contractuelles, par un modus vivendi de leurs relations d’affaires, etc. Or le tiers, intervenant financier pur, peut ne pas se satisfaire de tels accords et pourrait être tenté de faire échouer des discussions. La partie financée doit donc pouvoir être assurée qu’elle conservera la maîtrise de la procédure et la main à tout moment sur la prise des décisions stratégiques et qu’un désaccord avec le tiers ne sera pas excessivement contraignant. Pour ce qui est des transactions, l’hypothèse de leur conclusion, ainsi que les concessions réciproques – notamment financières – qu’elles prévoiraient doivent faire l’objet de discussions préalables et d’un accord entre le tiers et la partie financée au moment de la conclusion du contrat de financement, afin que chacun y trouve son compte.

En définitive, le financement des procédures par les tiers est un mécanisme attractif qui, bien maîtrisé par les parties qui y ont recours, présente de nombreux atouts. Il connaît donc un succès significatif, bien au-delà des parties impécunieuses, et est aujourd’hui perçu par de nombreuses directions juridiques de groupes comme un instrument à leur service, destiné à contourner certaines contraintes budgétaires. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : l’accès à ce financement demeure réservé à des réclamations très solides, à l’encontre de parties fort solvables.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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