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Focus sur la rémunération variable discrétionnaire

Moins encadrée que la rémunération variable « classique », la rémunération variable « discrétionnaire » consiste pour l’employeur à attribuer un bonus ou une prime, exceptionnelle ou non, à certains de ses salariés.Nicolas Mancret, avocat associé au sein du Cabinet Hoche Société d’Avocats, met en avant les avantages de cette pratique.


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En période de difficultés économiques, les employeurs souhaitent s’assurer de la performance des salariés par leur adhésion à la stratégie et aux objectifs de l’entreprise. La rémunération variable est un mode de rémunération permettant cette adhésion.

Destinés à l’origine principalement aux salariés ayant des fonctions commerciales, les systèmes de rémunération variable tendent aujourd’hui à se développer et à s’appliquer à de nombreux salariés, notamment dans les secteurs de la banque et de la finance.

Initialement, les modalités de détermination de la rémunération dite « variable » étaient laissées à la libre discrétion de l’employeur, d’autant qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’en définissait les contours. Comme souvent en matière sociale, c’est la jurisprudence qui est venue suppléer la carence du législateur afin de protéger davantage les salariés et limiter le pouvoir de direction de l’employeur.

Aujourd’hui, l’introduction d’une rémunération variable peut être prévue par le contrat de travail ou ses avenants ou être mise en place unilatéralement par l’employeur.

Lorsqu’elle est fixée par le contrat de travail, les règles sont connues dès le début de la relation contractuelle. Lorsqu’elle résulte, au contraire, d’une décision unilatérale de l’employeur, se pose la question de son opposabilité au salarié et de la possibilité pour l’employeur d’en réviser les contours d’une année sur l’autre. Cette question a donné lieu à contentieux.

Compte tenu des contraintes imposées par le juge, la rémunération variable dite « discrétionnaire » et consistant à verser des bonus ou des primes aux salariés est alors apparue comme la solution idéale pour rendre le travail des salariés plus attractif, sans obliger l’employeur à respecter de multiples modalités pour sa mise en œuvre.

Admise par la Cour de cassation, cette pratique trouve toutefois sa limite dans le respect du principe de l’égalité de traitement.

D’un variable classique à un variable discrétionnaire

Contrairement à l’idée faussement répandue, la rémunération variable ne constitue pas nécessairement un élément de socle contractuel qui ne peut pas être modifié ou varier dans le temps contre la volonté du salarié.

La Cour de cassation admet qu’une clause au contrat de travail puisse prévoir une variation de la rémunération, voire même que l’employeur puisse attribuer des primes discrétionnaires.

La rémunération variable est un principe jurisprudentiel consacré

Pour la Cour de cassation, le contrat de travail peut prévoir une rémunération variable, dès lors qu’elle est fondée sur « des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels » (Cass. soc. 2-7-2002 n° 00-13.111 : RJS 10/01 n° 1076). Il s’agit de la traduction de la règle civiliste de la prohibition des conditions purement potestatives.

De plus, les clauses de rémunération variable ne doivent pas permettre à l’employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié (Cass. soc. 3-7-2001 n° 99-42.761 : RJS 10/01 n° 1112).

Il est recommandé de prévoir avec précision les objectifs à atteindre (quantitatifs, qualitatifs ou mixtes), les moyens de mesure et de pondération éventuelle de ces objectifs, le montant de la prime allouée en fonction de l’atteinte ou du dépassement de ces objectifs, le système d’actualisation et d’évolution de ces objectifs et, le cas échéant, la durée de la clause afin d’en prévoir la renégociation périodique.

Par ailleurs, la clause de rémunération variable doit permettre au salarié de connaître et de comprendre les éléments susceptibles de faire varier ses revenus. Cela implique plusieurs obligations pour l’employeur notamment une rédaction en français, des critères professionnels et suffisamment précis pour que le salarié sache comment agir, et enfin, des modalités de calcul de la part variable reposant sur des éléments comptables et vérifiables.

La jurisprudence a néanmoins admis que l’employeur puisse proposer une rémunération variable dont les modalités de calcul et le montant sont laissés à la seule appréciation de l’entreprise.

La rémunération variable peut être discrétionnaire

Une rémunération variable discrétionnaire (octroi d’un bonus, de primes…) est une rémunération laissée à la libre appréciation de l’employeur dans ses modalités de calcul comme dans son versement. Elle peut être spontanée ou faire l’objet d’une clause informative dans le contrat de travail.

Mention dans le contrat de travail

Le contrat peut prévoir que le salarié sera admissible au principe d’une rémunération variable (primes, bonus), mais que celle-ci sera fixée à la discrétion de son employeur. Une telle mention n’a pas pour effet de contractualiser la rémunération variable, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation.

Ainsi, la Cour de cassation admet que le contrat de travail ou un avenant (Cass. soc. 7-12-2010 n° 09-42.657) puisse prévoir, en plus de la rémunération fixe, l’attribution d’une prime laissée à la libre appréciation de l’employeur (Cass. soc. 10-10-2012 n° 11-15.296 : RJS 12/12 n° 941), susceptible d’être diminuée (Cass. soc. 3-5-2007 n° 06-40.520) et de ne pas être versée selon une périodicité régulière.

Absence de mention dans le contrat de travail

L’employeur peut également décider de verser un bonus ou une prime, sans même qu’il y soit fait référence dans le contrat de travail.

Il peut s’agir d’une gratification bénévole qui n’a pas le caractère d’un salaire, versée de manière exceptionnelle et dont le montant et les bénéficiaires sont fixées discrétionnairement par l’employeur (Cass. soc. 14-10-2009 n° 07-45.587 : RJS 12/09 n° 932).

Il peut également s’agir d’une gratification non contractuelle laissée à la libre appréciation de l’employeur (prime annuelle, notamment) et ne ressortant ni du contrat de travail, ni d’un usage d’entreprise, ni d’un engagement unilatéral de l’entreprise (Cass. soc. 30-3-2009 n° 07-40.527 ; Cass. soc. 27-3-2013 n° 12-11.868).

Au final, il apparaît ainsi qu’une rémunération variable discrétionnaire peut être contractuelle dans son principe mais n’a pas l’obligation de l’être et peut prendre la forme d’une libéralité. En outre, dans la mesure où le versement de cette rémunération est laissé à la discrétion de l’employeur, la clause du contrat de travail précisant l’existence d’une rémunération variable discrétionnaire ne semble être qu’informative.

Le variable discrétionnaire moins encadré que le variable classique

A l’inverse de la rémunération variable contractuelle « classique », la rémunération variable résultant de l’attribution d’un bonus ou de primes, exceptionnelles ou non, peut être déterminée assez librement par l’employeur, celui-ci n’étant pas tenu par l’ensemble des critères encadrant la rémunération variable.

Ainsi, dès lors que le contrat prévoit le versement d’un bonus non lié à la réalisation d’objectifs déterminés et laissé à la discrétion de l’employeur, le montant de ce bonus peut varier en fonction de l’évaluation des performances du salarié appréciées par sa hiérarchie, et l’employeur n’est pas tenu de se justifier sur les critères d’attribution et le mode de calcul de ce bonus (Cass. soc. 14-11-2013 n° 12-15.765 : RJS 2/14 n° 13).

Contrairement à ce qui a été jugé à propos des rémunérations variables sur objectifs (Cass. soc. 18-6-2008 n°07-41.910 : RJS 8-9/08 n° 874), l’employeur n’a pas d’obligation de communiquer les modalités de calcul du bonus discrétionnaire.

Le variable discrétionnaire est soumis au principe d’égalité de traitement

La liberté de l’employeur pour arrêter les modalités de calcul d’un bonus discrétionnaire et le montant alloué à chaque salarié n’est pas totale, puisqu’il doit respecter le principe « à travail égal, salaire égal ».

Ce principe signifie que, si rien ne distingue objectivement deux salariés (même travail, même ancienneté, même formation, même qualification), ils doivent percevoir le même salaire (Cass. soc. 15-12-1998 n° 95-43.630 : RJS 4/99 n° 513).

L’employeur ne peut pas opposer son pouvoir discrétionnaire pour s’affranchir du principe d’égalité

Pour la Cour de cassation, le fait qu’une prime soit accordée de façon discrétionnaire par l’employeur ne doit pas faire obstacle à l’application du principe « à travail égal, salaire égal » (Cass. soc. 30-4-2009 n°07-40.527 : RJS 12/09 n° 631). Ainsi, l’employeur ne peut pas opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier de façon objective et pertinente une différence de rémunération, fût-elle variable ou discrétionnaire (Cass. soc. 10-10-2012 précité).

Le principe « à travail égal, salaire égal » ne contraint pas nécessairement l’employeur à verser une rémunération identique à des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, tout particulièrement aux salariés investis de fonctions complexes, mais il l’oblige à devoir justifier toute différence de salaire par des motifs objectifs et pertinents. En effet, la prime variable discrétionnaire ne permet pas à l’employeur de se dégager de toute justification dans le versement d’une prime.

S’agissant d’une rémunération discrétionnaire, l’employeur devra justifier une différence de situation entre les salariés ou, à défaut, présenter des motifs objectifs et pertinents explicitant cette différence de traitement.

A titre d’illustration, dans l’arrêt du 10 octobre 2012 précité, la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que les juges du fond avaient légitimement constaté, par appréciation souveraine, que le salarié n’occupait pas des fonctions de valeur égale à celles des salariés auxquels il se comparait pour l’attribution de la prime.

Le pouvoir de direction de l’employeur se trouve ainsi limité par la consécration du principe d’égalité de traitement. Ce principe a pour objet de rappeler que, si la rémunération peut être discrétionnaire, elle ne doit pas pour autant être arbitraire. Par conséquent, si l’enveloppe et le montant du bonus peuvent varier d’une année à l’autre, cela ne doit pas conduire à des décisions totalement arbitraires dans l’attribution des bonus vis-à-vis des salariés ayant des niveaux de performances individuels ou collectifs comparables.

Comment justifier la différence de traitement entre les salariés ?

Dès lors que la question de l’inégalité de traitement surgit, se pose inévitablement la question de la charge de la preuve. C’est essentiellement sur l’employeur que pèse l’obligation de prouver que le paiement ou non d’une rémunération variable discrétionnaire est justifié, d’autant que le salarié n’aura à sa disposition aucun élément lui permettant de savoir quels sont les critères retenus pour calculer le bonus variable.

L’employeur pourra tout d’abord arguer de la variation de l’enveloppe de bonus globale d’une année sur l’autre, en fonction de critères qu’il apprécie discrétionnairement.

Toutefois, s’agissant ensuite de la répartition de ce bonus entre les salariés, l’employeur devra justifier les différences de traitement entre les salariés qui en bénéficient et ceux qui en sont privés, d’une part, et les différences de montant, d’autre part, par des éléments objectifs et pertinents, tels que le niveau de performance moindre du salarié ou son insuffisance dans le management. Il pourra notamment faire valoir les difficultés particulières rencontrées dans le travail, les réclamations plus importantes de clients, le non-respect de délais, une différence du nombre de ventes, des grilles de notation faisant apparaître des différences, des comptes rendus d’entretien annuel, des contre-performances ayant nécessité des lettres de mise au point ou tout simplement une moindre performance commerciale.

C’est l’ensemble de ces critères qui permettront à l’employeur de démontrer que le bonus discrétionnaire a été défini selon des règles qui ont évitées toute prise de décisions arbitraires et que le salarié ne saurait remettre en cause.

Cette différence de traitement sera d’autant plus légitime si la différence de qualité de travail entre des salariés est attestée par un système d’évaluation reposant sur plusieurs de ces critères. On ajoutera même qu’un tel dispositif semble indispensable pour justifier une différence de qualités professionnelles entre des salariés, la Cour de cassation ne se contentant pas de simples attestations postérieures, quand bien même elles établiraient de façon incontestable la différence de travail entre les salariés (Cass. soc. 10-12-2008 n° 07-40.911 : RJS 2/09 n° 173).

Nicolas Mancret, Nicolas Mancret, Avocat associé, Hoche Société d'Avocats

Nicolas Mancret est avocat associé du Cabinet Hoche Société d’Avocats au sein duquel il collabore depuis 2003. Spécialiste des questions de relations individuelles et collectives du travail, il assiste notamment de nombreuses entreprises dans l’élaboration et la mise en place de leur politique sociale et accompagne les clients dans les opérations d’acquisition et de restructuration. Titulaire d’un DEA (Master II) de droit social à l’université de Paris II - Assas, il a travaillé auparavant chez Deloitte & Touche juridique et fiscal et à la SCP Wenner et Cie.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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