Un signe qui porte atteinte à des droits antérieurs ne peut pas être adopté comme marque (CPI art. L 711-3, ex-art. L 711-4).
Se prévalant de son droit sur l'appellation « France », l’Etat français demande l’annulation de la marque « France.com » appartenant à une société de droit américain et enregistrée en France pour de nombreuses classes de produits (notamment, produits de l’imprimerie, vêtements, chaussures, chapeaux, publicité, services bancaires et d’assurance, télécommunications, transport et organisation de voyages, éducation, etc.).
Il demande également le transfert à son profit du nom de domaine « france.com » enregistré par la société américaine.
Celle-ci lui oppose plusieurs arguments, tous écartés par la Cour de cassation.
Preuve de la forclusion par tolérance
En premier lieu, la société américaine soulève la forclusion de l'action, introduite plus de 5 ans après l'enregistrement de la marque. On sait que le titulaire d'un droit antérieur ne peut pas agir en nullité d'une marque postérieure déposée de bonne foi et dont il a toléré l'usage pendant 5 ans (CPI art. L 716-2-8 ; ex-art. L 714-3, al. 4, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2019-1169 du 13-11-2019, applicable en l'espèce).
La Cour de cassation écarte l'argument. Celui qui oppose la forclusion par tolérance à une action en nullité de sa marque doit en démontrer :
- l'usage honnête et continu depuis plus de 5 ans, ce qui ne saurait se déduire de son seul enregistrement ;
- ainsi que la connaissance qu'en avait le titulaire du droit antérieur, qui lui est opposé.
Or, en l'espèce, la société américaine se contentait d'invoquer l'enregistrement de sa marque comme point de départ de la forclusion. La preuve de la forclusion par tolérance n'était donc pas apportée.
La décision commentée s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence nationale et européenne, suivant laquelle il appartient cependant à celui qui invoque la forclusion par tolérance de la prouver, la notion de « tolérance » impliquant l’inaction du titulaire du droit antérieur, en présence d’une situation à laquelle il aurait la possibilité de s’opposer, ce qui suppose un usage honnête, bien établi et de longue durée de la marque postérieure (CJUE 29-3-2011 aff. 96/09). La seule publication de l'enregistrement de la marque seconde ne suffit ainsi pas à établir la tolérance du titulaire du droit antérieur (Cass. com. 15-6-2010 no 08-18.279 FS-D : RJDA 4/11 no 363).
L'Etat français a-t-il un droit sur l'appellation « France » ?
Une autre question était au centre des débats : un Etat peut-il se prévaloir d'un droit antérieur sur l'appellation de son pays pour s'opposer à l'enregistrement d'un signe ?
L’article L 711-3 (ancien article L 711-4) du Code de la propriété intellectuelle énumère certains « droits antérieurs » susceptibles de faire obstacle à l’enregistrement d’une marque : il vise notamment une dénomination sociale, un nom commercial ou une enseigne connus sur l’ensemble du territoire, s’il existe un risque de confusion. Sont également cités les droits de la personnalité comme le nom de famille ou le droit à l’image.
Estimant que ces dispositions, interprétées à la lumière du droit européen dont elles assurent la transposition, édictaient nécessairement une liste exhaustive des droits antérieurs, la société américaine soutient que l'Etat français ne pouvait revendiquer aucun droit sur l'appellation « France ».
Sous cet angle aussi, la Cour de cassation lui donne tort : l'énumération, par le Code de la propriété intellectuelle, des droits antérieurs sur un signe faisant obstacle à l'enregistrement de ce signe n'est pas limitative.
La Cour de cassation s'était déjà prononcée en ce sens (Cass. com. 25-1-2017 no 15-20.151 F-D : RJDA 5/17 no 335, pour un nom de domaine ; Cass. com. 6-5-2008 no 06-22.144 F-D : RJDA 8-9/08 no 961). Son interprétation des dispositions du Code de la propriété intellectuelle est par ailleurs conforme au droit européen prévoyant qu’un Etat membre peut interdire l’enregistrement d’une marque en vertu d'un droit antérieur, notamment d'un droit au nom ou d'un droit à l'image (Dir. 2015/2426 du 16-12-2015 art. 5, 4-b). Cette interprétation ne faisant aucun doute, la Cour de cassation refuse de transmettre une question préjudicielle sur ce point à la CJUE, comme le demandait le titulaire de la marque.
Par ailleurs, l'appellation « France » constitue pour l'Etat français un élément d'identité, en ce que ce terme désigne le territoire national dans son identité économique, géographique, historique, politique et culturelle, pour laquelle il est en droit de revendiquer un droit antérieur au sens du Code de la propriété intellectuelle. Le suffixe « .com », correspondant à une extension internet de nom de domaine n'est pas de nature à modifier la perception du signe, de sorte que le public identifiera les produits et services désignés à l'enregistrement des marques comme émanant de l'Etat français ou, à tout le moins, d'un service officiel bénéficiant de sa caution.
Il existait donc un risque de confusion justifiant l'annulation de la marque litigieuse.
Rendue au visa de textes antérieurs à l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019, la solution commentée est transposable en droit positif.
Transfert du nom de domaine à l'Etat français
Enfin, la société américaine soutient que la mesure de transfert de son nom de domaine à l'Etat français, ordonnée par le juge, porte atteinte à son droit de propriété, faute de texte permettant au juge d'agir en ce sens, d'utilité publique justifiant la mesure ou de juste et préalable indemnisation réparant la privation de propriété.
La Haute Juridiction juge au contraire ce transfert licite : l'article 1er du premier protocole de la convention européenne des droits de l'Homme, qui garantit le droit de propriété, ne trouve à s'appliquer qu'en cas d'ingérence de l'Etat dans le droit d'un individu au respect de ses biens, ce qui implique de caractériser l'existence d'un bien au sens autonome de la Convention ; si le titulaire d'un nom de domaine peut se prévaloir d'un intérêt patrimonial susceptible de relever de la protection de la Convention (CEDH 18-9-2007 no 25379/04, 21688/05, 21722/05 et 21770/05), c'est à la condition que les prérogatives dont il entend se prévaloir à ce titre soient suffisamment reconnues et protégées par le droit interne applicable, l'interprétation de ce droit ne devant pas être l'objet d'un différend. Si l'usage d'un nom de domaine peut être cédé ou faire l'objet d'une protection en droit interne, c'est à la condition qu'il ne porte pas atteinte aux droits des tiers.
Or, en l'espèce, la société américaine ne pouvait pas se prévaloir d'un bien protégé au sens de la convention européenne des droits de l'Homme, le caractère illicite de la mise en vente du nom de domaine « France.com » résultant suffisamment des éléments suivants : elle avait cessé d'exploiter son site internet dédié au tourisme en France, qui était accessible à l'adresse « www.france.com », avant de mettre en vente le nom de domaine litigieux ; la possibilité de créer des adresses e-mails associées à ce nom de domaine conférait à son titulaire un accès privilégié et monopolistique au détriment des autres opérateurs et était utilisée comme argument commercial par le mandataire chargé de la vente du site, qui la vantait l'apparente confiance et crédibilité de cette adresse pouvant être attribuée à un service de l'Etat français ou à un tiers autorisé.