Un homme décède le 15 juillet 2012 laissant pour lui succéder son épouse en secondes noces ainsi que trois enfants, dont deux issus d’une précédente union. De son vivant, le défunt avait réalisé des opérations de transfert de fonds assez complexes via des trusts. Le fils a assigné en justice non seulement le conjoint survivant et ses sœurs, mais aussi un certain nombre de sociétés et leurs représentants, afin que la loi française soit déclarée applicable à la succession et que les fonds détenus en trust par ces sociétés soient inclus dans la succession du de cujus. L’arrêt rendu par la Cour de cassation, quoique non publié au Bulletin, mérite de retenir l’attention à un double titre.
Le pourvoi reprochait d’abord aux juges du fond de n’avoir pas relevé d’office leur incompétence. En effet, la compétence des juridictions françaises devait être déterminée conformément aux dispositions en vigueur avant l’entrée en application du règlement 650/2012 du 4 juillet 2012. C’est dire que cette compétence était subordonnée au domicile en France du défunt (CPC art. 45). Or ce dernier, en l’espèce, était domicilié à l’étranger. La Cour de cassation considère néanmoins que les règles de compétence présentent pour les juges du fond un caractère facultatif.
D’où la question ensuite de savoir si les fonds transférés de son vivant par le défunt au profit d’un certain nombre d’entités devaient être pris en compte dans le cadre du règlement de la succession. Se rangeant à l’avis de la cour d’appel, la Cour de cassation répond par l'affirmative. Elle considère en effet que les entités qui avaient été créées par le défunt l’avaient été pour des considérations fiscales et familiales illicites, en fraude des droits des héritiers. De ce fait, les transferts étaient inopposables aux héritiers et les biens concernés devaient être inclus dans la détermination de la masse des biens dépendant de la succession.
A noter :
Pour Sara Godechot-Patris, professeure à l'université Paris-Est Créteil, sur le terrain de la compétence, l’arrêt est intéressant car il est l’occasion de rappeler que les solutions sont appelées à évoluer depuis l’entrée en application du règlement du 4 juillet 2012 : désormais, ce texte fait obligation au juge saisi d’une succession pour laquelle il n’est pas compétent de se déclarer incompétent (Règl. 650/2012 art. 15).
Concernant à présent le montage mis en place par le défunt, l’arrêt témoigne de la suspicion – pas forcément infondée – qui continue d’entourer le trust. Pour justifier de la réalité de la mise en trust, le pourvoi entendait mettre l’accent d’abord sur le dédoublement de propriété sur lequel repose le trust et ensuite sur le caractère discrétionnaire du trust litigieux. Il est en effet certain que, lorsque le trustee est libre de décider qui reçoit quoi, il devient difficile de contester la réalité du transfert, sauf si, comme en l’occurrence, le défunt a conservé la maîtrise des entités désignées en qualité de trustee. Au fond, on était en présence de ce que les Américains appellent un « sham » trust. Est-ce à dire que, si la réalité du transfert n’avait pas été douteuse, les biens mis en trust seraient demeurés hors succession ? La réponse à cette question dépendait du point de savoir, d’une part, si le trust réalisait une libéralité et, d’autre part, si la loi française était applicable à la succession. À supposer qu’il en eût été ainsi, le trust aurait été pris en compte dans le cadre du règlement de la succession. La jurisprudence est en ce sens (Cass. 1e civ. 20-2-1996 n° 93-19.855 P. Zieseniss : Rev. crit. DIP 1996 p. 692 note G. A. L. Droz, D. 1996 p. 231 chron. Y. Lequette). Reste qu’en l’espèce le défunt était domicilié à l’étranger. C’est donc probablement une loi étrangère qui était applicable. Partant, la prise en compte du trust dans le cadre du règlement de la succession n’était nullement acquise. Là résidait probablement l’enjeu de l’arrêt.
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