L’actionnaire d’une société anonyme d’audit se voit notifier, après sa mise à la retraite, le rachat forcé de ses actions en application des statuts. La cession forcée intervient au profit d’un tiers en 2007 moyennant un prix calculé selon un règlement interne à la société, prix que l’actionnaire conteste. Un arrêt de la cour d’appel de Paris, devenu irrévocable, juge la cession des actions régulière mais estime que le prix de cession devait être fixé par un expert conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du Code civil. L’expert nommé évalue les actions à un prix de près de 400 fois supérieur à celui versé. Le tiers s’acquitte de la différence entre les mains de l’actionnaire sortant en 2015.
Se pose alors la question du droit aux dividendes. L’actionnaire sortant estime qu’il aurait dû les percevoir jusqu’au jour du paiement du prix fixé par l’expert, tandis que la société et le tiers acquéreur font valoir que l’actionnaire a perdu tout droit aux dividendes à partir de la cession des actions de 2007.
La Cour de cassation leur donne raison : l'article 1843-4 du Code civil ne prévoit rien sur la date de la cession et les associés peuvent librement établir des règles présidant aux cessions de droits sociaux, différentes des dispositions supplétives de l'article 1583 du même Code prévoyant que la vente résulte d’un accord sur la chose et sur le prix.
En l’espèce, il était dérogé à cette disposition puisque les statuts prévoyaient que la mise à la retraite entraînait de plein droit la perte de la qualité d’actionnaire et l’obligation pour celui-ci de céder ses parts. En outre, la validité de la cession de 2007 avait été reconnue par une décision irrévocable et cette date avait été retenue par l’expert, avec l’accord des parties, pour évaluer le prix de cession.
Par suite, c’était la date de la cession qu’il convenait de retenir pour déterminer la perte de la qualité d’associé et la perte du droit à dividendes.
A noter1. C’est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation approuve la décision d’une cour d’appel ayant jugé que, si l’article 1843-4 du Code civil a pour objet d’instaurer des modalités de règlement des litiges sur le prix du rachat de droits sociaux, il est muet sur la date de la cession.
Le caractère supplétif de l’article 1583 du Code civil, prévoyant que la vente est parfaite dès que les parties sont d’accord sur la chose et le prix, même si la chose n’a pas encore été livrée ni le prix payé, a, quant à lui, déjà été affirmé (Cass. 1e civ. 24-1-1984 : Bull. civ. I n° 31).
2. Dans une affaire où une clause des statuts d'une société en nom collectif stipulait que, en cas de redressement judiciaire d'un associé, les parts de celui-ci seraient annulées de plein droit et que la société devait lui en rembourser la valeur, il a été jugé que la perte des droits d'associé s'était opérée en vertu de cette clause dès le redressement judiciaire de l'intéressé et n'était pas subordonnée au remboursement des droits sociaux (Cass. com. 8-3-2005 n° 02-17.692 : RJDA 7/05 n° 827).
Dans l’arrêt commenté, la chambre commerciale de la Cour de cassation a fixé la date de la perte de qualité d’associé avant le remboursement intégral des droits sociaux compte tenu des faits propres à l’espèce : l’existence d’une clause statutaire et surtout le fait que la cession ait eu lieu, avec paiement d’un prix, avant la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil.
3. En matière de société civile, la perte de la qualité d'associé de l'associé retrayant ou exclu ne peut pas être antérieure au remboursement de la valeur de ses droits sociaux (Cass. com. 17-6-2008 n° 07-14.965 FS-PBR et 06-15.045 FS-PBR : RJDA 11/08 n° 1144 ; Cass. 1e civ. 28-9-2016 n° 15-18.482 F-PB : RJDA 1/17 n° 28), de sorte qu'il a droit au paiement des dividendes jusqu’à ce remboursement intégral (Cass. com. 27-4-2011 n° 10-17.778 : RJDA 7/11 n° 638 ; Cass. 1e civ. 16-4-2015 n° 13-24.931 : RJDA 8-9/15 n° 585).
En cas de retrait forcé, cette solution est imposée par l’article 1860 du Code civil, applicable aux sociétés civiles et non à toutes les sociétés, prévoyant le remboursement des droits sociaux de l’associé faisant l’objet d’une procédure collective et ajoutant que l’associé perd alors la qualité d’associé. Elle a été étendue par la Cour de cassation au retrait volontaire d’un associé de société civile, alors même que l’article 1869 est muet sur la date à laquelle est alors perdue la qualité d’associé
Ces solutions ne sont pas, à notre avis, applicables aux sociétés commerciales. Mais il n’est pas interdit de les retenir dans les statuts.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Cessions de parts et actions n° 37596