Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L 1233-3 du Code du travail, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée (C. trav. art. L 1222-6).
Dans un arrêt du 13 septembre 2017, rendu en formation plénière, la Cour de cassation clarifie sa position sur les cas dans lesquels cette procédure doit être appliquée.
Une jurisprudence difficile à appréhender
En l'espèce, un salarié avait conclu avec une société un contrat de documentation audiovisuelle en vue de la réalisation d'une série documentaire. Par la suite, son salaire et ses droits d'auteur avaient été réduits par avenant pour des raisons non liées à sa personne. Considérant que l'employeur aurait dû respecter la procédure prévue par l'article L 1222-6 du Code du travail, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire et de congés payés afférents fondée sur l'irrégularité de l'avenant. Le conseil de prud'hommes lui avait donné raison. Cette décision avait été infirmée en appel, les juges d'appel ayant considéré que les dispositions de l'article L 1222-6 du Code du travail ne s'appliquent pas à toutes les modifications de contrat de travail mais seulement à celles qui sont envisagées dans le cadre de projets de licenciements économiques, notamment en cas de difficultés économiques ou de mutations technologiques, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Dans son arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation leur donne raison.
Jusqu'à présent, la position de cette dernière pouvait sembler difficile à appréhender. Dans un arrêt de novembre 2010 elle avait jugé que lorsque les modifications du contrat de travail n'interviennent pas pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L 1233-3 du Code du travail, l'employeur n'est pas tenu de mettre en œuvre les formalités de l'article L 1222-6 du même Code (Cass. soc. 17-11-2010 n° 09-42.120 F-D). Dans un arrêt légèrement antérieure, elle avait toutefois rejeté le pourvoi contre une décision ayant considéré que l'employeur ne pouvait pas se prévaloir d'un avenant au contrat de travail, faute de respect de la procédure de modification prévue par l'article L 1222-6 du Code du travail. Dès lors que cette modification était proposée pour un motif non inhérent à la personne du salarié elle était réputée fondée sur un motif économique et soumise à la procédure définie par ce texte, estimait la Cour de cassation. En l'occurrence, le moyen au pourvoi de l'employeur soutenant qu'une proposition de modification du contrat de travail qui n'était pas fondée sur un motif inhérent à la personne du salarié n'était pas nécessairement motivée par une cause économique avait été écarté (Cass. soc. 6-10-2010, n° 09-42.743 F-D).
Dans un arrêt de 2012, la Cour de cassation avait confirmé sa position : la modification du contrat de travail proposée par l'employeur pour un motif non inhérent à la personne du salarié est réputée fondée sur un motif économique et que l'employeur n'ayant pas respecté les formalités prescrites par l'article L 1222-6 du Code du travail ne peut se prévaloir ni d'un refus ni d'une acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié. Mais, dans cette affaire, les modifications étaient intervenues dans le cadre de mesures d'urgence mises en place par l'employeur pour la sauvegarde de l'entreprise, ce qui tendait à asseoir leur motif économique (Cass. soc. 3-5-2012 n° 10-27.427 F-D).
Le motif non inhérent à la personne du salarié ne suffit plus à qualifier la modification
Dans l'arrêt commenté ici, rendu en formation plénière, la chambre sociale clarifie sa position en retenant qu'une proposition d'avenant au contrat de travail emportant modification de celui-ci ne relève de l'article L 1222-6 du Code du travail que dans le cas où cette modification est proposée pour un des motifs économiques énoncés à l'article L 1233-3 de ce Code.
Est donc ainsi abandonnée la seule référence au motif non inhérent à la personne du salarié, comme critère de qualification. Ce critère est pourtant, dans le droit de l'Union européenne régissant les licenciements économiques collectifs, celui qui permet d'identifier cette catégorie de licenciements. L'article 1-1, a de la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, renvoie en effet aux licenciements effectués « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs ». Et la chambre sociale a constamment considéré depuis 1997 que constituait un licenciement pour motif économique un licenciement prononcé pour un motif non inhérent à la personne du salarié (notamment : Cass. soc. 14-5-1997 n° 94-43.712 P ; Cass. soc. 10-1-2017 n° 14-26.186 FS-D).
Certes, n'était pas en cause ici la qualification d'un licenciement consécutif à un refus de modification du contrat de travail puisque le salarié avait accepté la modification proposée par l'employeur. Mais une proposition de modification du contrat pour un motif non inhérent à la personne du salarié pouvant être suivie, en cas de refus, d'une procédure de licenciement qui ne peut être qu'économique compte tenu de la jurisprudence rappelée ci-dessus, il est nécessaire que le salarié auquel elle est soumise sache les conséquences de son choix. Aussi, l'approche restrictive de l'arrêt, qui se fonde sur le renvoi à l'article L 1233-3 du Code du travail, peut se discuter, en ce qu'elle introduit une césure entre l'offre de modification n'ayant pas d'origine disciplinaire et les conséquences qui pourront être tirées d'un refus, et en ce qu'elle prive le salarié des garanties qu'offre l'article L 1222-6.
Sylvie LAGABRIELLE
Pour en savoir plus sur la modification du contrat de travail : voir Mémento Social nos 17410 s.