Depuis une série d'arrêts du 26 mars 2014, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail, ce qui ne peut pas être le cas, en principe, de manquements anciens (Cass. soc. 26-3-2014 n° 12-23.634 FP-PB : RJS 6/14 n° 470).
Les manquements invoqués doivent en principe être récents
Le salarié a intérêt à agir vite en justice. En effet, le temps écoulé entre la date des manquements imputés à l'employeur et la prise d'acte constitue pour le juge un élément d'appréciation essentiel dans la détermination de la gravité des faits empêchant la poursuite du contrat de travail.
En application de cette jurisprudence, ont été jugées non fondées les prises d'acte suivantes :
- lorsque le salarié a attendu 5 ans pour réclamer le paiement d'heures supplémentaires (Cass. soc. 14-11-2018 n° 17-18.890 F-D) ;
- lorsque les agissements caractérisés au titre de la discrimination syndicale étaient isolés, remontaient à plusieurs années et n'avaient pas eu d'incidence sur la carrière du salarié (Cass. soc. 15-4-2015 n° 13-24.333 FS-D : RJS 6/15 n° 393) ;
- lorsque les faits de harcèlement étaient anciens, n'avaient duré que quelques semaines et que l'employeur y avait rapidement mis fin en sanctionnant l'auteur du harcèlement après avoir diligenté une enquête (Cass. soc. 19-6-2019 n° 17-31.182 F-D : RJS 10/19 n° 559).
La persistance des manquements peut accentuer leur gravité
L'absence de réaction d'un salarié pendant une certaine durée à un ou plusieurs manquements de l'employeur ne suffit pas pour autant à faire produire à la prise d'acte les effets d'une démission. En d'autres termes, le juge ne peut pas écarter les manquements au seul motif de leur ancienneté. Il lui appartient d'en apprécier la réalité et la gravité et de dire s'ils étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 19-12-2018 n° 16-20.522 F-D : RJS 3/19 n° 152).
Ainsi, il a été jugé que, malgré leur ancienneté, des faits de harcèlement à l'encontre d'un salarié, en arrêt de travail depuis 18 mois au moment de la prise d'acte, justifiaient la rupture aux torts de l'employeur (Cass. soc. 11-12-2015 n° 14-15.670 F-D : RJS 2/16 n° 107).
La Cour de cassation confirme ce principe dans l'arrêt du 15 janvier 2020 analysé ici. Elle approuve une cour d'appel ayant fait droit à la demande d'un salarié protégé de requalification de son départ à la retraite en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul.
En l'espèce, les juges du fond ont relevé que le salarié avait été l'objet pendant 20 ans d'actes d'intimidation, d'humiliations, de menaces, d’une surcharge de travail et d’une dégradation de ses conditions de travail, de nature à affecter sa santé, l’ayant conduit à l’épuisement et à l’obligation de demander sa mise à la retraite, ainsi que d'une discrimination syndicale dans l'évolution de sa carrière et de sa rémunération. L'ancienneté des faits, leur persistance et leurs conséquences sur la carrière du salarié constituent ici des circonstances aggravantes, qui ont conduit les juges du fond à retenir l'existence d'un manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
A noter : La prise d'acte peut produire les effets d'un licenciement nul dans les cas où le manquement de l'employeur est une cause de nullité du licenciement. Il en est ainsi en cas de harcèlement (Cass. soc. 28-3-2018 n° 16-20.020 F-D : RJS 6/18 n° 405), de discrimination (CA Versailles 10-1-2012 n° 10-04996 : RJS 3/12 n° 210) ou de non-respect du statut protecteur d'un représentant du personnel (Cass. soc. 5-7-2006 n° 04-46.009 FS-PB : RJS 10/06 n° 1090).
Stanislas de FOURNOUX
Pour en savoir plus sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail : voir Mémento Social nos 69150 s.