Présentée comme l’avenir du contentieux, la médiation nécessite un véritable changement de culture : la recherche de l’efficacité économique au prix d’une non-application stricte de la loi.
Si les magistrats et les avocats ont pris le virage en douceur – mais n’hésitent plus à encourager les parties à y recourir –, les grandes entreprises, les ETI et les PME performantes ont rapidement compris l’efficacité de cet outil qu'elles intègrent de plus en plus fréquemment dans leurs contrats. « La médiation est l’outil de la stratégie du contentieux de l’entreprise », résume Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d'arbitrage (CMAP), qui encourage les entreprises à anticiper les différends et à rédiger des clauses simples afin d’éviter tout problème d’interprétation (voir les modèles de clauses proposés par le CMAP).
En attestent les statistiques 2018 élaborées sur la base des 305 dossiers ouverts en médiation au CMAP en 2017 : la médiation conventionnelle représente 62 % du nombre total des médiations (contre 56 % en 2016) ; 31 % des dossiers ont un enjeu financier supérieur à 1 million d’euros (contre 25 % en 2016) ; 49 % des saisines portent sur un contrat où une clause de médiation a été insérée (contre 40 % en 2016) ; et même si 60 % des parties sont franciliennes, la médiation s’invite d’avantage sur la scène internationale (9 % des parties).
Comment expliquer cet intérêt pour ce mode alternatif de règlement des litiges (Ndlr : le CMAP ne fait mention que de 15 dossiers d’arbitrage l'an dernier) ? Outre la maîtrise des coûts (5 000 € en moyenne), la courte durée du dialogue permettant la résolution du conflit (15 heures en moyenne), la quasi-certitude d’arriver à une solution maîtrisée (71 % des dossiers), la suspension des délais de prescription... la médiation permet, avant tout, la pérennisation des relations contractuelles, la faculté pour les parties de « reconstruire un nouvel accord », précise Sophie Henry.
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Bien que 48 % des dossiers traités par la CMAP portent notamment sur l’inexécution ou la rupture abusive de contrats commerciaux, la médiation ne se limite pas au domaine commercial. En effet, la déléguée générale souligne le rôle du Centre dans le domaine de la médiation individuelle ou collective de la consommation. Sollicité par de nombreuses entreprises, le CMAP – référencé en qualité de médiateur auprès de la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation – signe avec ces dernières des conventions de médiation, et les accompagne ainsi dans l’obligation qui leur est faite par le Code de la consommation (art. L 616-1 et R 616-1) d’informer le consommateur des modalités de recours à ce mode de règlement des litiges.
Autre secteur, de plus en plus porteur, la médiation intra-entreprise ou médiation sociale. Le nombre de dossiers traité par le CMAP a augmenté de 75 % par rapport à 2016 (soit 20 % en 2017 concernant principalement le harcèlement, le licenciement et les conflits sociaux). Sophie Henry précise que le Centre est sollicité par les DRH – souvent sur les conseils de l’avocat de la société – pour régler des conflits entre deux directions, entre collaborateur et managers, par exemple. « Le coût de la médiation est pris en charge par l’employeur ; le médiateur est choisi sur proposition du Centre, après vérification d’absence totale de conflit d’intérêts, en accord avec les deux parties ; le salarié est rassuré qu’un organisme extérieur, garant de la préservation de ses droits, intervienne ; le dialogue est ouvert (Ndlr : des réunions individuelles puis plénières sont menées dans les locaux du CMAP) ».
Quel avenir pour la médiation ?
Il semble des plus prometteurs. Le CMAP sensibilise les acteurs économiques (juristes, commerciaux mais aussi ingénieurs) et certifient 20 médiateurs nouveaux par an (ils sont au nombre de 100 actuellement). Les avocats se forment pour devenir médiateur et accompagner leurs clients (voir le Centre national de médiation des avocats – CNMA – créé en 2016 à l’initiative du CNB). Enfin, les pouvoirs publics, avec le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022, souhaitent « généraliser le pouvoir d’injonction du juge de rencontrer un médiateur », « élargir le domaine de la tentative de résolution amiable préalable à la saisine de la juridiction » et enfin « sécuriser le cadre juridique de l’offre en ligne de résolution alternative des différends ». Face aux mesures envisagées, Sophie Henry alerte : « Forcer les gens à se mettre d’accord c’est l’anti-médiation (…) il faut préserver les droits du justiciable d’avoir accès à la justice ». Quant au recours à la médiation en ligne résultant d’un traitement par algorithme, la déléguée générale déplore la perte du dialogue qui caractérise le principe même de la médiation dans la recherche d’une solution voulue par les parties.
Audrey TABUTEAU