La Quotidienne : L’article 4.4.1 du règlement national du notariat interdit au notaire toute publicité à caractère personnel, y compris sur les réseaux sociaux, et précise que toute communication à l’attention du public peut faire l’objet d’un contrôle a posteriori par la Chambre. La communication est donc un défi spécifique pour le notaire. Comment peut-il conjuguer règles déontologiques et stratégie de communication pour développer son activité ?
Pascal Mendak : Le respect des règles déontologiques est tout à fait compatible avec l’élaboration et la réalisation d’une stratégie de communication fondée sur l’expertise du notaire. Selon ses objectifs de développement et son implantation, le notaire peut créer des contenus qu'il édite sur son site, qu'il poste sur ses réseaux sociaux ou qu'il publie dans la presse régionale et nationale. Il crée ainsi un cercle vertueux qui lui permet d’accroître sa notoriété par des prises de parole sur des questions juridiques concrètes et pratiques, tout en valorisant la profession notariale par le décryptage des textes de loi et de la jurisprudence.
La Quotidienne : De quels outils et canaux de communication un notaire dispose-t-il ?
P. M. : On peut citer les sites vitrines (les sites « commerciaux » de consultations et de services sont interdits à ce jour), les participations à des conférences et formations, l’organisation d’événements clients, les relations médias, les newsletters, l’animation de réseaux sociaux comme Twitter ou LinkedIn. Il est toutefois interdit de faire de la publicité sponsorisée ou adwords… pour le moment. A noter que si l’article 3 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle autorise la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique (mailings aux prospects), en l’absence de décret le notaire ne peut pas encore en réaliser.
La Quotidienne : La déontologie pourrait-elle être un frein à la prise de parole ?
P. M. : Le notaire est à la fois officier public et chef d’entreprise. Il doit gérer son étude avec les mêmes problématiques managériales que toute société. Le notaire doit donc développer son activité en respectant sa déontologie d’officier public.
Un notaire peut s’exprimer sur un sujet juridique dans la presse (sous forme d'entretien ou de tribune d’expert), mais la diffusion de communiqués de presse est limitée (création ou suppression d’études, nomination de notaire). Et un notaire ne peut diffuser un communiqué sur un deal ou un récent montage d’opérations, contrairement aux avocats.
La Quotidienne : Quelles sont les spécificités de la prise de parole du notaire ? A quel rythme doit-il communiquer ?
P. M. : Au-delà du bouche-à-oreille, la prise de parole « experte » sur des sujets juridiques pour accroitre sa notoriété est l’un des leviers à actionner . Via les réseaux sociaux du notaire, les articles de presse ou les événements professionnels, il s’adressera ainsi à ses clients, particuliers ou professionnels, sur des thématiques qui les intéressent et sous l’angle pertinent. Toutefois de nombreuses études définissent leurs propres objectifs stratégiques, avec un ciblage dans leurs discours et les éléments de langage. Certaines souhaitent davantage développer une clientèle de professionnels que de particuliers. Nous conseillons au notaire de procéder à une véritable démarche marketing en définissant ses principales cibles de clientèles, ses clients types (les personas), de cartographier leurs besoins, leurs attentes afin de définir une stratégie de communication efficace. Les notaires pourront donc sélectionner plus facilement les supports de presse auxquels ils souhaitent s’adresser et travailler leurs territoires de communication en cohérence avec leurs objectifs stratégiques.
Soulignons que la prise de parole du notaire porte sur des thématiques juridiques, avec une réserve : les avis et discussions sur les projets de textes restent la chasse gardée des institutions représentatives de la profession (présidents de chambres, président du Conseil supérieur du notariat principalement). Il ne peut également s’exprimer au nom de la profession sur le statut du notaire. Concernant le rythme des prises de parole, tout est aussi question de mesure, les instances ne verraient pas d’un bon œil que le notaire soit trop présent dans la presse. Il est difficile de quantifier, mais on peut réaliser cinq ou six citations par mois sans difficultés « déontologiques ». Tout cela est amené à évoluer. L’Autorité de la concurrence a d'ailleurs émis plusieurs propositions d’évolution en juillet dernier.
La Quotidienne : Le recours à une agence est-il conseillé ? Qu’est-ce que cela implique pour le notaire, ses associés ?
P. M. : La communication est un métier. Peu de notaires ont encore conscience des bénéfices qu’ils peuvent obtenir d’une communication régulière et de qualité. Il est donc conseillé, tout au moins pendant une certaine période, de faire appel à un professionnel de la communication pour sensibiliser et accompagner l’office notarial avec des conseils stratégiques et opérationnels. Par la suite, si l’étude en a la possibilité et les moyens (temporel et financier), les notaires peuvent s’organiser en interne pour développer et faire vivre leur communication (comités éditoriaux et stratégiques réguliers, implication des notaires et collaborateurs, référent communication, idéalement un chargé de communication et de développement…).
Quoiqu’il en soit, avant toute collaboration avec une agence, il est essentiel que tous les associés définissent ensemble les objectifs et soient convaincus du choix opéré ainsi que du mode opératoire retenu entre l’agence et l’office. Nous conseillons aussi d’impliquer des collaborateurs volontaires pour enrichir les échanges.
La Quotidienne : Notaire solo, notaires associés, la taille de l’étude joue-t-elle sur la stratégie de communication ?
P. M. : Quelle que soit la taille de la structure, la mise en place d’une stratégie doit être partie intégrante des objectifs du notaire pour se développer. Selon les ambitions et les moyens de l’office, toute une palette d’opportunités est possible, mais nous conseillons bien sûr a minima, un site internet dynamique, vivant et différenciant avec un article par semaine rédigé par le ou les notaires (1000 signes suffisent, et l’actualité est riche) et une viralisation du contenu sur les réseaux sociaux. Pour une étude disposant de plusieurs associés et collaborateurs, on pourra intégrer des actions médias plus fréquentes, des participations dans des conférences, voire l’organisation de webinars pour leurs clients.
La Quotidienne : La nécessité d'obtenir l’agrément de la Chambre des notaires sur la création d’un site internet est-elle un frein à la créativité ? Comment le notaire peut-il se distinguer de ses confrères ?
P. M. : Les sites officiels du notariat disposent d’un numéro d’agrément automatique. Le notaire qui crée un site doit, lui, solliciter un agrément auprès de sa chambre qui vérifiera si le site est conforme à la déontologie notariale (rédactionnel, illustrations, mentions légales, respect de la réglementation CNIL, autorisations de reproductions... : art. 2-2 du Code de déontologie internet). Avant la mise en ligne, l’un des notaires de l’étude transmettra le lien du site et son login.
Pour la création proprement dite, sous réserve de respecter les règles fondamentales, socles de la profession (probité, intégrité, indépendance, confraternité, confiance), et de donner une image valorisante de la profession, le notaire peut librement faire appel à des créatifs pour créer un nom original et son logo, à moins qu’il ait lui-même un talent de designer ! Cette démarche suppose au préalable de réaliser un benchmark de sites de la « concurrence », voire des autres professions comme les avocats, pour définir les tendances et apporter des axes différenciateurs. La création d’une « identité de marque » est, là aussi un travail de professionnels qui nécessite, au préalable, un audit de positionnement, pour des actions réussies.
Propos recueillis par Audrey TABUTEAU
Pascal Mendak, gérant de la société Legal Dev