Aux termes de l’article L 1222-6 du Code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l’article L 1233-3 du même Code, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
Si la loi impose donc à l’employeur de respecter une procédure spéciale en cas de proposition au salarié d’une modification du contrat fondée sur un motif économique, elle ne fixe en revanche aucun critère particulier en ce qui concerne le contenu de la proposition de modification.
Dans trois arrêts du 8 novembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle quelques principes en la matière. Ainsi, le motif économique à l’origine de la proposition de modification doit être clairement indiqué, peu important que la mention de l’article L 1222-6 du Code du travail n’apparaisse pas. En outre, la proposition de modification doit être suffisamment précise.
L’énonciation du motif économique en question
Dans les deux premières espèces, la chambre sociale se prononce sur l'énonciation du motif économique dans la proposition de modification du contrat, après avoir rappelé que la procédure de l'article L 1222-6 du Code du travail n'est applicable que lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L 1233-3 dudit Code : difficultés économiques, mutations technologiques, réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (Cass. soc. 13-9-2017 n° 15-28.569 FP-PB).
Attention à ne pas omettre le motif économique à l’origine de la modification du contrat
Dans la première affaire (n° 22-11.369 F-D), une animatrice avait reçu une lettre lui notifiant qu’en application de l’article L 1222-6 du Code du travail, elle disposait d'un délai d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son acceptation ou son refus d'une proposition de réduction de son temps de travail. Plus précisément, l’employeur lui avait fait savoir qu'il envisageait de réduire son temps de travail à 20 heures hebdomadaires avec une réduction corrélative de sa rémunération et il indiquait que l'activité de l'établissement ne permettait pas de conserver un temps complet et le conduisait à mettre en place une nouvelle organisation. Il avait ensuite considéré que la modification du temps de travail était valablement intervenue dès lors que la salariée ne l’avait pas refusée dans le délai d'un mois.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir accueilli la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail. Elle juge ainsi que l’employeur qui n’a pas mentionné dans sa proposition le motif économique pour lequel la modification est envisagée ne peut se prévaloir, en l'absence de réponse du salarié dans le mois, d'une acceptation de la modification du contrat de travail.
A noter :
Cette solution s’inscrit dans le droit fil de sa jurisprudence selon laquelle l'employeur qui n'a pas respecté les formalités prescrites par l'article L 1222-6 du Code du travail ne peut se prévaloir ni d'un refus, ni d'une acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié (Cass. soc. 29-9-2021 n° 19-25.016 F-D), le licenciement prononcé à la suite du refus du salarié d’une modification de son contrat pour motif économique étant alors dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, l’employeur n’avait pas allégué que la réorganisation mentionnée dans la proposition résultait de difficultés économiques, de mutations technologiques ou qu'elle fût indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. La règle posée par l’article L 1222-6 du Code du travail, selon laquelle à défaut de réponse dans le délai d'un mois la salariée est réputée avoir accepté la modification, ne s’appliquait donc pas, et la réduction du temps de travail ne pouvait pas être imposée à la salariée.
Seule la mention du motif économique compte, peu importe la référence à l’article L 1222-6 du Code du travail
Dans la deuxième espèce (n° 22-12.412 F-D), un VRP exclusif s’était vu proposer une réduction de son périmètre commercial. Ayant refusé cette modification de son contrat de travail, il avait été licencié pour motif économique. Estimant que la proposition de modification, qui invoquait plusieurs motifs non économiques et un motif économique, ne respectait pas les formalités prescrites par l'article L 1222-6 du Code du travail, il avait contesté le fait que son licenciement soit considéré comme un licenciement économique. La cour d’appel ayant jugé le licenciement fondé, le salarié s’était pourvu en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation rejette son pourvoi. Elle relève que si la proposition de modification ne faisait pas référence à l'article L 1222-6 du Code du travail, elle précisait toutefois que la modification du contrat de travail était motivée par une réorganisation en cours, comportant la redéfinition des périmètres commerciaux des VRP, ayant pour objectif de préserver la compétitivité de l'activité commerciale afin de dynamiser les ventes et d'améliorer la situation économique de la société.
D'autre part, elle indiquait que le salarié disposait d'un délai de réflexion d'un mois à compter de la date de présentation, silence valant acceptation. Cette lettre s'analysait comme une proposition de modification du contrat de travail pour motif économique et la société pouvait se prévaloir du refus du salarié. En d’autres termes, le motif économique à l’origine de la proposition de modification était clairement énoncé, et cette dernière suffisamment motivée.
La référence à l’article L 1222-6 n’était donc pas nécessaire.
La proposition de modification doit permettre au salarié de se prononcer en connaissance de cause
L'employeur qui propose au salarié une modification de son contrat de travail pour motif économique est tenu de l'informer de ses nouvelles conditions d'emploi, comme des éventuelles mesures accompagnant cette modification, afin de lui permettre de prendre position sur l'offre qui lui est faite en mesurant les conséquences de son choix. À défaut, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 30-1-2008 n° 06-42.000 F-D). L’affaire à l’origine du troisième arrêt du 8 novembre 2023 (n° 22-10.350 F-D) constitue une nouvelle illustration de ce principe.
En l’espèce, la fermeture du centre optique où exerçait une salariée ayant été décidée, une modification du contrat de travail par transfert du lieu de travail lui avait été proposée. A la suite de son refus, l'employeur l'avait licenciée pour motif économique, licenciement que la salariée avait contesté. En effet, la proposition de modification ne mentionnait pas la date d'affectation définitive dans le nouveau centre optique et ne précisait pas dans quel autre centre optique du département des Landes elle serait temporairement affectée dans cette attente.
Elle soutenait donc que la proposition n’était ni sérieuse ni loyale, et ce d’autant plus qu’elle élevait seule ses deux jeunes enfants à la suite du décès de son mari : selon elle, l’employeur, qui avait connaissance de sa situation familiale, lui aurait proposé un lieu d'affectation aléatoire incompatible avec sa vie de famille afin de la décourager.
Contrairement à la cour d’appel, la Cour de cassation s’est rangée du côté de la salariée.
Dans le droit fil de sa jurisprudence (Cass. soc. 30-1-2008 n° 06-42.000 F-D précité), la Haute Juridiction décide que, faute de mentionner la date d’affectation définitive de la salariée dans le nouveau centre optique et, dans cette attente, les lieux temporaires d’affectation, la proposition de modification du contrat n'était pas suffisamment précise pour permettre à l'intéressée de prendre position sur l’offre qui lui avait été faite et d’en mesurer les conséquences ; le licenciement ne pouvait être fondé sur une cause réelle et sérieuse. Peu important par ailleurs que la salariée ait sollicité ou non des précisions sur les conditions d’une affectation temporaire dans l’attente de l’ouverture du nouveau centre optique.