Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 janvier 2025, publié au Bulletin, apporte une nouvelle illustration de l’autonomie du droit pénal du travail à l’égard des principes généraux du droit social.
Le salarié endommage le véhicule de l’employeur
Dans cette affaire, le tribunal correctionnel a déclaré un salarié coupable des chefs de conduite d'un véhicule de l’employeur en ayant fait usage de cannabis, en récidive, et à une vitesse excessive. Le salarié a eu un accident et a abîmé le véhicule de l’employeur. Le tribunal l’a en conséquence condamné à indemniser l’entreprise du préjudice matériel.
Le salarié a fait appel de cette décision, estimant que la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde ou de ses infractions intentionnelles, qu'il s'agisse d'une pénalité ou de la réparation d'un préjudice. Il reproche aux juges du fond d’avoir refusé de rechercher si le fait d'avoir eu une conduite dangereuse lors de l'exécution de son contrat de travail, faute qui n'était constitutive ni d'une infraction intentionnelle ni d'une faute lourde, n'était pas de nature à priver l'employeur de toute indemnisation au titre des risques liés à l'exploitation.
Le droit pénal du travail est autonome par rapport aux règles du droit social
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Dans la mesure où la cour d'appel a constaté que l'intéressé avait été déclaré coupable de deux infractions, elle n'avait à caractériser ni une faute lourde ni une intention de nuire à l'encontre de la partie civile. Les juges civils n’ont donc méconnu aucun des textes relatifs à la responsabilité civile prévus dans le Code civil.
A noter :
L’action civile devant les juridictions pénales est régie par les dispositions particulières du Code de procédure pénale, dont l’article 2 dispose que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Une telle action est, aux termes de l’article 3 du même Code, « recevable pour tous chefs de dommages qui découleront des faits objets de la poursuite ».
En droit social, un régime dérogatoire aux règles de droit commun gouverne la responsabilité civile du salarié vis-à-vis de son employeur.
En effet la chambre sociale de la Cour de cassation affirme le principe selon lequel une telle responsabilité n’est engagée qu’en cas de faute lourde du salarié (Cass. soc. 23-9-1992 n° 89-43.035 PF : RJS 1/93 n° 4 ; Cass. soc. 12-4-1995 n° 92-12.373 P : RJS 5/95 n° 487 ; Cass. soc. 6-5-2009 n° 07-44.485 F-PB : RJS 7/09 n° 603). Cette dernière n’est caractérisée que si le comportement du salarié démontre une intention de nuire à l’employeur, laquelle ne se déduit pas de sa seule condamnation par une juridiction répressive pour un délit, même intentionnel (Cass. soc. 6-7-1999 n° 97-42.815 PB : RJS 10/99 n° 1235 ; Cass. soc. 26-10-2004 n° 02-42.843 F-D : RJS 2/05 n° 137 ; Cass. soc. 29-4-2009 n° 07-42.294 F-D : RJS 7/09 n° 619 : s’agissant d’un homicide involontaire commis par un salarié avec le véhicule de l’employeur, avec la circonstance de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, de tels faits ne relevant pas, selon la chambre sociale de la Cour de cassation, de la faute lourde). Une telle limitation de responsabilité se justifie en droit du travail par le fait que le salarié n’a pas à répondre des risques inhérents à la gestion et à l’exploitation de l’entreprise.
Cependant, si ces principes ont vocation à s’appliquer devant le juge prud’homal, la chambre criminelle de la Cour de cassation, partant du principe que le préjudice subi par la victime d’une infraction doit être intégralement réparé, n’exige pas de l’employeur la démonstration d’une faute lourde de son salarié pour triompher dans l’exercice de son action civile (Cass. crim. 25-2-2015 n° 13-87.602 F-D ; Cass. crim. 14-11-2017 n° 16-85.161 F-PB : FRS 24/17 inf. 9 p. 11).
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