Que vous évoque la loi Carrez ?
Olivier Pontnau. Deux mots me viennent à l'esprit : moralisation et mesure. Moralisation d'abord. Les acteurs de l’immobilier sont tenus de se conformer à une définition légale du m². Cette loi destinée à améliorer la protection des acquéreurs de lots de copropriété (Loi 96-1107 du 18-12-1996 : JO 19) a imposé la sincérité de l'information dans les ventes immobilières et jugulé les offres commerciales imprécises et trompeuses. Des millions d'acquéreurs ont pu s'engager "en pleine connaissance de cause". Certaines lois énoncent de grands principes avec parfois peu d'effets concrets. La loi Carrez a pris le parti inverse en réglant les détails d'une question particulière. Par ce biais, elle a contribué à diffuser une éthique dans des affaires importantes.
Mesure ensuite, dans tous les sens du terme. C'est le cœur du sujet. Sur le plan technique, la loi Carrez a introduit la recherche d'un juste mesurage ; sur le plan éthique, elle a imposé "le sens de la mesure" aux acteurs du marché immobilier. Aujourd’hui, le m² Carrez est un indicateur indispensable. Cette loi imprègne profondément notre pratique quotidienne. Nous pourrions disserter des heures sur les subtilités de ses conséquences, en partageant des anecdotes surprenantes.
Comment le notaire apprécie-t-il la loi Carrez ?
O. P. La puissance de la loi réside dans sa lisibilité, sa précision et la sévérité de ses sanctions. Le dispositif comporte une seule zone grise, lorsqu'une superficie inférieure est révélée entre la signature de la promesse et la vente. En pratique, ce cas se présente lorsque, pour préparer de futurs travaux, intervient un architecte qui fait des relevés. La situation est difficile : soit les parties maintiennent la promesse en l'état, c'est-à-dire avec un mesurage faux qui ouvrira la porte à une indemnisation; soit elles rectifient les termes de la promesse ce qui suppose une issue amiable avec un avenant allant d'une rectification matérielle à une diminution de prix. Sur le terrain contentieux, le respect de la loi Carrez s'impose dès l'avant-contrat. Le notaire est parfois dans une situation de blocage, chacun faisant valoir des arguments sur le fondement du droit commun des obligations.
Quelles pratiques observez-vous sur le marché du mesurage ?
O. P. Je ferai quatre constats.
1° Les mesurages effectués par les particuliers eux-mêmes ont quasiment disparu. Le recours à un professionnel est devenu systématique. Cette prestation est souvent incluse dans des "packages" de diagnostics, pour un tarif forfaitaire.
2° Le marché s'est "ubérisé". La qualité des prestations est variable, de nombreux mesurages sont établis sans analyse juridique sérieuse. Il n'est pas rare de rencontrer des clauses de décharge de responsabilité du type "établi sous réserve de la consultation du titre de propriété" ou "établi sans l'assistance du règlement de copropriété". Dans ces conditions, les mesurages constituent tout au plus des aides à la déclaration pour les vendeurs. Il faut conseiller au propriétaire de choisir soigneusement son prestataire, la qualité de son travail ayant un lien direct avec le risque encouru au titre de la réduction de prix.
3° La pratique des marges de sécurité survit. Certains mesureurs ont tendance à minorer le résultat pour augmenter la marge d'erreur dont ils peuvent bénéficier. Des différentiels de résultats existent avant-vente et après-vente. Les professionnels libérés du risque de mise en cause de leur responsabilité obtenant des résultats supérieurs.
4° Ayant eu l'occasion d'accompagner la vente d’un même bien à plusieurs reprises, les mesurages à chaque fois établis par un expert différent ne sont jamais identiques. Sans blâmer qui que ce soit, l'exercice est difficile. Cela démontre l'utilité de la marge d’erreur prévue par la loi.
Quelle est la responsabilité du notaire ?
O. P. Les sanctions encourues font de cette superficie un enjeu crucial, pour les parties et pour les notaires. Une vente peut être annulée ou ses paramètres économiques remis en cause postérieurement avec un mécanisme de réduction de prix. Les déconvenues des clients sont les nôtres, a fortiori lorsque notre responsabilité professionnelle est engagée. Le devoir de conseil, l'obligation d’informer et d'éclairer les parties nous obligent. Nous devons mettre en cohérence l'offre commerciale d'un bien avec sa situation juridique et alerter en cas d'anomalie.
Comment le notaire peut-il se mettre en faute ?
O. P. D'un point de vue chronologique, le notaire peut intervenir à un stade précoce où aucun mesurage n'a encore été effectué. Il doit inciter le vendeur à recourir à un professionnel qualifié.
Lorsque le mesurage a été effectué par un technicien, le notaire n’est pas tenu de l’authentifier, ni de vérifier le travail effectué. Mais cela ne le dispense pas de toute analyse, surtout si l'attestation inclut une décharge de responsabilité. En pratique, il faut s'assurer que les documents ne comportent pas d'anomalies matérielles, telles que l'absence de numéro des lots concernés, l'erreur d’addition des surfaces mesurées ou le descriptif incohérent ou incomplet. Le sujet le plus délicat est le récolement entre le règlement de copropriété, l'état descriptif de division et le certificat de mesurage.
Notre intervention a pour objet de détecter une anomalie susceptible de remettre en cause la sincérité de la superficie déclarée à l'acte. Mais, elle se limite à une analyse sur pièces, nous n’avons pas à nous rendre sur place, sauf à avoir négocié la vente. Quand un vendeur, rare en pratique, mesure lui-même la superficie, nous devons l'avertir des modalités réglementaires et des risques encourus en cas de non-respect de ces dispositions, sans pouvoir le contraindre à missionner un professionnel.
Avez-vous des points de vigilance à signaler ?
O. P. Les litiges et réclamations se concentrent sur les mezzanines, les souplex, les parties communes annexées ou en jouissance privative et les copropriétés horizontales. Par exemple, il faut savoir distinguer la mezzanine ou un demi-étage interne d'une surélévation qui est l'ajout d'un étage supplémentaire.
Le souplex est, d'après la Chambre des notaires de Paris, un logement en rez-de-chaussée, agrandi par l'aménagement d'un sous-sol. La pénurie d’offres et l'augmentation des prix entraînent un développement de ce type de logements dans les grandes agglomérations, auquel on peut assimiler la réserve en sous-sol d'un local commercial. L'exclusion des caves des surfaces prises en compte par la loi Carrez empêche-t-elle de comptabiliser toutes les surfaces en sous-sols ? De manière pragmatique, ce type d'aménagement peut être pris en compte s'il s'inscrit dans une unité d'habitation ou commerciale. Une cave transformée en logement se différencie d'un décaissement, à savoir un creusement du sol de la copropriété.
Enfin, une maison individuelle placée sous le régime de la copropriété constitue, en pratique, une situation à risque. La moindre extension ou surélévation ne sera prise en compte qu'avec une modification du règlement de copropriété. Ces régularisations sont rares, les propriétaires ne se sentent pas contraints à l'inverse des copropriétaires en appartement.
La preuve de la remise du "certificat Carrez" doit être systématiquement conservée, à défaut le risque de responsabilité est beaucoup plus élevé.
Quelle est la perception des clients ?
O. P. La loi Carrez s'insère dans une quantité d'informations importante délivrée dans un temps notarial réduit puisque de nombreux sujets sont abordés lors d'un rendez-vous de signature. Globalement, le consentement à la loi Carrez est acquis, la marge de 5 % est bien acceptée par les acquéreurs, la loi a prouvé son utilité. Du côté des vendeurs, certains observent qu'elle est à sens unique avec le mécanisme de restitution au profit du seul acquéreur.
Propos recueillis par Alexandra DESCHAMPS
Pour en savoir plus en matière de mesurage Carrez, voir Mémento Vente immobilière n°s 19600 s.
Olivier PONTNAU, notaire chez C&C, Paris 17e