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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Successions et donations

Le légataire mis en possession du bien par le testateur doit demander la délivrance du legs

Pour faire reconnaître son droit, le légataire particulier doit demander la délivrance de son legs, même s’il a déjà été mis en possession du bien par le testateur. La prescription de l’action en délivrance prive le légataire de son legs et, partant, des fruits du bien légué.

Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-20.396 FS-B


Par Nicole PÉTRONI-MAUDIÈRE, Maître de conférences à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges
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©Gettyimages

Une femme décède le 3 juillet 2010, en laissant pour lui succéder ses deux enfants, et en l’état d’un testament authentique reçu le 4 juin 2010 instituant une femme légataire d’un appartement et d’un local commercial dont elle était propriétaire à Paris. Un litige naît entre ses héritiers réservataires et la légataire sur les droits que cette dernière tient du testament. Notamment, les héritiers réservataires demandent que soit constatée la prescription de l’action en délivrance du legs et la condamnation de la légataire au paiement d’une indemnité pour l’occupation de l’appartement à compter du décès de la testatrice.

Les héritiers réservataires reprochent à l’arrêt d’appel de dire que la légataire a le droit de disposer et de jouir de l’appartement depuis le 3 juillet 2010, de rejeter leurs demandes en paiement d’une indemnité d’occupation de ce bien à compter de cette date et de condamner celle-ci au paiement d’une indemnité de réduction pour dépassement de la quotité disponible. Ils soutiennent à l’appui de leur pourvoi devant la Cour de cassation « que le légataire particulier qui n’a pas la qualité d’héritier réservataire est tenu en toute hypothèse de solliciter la délivrance de la chose léguée ». Ils font valoir qu’en retenant, pour écarter la prescription soulevée par eux et les débouter de leur demande d’indemnité d’occupation, que la légataire n’avait pas à solliciter la délivrance du legs de l’appartement dès lors que « le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant le décès de celui-ci et qui se maintient en possession après ce décès n’est pas tenu de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien légué », la cour d’appel a violé l’article 1014 du Code civil.

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les juges du fond sur le visa des articles 1014 et 2219 du Code civil. Elle affirme tout d’abord qu’il résulte de l’article 1014 du Code civil que, si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès. Elle rappelle ensuite que le légataire ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu’à compter du jour de la demande en délivrance. Or, celle-ci étant éteinte par l’effet de la prescription, en application de l’article 2219 du Code civil, la légataire ne pouvait plus se prévaloir de son legs, ni percevoir les fruits de la chose léguée.

A noter :

Comme le relève Nicole Pétroni-Maudière, maître de conférences à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, tout légataire acquiert, comme tout héritier, ses droits dès le décès du de cujus : c’est le principe de la transmission immédiate des droits du de cujus à ses successeurs, qui deviennent ainsi propriétaires des biens qui leur sont dévolus. Toutefois, pour pouvoir exercer les droits conférés par le défunt, le légataire doit demander la délivrance de son legs. La délivrance de legs est une formalité qui a pour effet de faire acquérir au légataire la qualité de successeur saisi, qui lui vaut reconnaissance de ses droits : c’est une reconnaissance des droits du légataire qui en conditionne l’exercice (Cass. 1e civ. 28-1-1997 n° 95-13.835 : Bull. civ. I n° 37). Tout légataire non saisi doit y procéder (C. civ. art. 1011 et 1014). La demande de délivrance des legs doit être adressée aux héritiers réservataires, à défaut, aux légataires universels et, à défaut, aux héritiers légaux (C. civ. art. 1011). S’il est titulaire de droits privatifs, le légataire particulier obtiendra ainsi la remise du bien légué. Outre l’entrée en possession, le légataire acquiert les fruits et intérêts des biens légués, ainsi que le droit d’exercer les actions relatives aux biens légués. En principe, le légataire particulier n’a droit aux fruits et intérêts des biens légués qu’à compter du jour de la demande en délivrance ou du jour où la délivrance lui a été volontairement consentie (C. civ. art. 1014, al. 2). Si la délivrance amiable lui est refusée par l’héritier saisi, le légataire doit saisir le tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession afin de demander une délivrance judiciaire de son legs.

Le fait que le légataire ait été mis en possession du bien légué par le testateur de son vivant – en l’espèce, la légataire occupait l’appartement légué depuis plusieurs années au décès de la testatrice – est sans incidence sur la nécessité de procéder à la demande de délivrance. Autrement dit, la délivrance ne saurait être accordée par le testateur lui-même. Il aurait pu en être autrement si la légataire était entrée en possession de l’appartement légué après le décès de la testatrice au vu et au su des héritiers et sans opposition de leur part. En effet, aucune forme n’étant imposée pour demander la délivrance, il est admis en jurisprudence qu’elle puisse être tacite (pour un cas de mise en possession du légataire sans opposition des héritiers : Cass. 1e civ. 18-11-1968 : Bull. civ. I n° 282, D. 1969 p. 112).

Par ailleurs, dans le présent arrêt, la légataire faisait valoir que la prescription de la demande de délivrance de son legs n’avait pas couru pendant la contestation de la validité du testament portée au préalable par les héritiers légaux devant les tribunaux. Or l’action en nullité du testament exercée par l’héritier légal n’a pas d’effet suspensif de la prescription de la demande en délivrance (Cass. 1e civ. 30-9-2020 n° 19-11.543 FS-PB : BPAT 6/20 inf. 199). En conséquence, l’action en délivrance de legs doit être engagée dans le délai légal, qui est le délai de prescription quinquennal de l’article 2224 du Code civil, institué par la loi 2008-561 du 17 juin 2008, dont le point de départ est le décès du testateur. Confirmant son arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation nous semble trancher implicitement le débat sur la question du délai de prescription de l’action en délivrance en faveur du délai de droit commun de la prescription des actions personnelles ou mobilières de l’article 2224 du Code civil. Passé ce délai, en l’espèce, après le 3 juillet 2015, l’action en délivrance est prescrite et le legs ne peut plus sortir aucun effet. Le légataire subit ainsi une véritable déchéance de son droit de propriété (M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 8e éd., 2020, n° 436).

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