1. Le Conseil d’Etat juge que l’administration ne peut qualifier d’excessive la fraction des intérêts qu’une société verse auprès d’autres sociétés du même groupe fiscal intégré en se fondant uniquement, pour retenir des éléments de comparaison, sur l’excellente note attribuée par une agence de notation financière à la société mère américaine, sans prendre en compte la note intrinsèque de la filiale.
La comparaison reposant sur la notation financière n’était pas fondée
2. Les faits sont les suivants. Un établissement de crédit s’est refinancé par des emprunts auprès des sociétés du groupe fiscal intégré auquel il appartient. L’administration a considéré qu’une quote-part des intérêts versés était anormalement élevée. Elle a relevé en effet qu’une agence de notation financière a accordé la note AA à cette banque compte tenu du soutien financier que la société mère américaine notée AAA était susceptible de lui apporter. Prenant en compte la notation ainsi accordée à la banque, l’administration a estimé que les intérêts d’emprunt payés par la banque aux prêteurs de son groupe étaient d’un montant supérieur à ceux supportés par les banques de la zone euro notées AA. Elle a donc réintégré la fraction des intérêts excédentaires.
Selon la société rectifiée, cette comparaison n’était pas pertinente dès lors que, d’une part, la note AA ne portait pas sur la période au cours de laquelle elle avait souscrit les emprunts litigieux et que, d’autre part, la note BB lui avait été attribuée par la même agence de notation dans le cadre d’un document établi à usage interne au groupe.
La cour administrative d’appel de Versailles a donné raison à la société en jugeant que l’administration ne démontrait pas que les intérêts versés présentaient un caractère excessif. Par suite, leur paiement ne constituait pas un acte étranger à une gestion normale (CAA Versailles 28-5-2014 no 14VE01904 : BF 10/15 inf. 757).
3. Le Conseil d’Etat confirme, par une décision inédite, la solution de la cour administrative d’appel de Versailles. Il juge que l’appartenance à un groupe d’une société dont la mère est notée AAA et le soutien financier que cette dernière est susceptible de lui apporter ne sauraient suffire à eux seuls à faire regarder cette société comme notée AA alors que sa note intrinsèque n’est que de BB. L’administration doit établir les effets sur la solvabilité de la société filiale de la garantie implicite susceptible de résulter des relations financières au sein du groupe, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Plusieurs éléments renseignent sur la capacité de remboursement de l’emprunteur
4. La Haute Juridiction rappelle tout d’abord que l’appréciation, par un prêteur du risque de défaut de l’emprunteur, dont la prime de risque facturée constitue la contrepartie, dépend de la capacité du débiteur à rembourser sa dette au créancier jusqu’à l’échéance. L’évaluation du risque de solvabilité de l’emprunteur, notamment synthétisée dans les notations périodiques que les agences de notation attribuent aux sociétés qui peuvent, le cas échéant, les solliciter en ce sens, résulte de l’analyse des évolutions d’une série de variables économiques, tant internes que tenant à l’environnement de l’emprunteur.
Reprenant un considérant de la décision de la cour administrative d’appel de Versailles, le Conseil d’Etat énumère les critères à retenir pour déterminer la capacité financière de l’emprunteur. Ces paramètres reflètent l’état des comptes du débiteur, la stabilité de sa politique financière à long terme, la rentabilité et la profitabilité des capitaux qu’il investit, éventuellement comparées aux données moyennes du secteur d’activité qui est le sien, ses liquidités, les marges de manoeuvre financière dont il peut éventuellement disposer en raison de circonstances prédéfinies, de son positionnement concurrentiel ou encore de la qualité de ses salariés et dirigeants.
L’appartenance à un groupe ne peut avoir à elle seule un effet sur la solvabilité d’une filiale
5. Le Conseil d’Etat se prononce ensuite sur la question de l’incidence de l’appartenance au groupe. Il juge que, si l’appartenance de l’emprunteur à un groupe constitue une des caractéristiques de son organisation, elle ne saurait être prise en compte pour l’appréciation de son risque de défaut que dans la mesure où elle est susceptible d’avoir une incidence sur sa solvabilité.
Le cautionnement, par une société mère, des dettes de sa filiale peut modifier le risque de solvabilité du bénéficiaire de la caution mais l’appartenance à un groupe de sociétés ne peut avoir, à elle seule, un tel effet, quand bien même les acteurs de marché seraient renseignés sur le risque de solvabilité de la société tête de groupe en raison des notes qui lui sont attribuées par les agences de notation.
6. Il résulte de cette solution, comme le résume le rapporteur public, Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, dans ses conclusions, que la notation intrinsèque d’une filiale peut être modulée en raison de son appartenance à un groupe mais la notation d’ensemble du groupe ne peut être plaquée automatiquement sur la filiale en l’absence d’engagement de garantie explicite en sa faveur. L’administration doit ainsi établir que la garantie implicite liée à l’appartenance à un groupe a une incidence positive sur les variables économiques de la filiale et améliore son propre profil de crédit.
Le rapporteur public relève ainsi que cette position est conforme à la logique économique : la probabilité n’est pas nulle qu’une entité détenue intégralement par un groupe, qui en partage pour partie le nom, bénéficie d’un soutien de celui-ci en cas de difficulté à honorer ses dettes. Mais il n’y a pas de présomption de garantie implicite jouant au profit d’une entreprise du seul fait qu’elle est membre d’un groupe. Retenir une telle hypothèse n’aurait été conforme ni à la pratique des agences de notation ni à la jurisprudence du Conseil d’Etat.
A noter : la présente décision confirme la solution retenue dans une autre affaire par la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a jugé que, si l’appartenance à un groupe constitue l’un des éléments caractérisant la situation d’une société, ce n’est pas un critère prédominant pour la détermination du taux du marché. Celui-ci doit être apprécié en fonction de la situation propre de l’entreprise emprunteuse (CAA Bordeaux 2-9-2014 no 12BX01182 : CF-IX-3110).
Philippe MILLAN
Pour en savoir plus sur la déductibilité des charges financières : voir notre Mémento Fiscal nos 8740 s.