Un nouvel épisode de la saga judiciaire sur le barème « Macron » vient de s’écrire avec le premier arrêt de cour d’appel en la matière, rendu par la cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019.
Une décision attendue
Depuis maintenant un an, on ne compte plus le nombre de conseils de prud’hommes ayant décidé d'écarter l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail, au motif qu'il méconnaîtrait, notamment, les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention 158 de l'OIT reconnaissant aux travailleurs licenciés sans motifs valables le droit à une indemnité adéquate et appropriée (par exemple : Cons. prud'h. Troyes 13-12-2018 n° 18/00036 : RJS 2/19 n° 89 ; Lyon 21-12-2018 n° 18/01238 et Grenoble 18-1-2019 n° 18/00989 ; Montpellier 17-5-2019 n° 18/00152).
L’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 concluant à la compatibilité du barème avec l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT (Avis Cass. 17-7-2019 n° 19-70.010 : Voir La Quotidienne du 19 juillet 2019) n’a pas mis fin à cette fronde, certains juges du premier degré refusant de s’aligner sur cette position. C’est pourquoi le premier arrêt de cour d’appel était très attendu. La solution retenue, à propos de l’affaire ayant donné lieu au jugement du conseil de prud’hommes de Troyes précité, est plutôt nuancée.
Pour rappel, d'après le barème, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre un minimum et un maximum variant en fonction de l'ancienneté du salarié, avec un maximum de 20 mois de salaire pour les salariés ayant au moins 30 ans d'ancienneté.
Le barème jugé conforme aux textes internationaux…
La cour d’appel de Reims se prononce sur la conventionnalité du barème au regard des articles 10 de la Convention 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne qui, relève-t-elle, sont rédigés de façon très proche. Elle estime en effet que ces deux textes sont dotés d’un effet direct horizontal, permettant ainsi à tout salarié le droit de s’en prévaloir devant les juridictions nationales dans un litige l’opposant à son employeur.
Pour la cour d’appel, cet effet direct, « dont l’absence ne peut se déduire de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elles imposent », résulte du caractère suffisamment précis de l’engagement défini par ces normes internationales et du fait que le droit qui y est reconnu au profit des particuliers peut être assuré sans nécessiter l’intervention d’une législation nationale d’application.
A noter : S'agissant de la portée de l'article 24 de la Charte sociale européenne, la Cour de cassation a adopté la position contraire dans son avis du 17 juillet 2019, celle-ci n'ayant reconnu un effet direct qu'à l'article 10 de la Convention 158 de l'OIT.
On relèvera que la cour d'appel, si elle fait mention de cet avis au début de son arrêt, n'y fait curieusement plus référence par la suite et procède à sa propre analyse.
Ajoutons que, comme la Cour de cassation, la cour d’appel juge non fondé le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales reconnaissant le droit à un procès équitable, dans la mesure où le salarié conserve « la faculté de saisir effectivement un juge impartial pour défendre ses droits selon des modalités qui, tout en réduisant l’office de ce dernier, laisse intacte la nature de son pouvoir ».
Analysant les dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail, le juge rémois conclut à leur conformité aux textes précités. Son raisonnement s’articule en 3 temps.
Tout d’abord, il considère qu’une indemnité adéquate ou appropriée n’implique pas une réparation intégrale du préjudice mais suppose une indemnisation d’un montant raisonnable en lien avec ce préjudice et suffisant pour assurer l’effectivité de l’exigence d’une cause réelle et sérieuse, ce qui n’est pas incompatible en soi avec l’instauration d’un plafond.
Elle relève ensuite que le dispositif prévu par le Code du travail est de nature à porter atteinte au droit à une indemnisation adéquate et appropriée. Ainsi, notamment, les plafonds d’indemnisation sont faibles pour les salariés ayant peu d’ancienneté ; ils cessent d’évoluer à compter de 29 ans d’ancienneté ; enserré entre un plancher et un plafond, le juge prud’homal ne dispose pas de toute latitude pour individualiser le préjudice de perte d’emploi et sanctionner l’employeur ; l’indemnité du licenciement sans cause réelle et sérieuse est cumulable avec d’autres indemnités mais dans la limite des plafonds prévus par le barème. Néanmoins, ces atteintes au droit à une indemnisation appropriée lui paraissent légitimes et proportionnées. Légitimes dans la mesure où les dispositions en cause, prises par ordonnance et ratifiées par le Parlement, ont une base légale et démocratique. Proportionnées car, notamment ; l’indemnisation reste soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond dans les limites des fourchettes prévues au barème, l’amplitude des minima et maxima ne saurait, en raison de sa progression réelle, être considérée comme incitant, en elle-même, au licenciement ; le barème ne s’applique pas en cas de licenciement nul.
Dès lors, pour la cour d’appel de Reims, « le contrôle de conventionnalité exercé de façon objective et abstraite sur l’ensemble du dispositif, pris dans sa globalité, et non tranche par tranche, conduit à conclure (…) à la conventionnalité de celui-ci ».
La cour d’appel refuse de se référer à la décision du comité européen des droits sociaux (CEDS) du 8 septembre 2016 qui a condamné, au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne, un plafond d’indemnisation des licenciements injustifiés de 24 mois de salaire mis en place par la Finlande. Elle estime qu’elle ne peut pas transposer au présent litige, et tenir pour acquise et certaine, l’interprétation de ce texte dans une affaire ne concernant pas la France, et alors que le CEDS devrait se prononcer prochainement sur la compatibilité du barème français avec ledit article 24.
…mais qui pourrait être écarté dans certains cas
Le fait que le barème soit reconnu conforme aux articles 10 de la Convention 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne ne signifie pas qu’il doive être respecté dans tous les cas.
Pour la cour d’appel de Reims, il existe en effet deux types de contrôle de conventionnalité d’une règle de droit interne au regard des normes européennes et internationales : le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même (contrôle « in abstracto ») et celui de son application dans les circonstances de l’espèce (contrôle « in concreto »). Elle juge ainsi que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné ». Ainsi, il s’agit pour le juge de déterminer, dans chaque cas d’espèce, si le barème peut être appliqué ou doit être écarté dans le cas où son application porterait atteinte au droit à une réparation adéquate. La recherche de proportionnalité doit se faire « in concreto ».
La cour pose toutefois une condition à cette recherche : elle ne peut être exercée que si le salarié le demande expressément au juge ; « elle ne saurait être exercée d’office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnaît le caractère conventionnel ».
Mais, il est par ailleurs précisé que le salarié n’a pas besoin « de justifier au préalable d’un préjudice de perte d’emploi supérieur au plafond d’indemnisation correspondant à son ancienneté ou qu’il démontre avoir subi un tel préjudice qui ne serait pas réparé de façon adéquate ou appropriée ».
En l’espèce, le salarié n’ayant pas demandé au juge un contrôle concret de son cas particulier mais seulement un contrôle abstrait de conventionnalité du barème, le juge rémois applique celui-ci.
A noter : Le juge rémois a donc choisi d’appliquer deux types de contrôle, option que paraît déjà avoir prise le conseil de prud’hommes de Grenoble moins d’une semaine après l’avis de la Cour de cassation (Cons. prud'h. Grenoble 22-7-2019 n° 18/00267 : voir La Quotidienne du 26 juillet 2019). Cette position sera-t-elle avalisée par la Cour de cassation ? Le débat n’est pas clos.
Pour en savoir plus sur les sanctions du licenciement sans cause réelle et sérieuse : voir Mémento Social nos 48705 s.