Une femme de nationalité italienne est née en Italie en 1951. Elle commence une procédure devant un tribunal italien en 2006 pour faire établir sa filiation à l’égard d’un homme. Un jugement de 2010, confirmé en appel en 2015, fait droit à sa demande. En 2016, la Cour de cassation italienne rejette un pourvoi contre la décision d’appel. L’homme à l’égard de qui l’intéressée a fait établir sa filiation décède en 2015. Sa veuve et ses enfants assignent alors cette femme de nationalité italienne devant les tribunaux français afin de faire déclarer les décisions italiennes inopposables (en France). Ils sont déboutés en appel.
Un pourvoi est formé. La veuve et ses enfants soulèvent plusieurs moyens, dont l’un relatif à la convention franco-italienne sur l'exécution des jugements en matière civile et commerciale, signée à Rome le 3 juin 1930, qui ne sera pas abordé ici. Ils soulèvent par ailleurs la contrariété des décisions étrangères à l’ordre public international français, celui-ci intégrant les stipulations de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Selon le pourvoi, le principe de proportionnalité commandait que les décisions italiennes soient déclarées inopposables en France pour les raisons suivantes :
italienne, ayant toujours vécu en Italie, sans lien avec la France, l’intéressée se voit pourvue, du seul fait des décisions italiennes, d'un lien de filiation dans le milieu où elle vit, sans qu'il soit besoin d'une reconnaissance en France des décisions italiennes ;
n'ayant pas entretenu de liens avec son père, elle n'a agi qu'à l'âge de 55 ans, après avoir été informée par sa mère de sa probable filiation dès l'âge de 9 ans, et elle a choisi d'agir non pas en France mais en Italie et a maintenu sa demande visant à faire déclarer opposables les décisions italiennes, après le décès de son père, révélant par là même que son action, étrangère à la recherche de ses origines pour l'établissement d'un lien de filiation, n'avait que des visées patrimoniales.
Le pourvoi ajoute qu’eu égard à l'écoulement du temps l'accueil en France des décisions italiennes attentait de façon évidente à la sécurité juridique, tant du point de vue de l'intérêt général que du point de vue de la famille concernée, ainsi qu'à la paix des familles et au droit au respect de la vie privée et familiale à laquelle la veuve et ses enfants pouvaient légitimement prétendre.
Rejet du pourvoi. Comme le constatent les Hauts Magistrats, la cour d’appel a bien relevé que la reconnaissance des décisions italiennes constituait une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale des enfants du défunt et de sa veuve, et portait atteinte à la sécurité juridique en ce qu'elle entraînait la réouverture de la succession paternelle. Mais cette ingérence poursuivait un but légitime, la protection du droit de la fille italienne au respect de sa vie privée. En l’absence d’une telle reconnaissance, l’intéressée ne pourrait se prévaloir des effets d'une filiation juridiquement établie et serait ainsi privée d'une partie des éléments de son identité. La cour d’appel a par ailleurs retenu que la veuve et ses enfants ne démontraient pas que celle-ci avait agi à des fins purement patrimoniales. En outre, cette fille étant née avant le mariage de son père et la naissance des autres enfants, la reconnaissance de l'établissement de sa filiation n'était pas de nature à troubler la paix des familles. Enfin, l'atteinte à la sécurité juridique causée par la réouverture d'une succession close depuis plusieurs années ne pouvait être invoquée, dès lors que l'action avait été engagée avant le décès du père, et que sa veuve et ses enfants avaient choisi de régler la succession sans attendre ni préserver les droits éventuels de son autre fille. Dès lors, la cour d'appel a pu en déduire que la reconnaissance en France des décisions italiennes ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés en cause et, partant, à l'ordre public international français.
A noter :
Pour David Lambert, coauteur du Mémento Droit de la famille et du Mémento Successions et libéralités, cette décision laisse perplexe et illustre bien les apories auxquelles conduit un raisonnement fondé uniquement sur les droits fondamentaux, en l’occurrence la protection de la vie privée établie par l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Il est assez ironique de constater que la protection de la vie privée a servi il y a un peu plus de 20 ans à établir l’égalité successorale de l’enfant adultérin avec les enfants naturels et légitimes (CEDH 1-2-2000 n° 34406/97, Mazurek) alors qu’elle permet d’ériger dans cette décision la « paix des familles » comme un principe fondamental de l’ordre juridique français pouvant justifier le refus de reconnaître une décision étrangère.
Bien qu’il soit ici question de la reconnaissance d’une décision étrangère et non directement de l'application d’une loi étrangère, le contenu de l’ordre public international est largement similaire. On rappellera qu’en l’état actuel de la jurisprudence une loi étrangère qui interdit à un enfant d'établir sa filiation naturelle est contraire à l'ordre public international (Cass. 1e civ. 26-10-2011 n° 09-71.369 FS-PBI : BPAT 6/11 inf. 344). Une loi étrangère peut cependant déclarer irrecevable l'action en recherche de paternité parce que l'enfant dispose déjà d'un lien de filiation adoptive (Cass. 1e civ. 14-10-2020 n° 19-15.783 FS-PBI : SNH 36/20 inf. 1, Dr. famille 2020 comm. 175 par M. Farge). Dans cette affaire, dont le pourvoi s’est manifestement inspiré, il était déjà question de contrôle de proportionnalité par application de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme, mais le raisonnement de droit international privé était laissé au second plan. Une ressortissante britannique demandait l’établissement de sa filiation à l’égard d’un homme de nationalité française une cinquantaine d’années après sa naissance et alors qu’elle était déjà pourvue d’une filiation adoptive. L’homme assigné décédait l’année d’après. La loi anglaise, applicable en l’espèce, interdisait l’établissement de la filiation mais la cour d’appel avait fait droit à la demande de l’intéressée sur le fondement du droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour d’appel jugea qu’il était nécessaire d’établir un juste équilibre dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de la demanderesse de connaître son ascendance et de voir établir légalement celle-ci, de l’autre, le refus de son père lorsqu’il était vivant, puis de son héritier, qui se sont opposés systématiquement à ses demandes et, enfin, l’intérêt général lié à la sécurité juridique. Concluant que l’intérêt de l’héritier était de moindre importance que celui de la demanderesse, la cour d’appel fit droit à ses demandes. La Cour de cassation avait néanmoins cassé l’arrêt : la demanderesse connaissait ses origines personnelles et n’était pas privée d’un élément essentiel de son identité. L’homme assigné puis son héritier n’avaient jamais souhaité établir de lien, de fait ou de droit, avec elle, de sorte qu’au regard des intérêts de l’héritier, de ceux de la famille adoptive et de l’intérêt général attaché à la sécurité juridique et à la stabilité des liens de filiation adoptifs l’atteinte au droit au respect de la vie privée ne revêtait pas un caractère disproportionné. Un auteur avait imaginé que le contrôle de proportionnalité devienne un élément autonome d'éviction de la loi étrangère, indépendant de l’ordre public international (M. Farge, précité). En l’espèce, il devient effectivement un élément d’éviction possible d’un jugement étranger, mais il est formellement décrit comme une composante de l’ordre public international, dans lequel est intégré, au nom du droit à la vie privée, le droit au respect de la « paix des familles ». On se gardera toutefois d’accorder une importance de principe à un arrêt non publié.
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