Une société unipersonnelle appartenant à un groupe obtient d'un tribunal de commerce la condamnation d'un cocontractant à lui verser une indemnité de 800 000 € pour rupture abusive de leurs relations contractuelles. Le cocontractant ayant fait appel du jugement, la société mère du groupe adresse à la société unipersonnelle une lettre d'intention rédigée ainsi : « En notre qualité d'associé majoritaire (...) au travers de nos différentes participations, nous ne pouvons que nous réjouir de la décision [du] tribunal de commerce (...). Vous avez sollicité de notre part que nous vous confirmions par écrit notre soutien dans le cadre de ce contentieux ; ce à quoi nous pouvons répondre favorablement sans aucune difficulté (...). Comme vous le savez, [notre société] a toujours apporté son soutien y compris financier à [votre société], notamment par avances réalisées en compte courant d'associé. Nous vous confirmons bien volontiers que [notre société] continuera à soutenir [votre société] dans le cadre du contentieux l'opposant à [votre ex-cocontractant] et ce, même si, par extraordinaire, la cour d'appel de Paris devait infirmer le jugement (...), obligeant votre société à restituer en tout ou en partie la somme de 800 000 € concernée ».
La cour d'appel de Paris ayant infirmé le jugement, la société unipersonnelle est tenue de restituer les 800 000 € mais, en raison de sa mise en liquidation judiciaire, elle est dans l'impossibilité de le faire. Le cocontractant se prévaut alors de la lettre d'intention, produite par la société unipersonnelle devant la cour d'appel, pour demander à la société mère le versement de la somme.
Celle-ci s'y oppose en soutenant que le passage de la lettre faisant état de la confirmation du soutien apporté à la société unipersonnelle « même si, par extraordinaire, la cour d'appel de Paris devait infirmer le jugement (...), obligeant [cette] société à restituer (...) la somme de 800 000 € » ne caractérisait qu'une obligation de faire, à l'exclusion de toute obligation « monétaire ».
Cette analyse est écartée par la Cour de cassation et la société mère est reconnue redevable de cette somme : il résultait de la commune intention des parties, appréciée à la lumière du contexte judiciaire dans lequel la lettre avait été produite, que la société mère s’était engagée à apporter son soutien à la société unipersonnelle pour que celle-ci puisse restituer la somme en cas d’infirmation du jugement, si bien qu’elle s’était engagée à un tel résultat.
A noter : 1. La distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat en matière de lettre d'intention donne lieu à un abondant contentieux. Comme on le sait, la société mère est tenue à une obligation de moyens lorsqu'elle n'a promis dans la lettre que l'accomplissement de diligences, sans prendre d'engagement précis portant sur un résultat. Tel est par exemple le cas lorsque les termes de la lettre démontrent que la société mère ne s'était engagée ni à garantir sa filiale ni à se substituer à elle et que l'objet de la lettre était seulement d'informer le créancier de son intention de la soutenir (Cass. com. 18-5-2005 n° 730 F-D : RJDA 8-9/05 n° 983, la société mère ayant conclu la lettre par la formule « j'espère que [la décision de recapitalisation prise] vous confirmera notre volonté de soutenir [notre filiale] »).
En l'espèce, les termes de la lettre n'étaient pas suffisamment clairs pour en déduire la nature de l'obligation souscrite. La recherche de la commune intention des parties et la prise en compte du contexte judiciaire dans lequel la lettre avait été produite étaient donc nécessaires pour dégager une solution.
2. Dans cette affaire, la société unipersonnelle n'appartenait plus au groupe quand la cour d'appel de Paris avait rendu sa décision. La société mère faisait valoir que cette cession avait entraîné la caducité de la lettre par application de l'article 1186 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, aux termes duquel un contrat devient caduc « si l'un de ses éléments essentiels disparaît ». La Cour de cassation écarte également cet argument au motif que la seule cession de la participation n'a pas eu pour effet de rendre la lettre caduque. En effet, la détention de cette participation n'était pas un élément constitutif du contrat dont la disparition rendait impossible l'exécution de l'obligation.
Rappelons, dans le même ordre d'idées, qu'en matière de cautionnement par un associé des dettes de la société, la perte de la qualité d'associé n'entraîne pas non plus l'extinction du cautionnement, sauf mention expresse contraire de l'acte ou s'il est établi que cette qualité a été un motif déterminant de l'engagement de l'associé (jurisprudence constante).
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 81183